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La fille qui somatisait la mort de Johnny Hallyday en développant un incontrôlable Syndrome du Hamster

Par La Chose

La fille qui somatisait la mort de Johnny Hallyday en développant un incontrôlable Syndrome du Hamster

Ce matin j’étais à l’hypermarché du coin entre deux réunions professionnelles inutiles, et j’avais beaucoup de chagrin à cause de la mort de Johnny Hallyday, surtout que le disc-jockey du magasin avait mis un best of en boucle et que la musique jouait très, très fort.

Bon d’accord, en vrai je n’en avais pas grand-chose à faire et j’étais surtout allée faire les courses après 10h et avant 11h parce que c’est la période creuse pendant laquelle tous les gens de la campagne bretonne sont en train de traire leurs vaches ou de décapiter leurs poules, ce qui laisse le temps aux néo-ruraux de rafler les derniers numéros du Ouest-France local et de faire le plein de produits végétariens qui coûtent un bras sans que tous les autres clients les regardent comme s’ils venaient de déclarer qu’ils adhéraient au parti nazi.

Donc je poussais mon caddie entre les allées pleines de choses salées, sucrées et grasses, et heureusement que j’avais une liste que Loutre m’avait donnée avant de partir en déplacement professionnel à Boussac-Bourg (le code postal c’est 23032) (moi non plus je savais pas qu’il y avait un code postal en 23), parce que sinon j’aurais pas su quoi acheter pour maintenir ma santé physique et mentale à un niveau optimal.

La liste de courses, c’est Loutre qui l’avait écrite juste avant de partir. Loutre fait toujours une liste pour les courses quand c’est moi qui dois aller à l’hypermarché, soit-disant pour limiter les risques de cancer du côlon, d’oedème de Quincke, d’ulcère gastro-duodénal, d’épilepsie et d’obésité morbide liés à mes « réflexes consuméristes ».

– Choupi, je t’ai posé la liste des courses sur la table de la cuisine.
– OK.
– Tu arrives à me relire ?
– J’ai sorti mon dictionnaire  Maya-Yucatèque, ça devrait aller.
– Très drôle. Tu t’en tiens à ce que j’ai écrit. Tu n’ajoutes rien, tu ne retranches rien. Tu suis bêtement les consignes.
– OK.
– ….
– ….
– Ca ressemble à quoi, « courge butternut » ? C’est un truc porno ?

Sur la liste de Loutre, tout ce qu’il fallait que j’achète était regroupé à peu près au même endroit, là où les personnes payées très chères pour faire du marketing mettent plein de grandes photos de fruits et de légumes énormes et très colorés, juste au-dessus des casiers où ils rangent des fruits et des légumes tout petits et luisants comme si on avait mis du gel pour les cheveux dessus.
Je me sentais un peu comme une parisienne qui visite Boussac-Bourg pour la  première fois, vu que c’est pas un rayon où je vais très souvent ou très spontanément, alors je me suis arrêtée pour demander mon chemin à deux dames de la campagne qui discutaient de la mort de Johnny à côté des salades.

– Pardon mesdames, j’ai dit. Je cherche les courges qui ressemblent au zizi de Rocco Siffredi et qui ont un nom qui se prononce avec la voix de Donald Duck.
– ….
– ….
– Nan ? Vous ne voyez pas ? Ca rappelle une bite de cheval mais c’est jaune, en gros. Ou alors un cheval qui aurait un problème de foie. Vraiment pas ?

Quand j’ai fini d’expliquer au vigile de l’hypermarché (qui avait des larmes dans les yeux et qui murmurait que son corps était « lourd comme un cheval mort ») que les dames ne voulaient pas voler les laitues « feuilles de chêne » mais seulement me les faire avaler en entier par les narines, j’avais déjà perdu dix minutes et quand même j’étais un peu agacée, moins à cause de la réunion Skype que j’allais louper à 11h30 que rapport au fait que j’avais mis une partie de Battlefield en route et que forcément, la console allait passer en veille et que donc j’allais devoir me retaper tout le niveau contre les Turcs vicieux et chafouins que j’avais déjà recommencé quatorze fois (mais c’est parce que les Turcs sont vicieux et chafouins).

Loutre avait demandé des courges en forme de bite, des tomates, des carottes, des choses un peu épicées pour pouvoir manger du Quinoa sans avoir envie de se mettre la tête dans le four après avoir avalé trois tablettes de Xanax, des choses sans OGM et sans colorants, des choses sans viande, des choses avec des noms scandinaves qui rappellent un joueur de tennis des années 70, bref rien que des choses que tu as très envie de conseiller à tous tes amis pollueurs encartés à droite mais que tu ne mangerais pour rien au monde même si on te proposait un weekend tous frais payés au ranch Skywalker.

Du coup je tournais vaguement en rond dans l’hypermarché, ça commençait à m’énerver un tout petit peu, et puis tous les gens que je croisais et à qui je demandais de m’aider ne parlaient que de la mort de Johnny parce qu’ils avaient tous quelque chose de Tennessee qui pleurait très fort dans le dedans d’eux-mêmes. C’était très émouvant et aussi un peu chiant, mon caddie était encore presque vide à part une seule courge butternut qui était posée au fond, les caissières chantaient « Oh Marie si tu savais », les dames pleuraient, les messieurs aussi mais ils essayaient de ne pas le montrer, et  le vigile traversait les allées en demandant ce qu’elle avait sa gueule (j’ai failli lui expliquer qu’il ressemblait à Carlos et qu’il avait la voix de Vianney, et que donc quelque part ça pouvait expliquer une certaine animosité instinctive de la part de ses congénères, mais j’ai préféré me taire parce que ça allait encore faire des histoires).

Quand j’ai compris qu’à la maison, ma console était forcément passée en veille et qu’en plus j’avais loupé mon appel sur Skype (où on allait parler cash flow et Bottom of the Funnel, mais moi j’allais me mettre en micro coupé et descendre des centaines de Turcs vicieux et chafouins si j’avais pu rentrer à l’heure), j’ai un peu senti ma colère gronder tout au fond de ma personne et remonter jusqu’à mon nez (en vrai je pense que c’était le Coca que j’avais bu en cachette pendant que Loutre fermait sa valise, vu que j’avais été obligée de le descendre drôlement vite pour pas me faire attraper). Du coup j’ai pris une grande décision pour exprimer ma contrariété et aussi ma révolte contre le politiquement correct, contre la mort de Johnny Hallyday et contre la condition humaine, et je me suis mise à courir dans les rayons avec mon caddie en chantant « Anarchy in the UK« , et puis j’ai mis plein de choses dans mon caddie et je suis arrivée à la caisse.

La caissière, elle a arrêté de chanter « Sous le mirador » quand elle m’a vue poser mes 3 paquets de Knacki, mes hamburgers surgelés, mes pâtes à réchauffer au micro-ondes, mes trois litres de Coca, mes nouilles japonaises et aussi « Call of Duty WWII » et « Assassin’s Creed Origins » que j’avais pris au rayon « jeux vidéos », et elle m’a regardée depuis le bas jusqu’en haut, et après depuis le haut jusqu’en bas.

– ….
– ….
– Je vous dois combien ?
– Vous avez la Carte U ?
– Oui, voila.
– ….
– ….
– Pourquoi vous me regardez comme ça ?
– Vous faites partie de ces ados qui n’ont pas de vie et qui fabriquent du cholestérol et du diabète en cultivant leur épilepsie devant des jeux vidéos pour attardés ?
– Mais … non …
– Vous êtes une merde, comme ils disent aux Huhèssa ?
– On dit « Nerd » …
– C’est ça.
– J’approche de la pré-ménopause, j’ai un numéro de sécu, je paye des impôts et j’ai un CDI …
– Mais oui, mais oui….
– Je suis PAS une nerd, D’ACCORD ? C’est juste que Loutre est en déplacement professionnel.
– De mieux en mieux ….
– Écoutez je ne sais même pas pourquoi je perds du temps à vous parler ! Vous m’encaissez ou faut que j’aille chez Auchan ?
– ….
– ….
– (pauvre France)
– J’AI ENTENDU !!!

Le soir, j’étais en train de faire leur affaire à plein de nazis vicieux et chafouins au milieu de la forêt des Ardennes en mangeant mes douze Knackis avec mes pâtes au fromage quand Loutre a téléphoné.

– Ca va Choupi ? Tu t’en sors ?
– Nickel, j’ai fait. C’est bien, Boussac-Bourg ? Ils ont l’électricité au moins ?
– Tais-toi, stupide. T’as fait les courses ?
– Oui, oui.
– Tu as fait comme on a dit ?
– ….
– ….
– ….
– QU’EST-CE QUE TU AS PRIS  ?
– Bah trois fois rien, c’est bon, hein ….c’est pas ma faute, non plus ! Je l’avais, ta courge, si j’ai craqué c’est à cause de la mort de Johnny, je sais pas, ça m’a provoqué une sorte de nervous breakdown, du coup j’ai eu comme un genre de crise, fallait que j’oublie, fallait que j’achète, fallait que je stocke des choses nocives, tu vois, dans une sorte d’identification morbide à l’idole disparue, tu savais que le mec picolait comme une vache et se droguait depuis quarante ans ? Si ça se trouve il était accro aux jeux vidéos, il mangeait de la merde, il faisait pas de sport, tu vois le genre, c’est peut-être freudien, cette envie brutale et irrépressible de lui rendre hommage en quelque sorte…Allô ?
– ….
– Allô ?
– ….
– Loutre ???
– …..
– Bah pourquoi tu pleures ?


Classé dans:Développement personnel et recherche du bonheur (c'est ça...)

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