À l’heure de répressions politiques de plus en plus fortes dans nos « démocraties », le dernier film de Kathryn Bigelow pose une question cruciale : le recours à la violence populaire est-elle légitime face à la criminalité policière ?
La violence comme état de fait
Detroit, juillet 1967. Alors que Martin Luther King vit sans le savoir ses derniers mois, la cité de Ford s’embrase pendant quatre jours. En cause : une intervention policière brutale contre un speakeasy, un bar clandestin, symbole de la communauté afro-américaine de la ville.Ressuscitées, ces émeutes – parmi les plus meurtrières de l’histoire américaine – offrent une autre vision du mouvement afro-américain. Par leur violence et leur caractère anarchique, elles rompent avec le mythe de Martin Luther King et de la non-violence comme seul moyen d’obtenir des droits. La première partie abandonne les préjugés bien-pensants en plongeant au cœur de l’action. Au moyen d’une technique souvent méprisée : le zoom. Grâce à des zooms chaotiques, dont la mise au point s’opère in medias res, Bigelow pénètre la matérialité des combats. Ses images à elles – physiques, brutales, a-morales – entrent en contradiction avec les images d’archives des télévisions nationales, où la voix pesante d’un présentateur blanc dénigre ces « nègres » qui détruisent leur bonne ville. À la différence de ces reportages filmés de loin, du point de vue de la police, les zooms mettent à bas le politiquement correct. Il ne s’agit pas de juger de la légitimité de la violence, mais de la considérer comme un état de fait. Ce qui compte, c’est d’observer comment la violence émerge, à partir de tensions qui courent à fleur de peau : ici, un groupe d’insurgés s’agace du discours moralisateur du député local et balance des bouteilles alentour ; là, un policier (Will Poulter) abat calmement un fuyard, parce qu’il pourrait avoir commis un acte criminel. Surtout, la mise en scène des émeutes évite de désigner des coupables : la révolte a été spontanée, massivement soutenue par une communauté afro-américaine très consciente de son caractère politique.
La protestation des corps
Après avoir dédiabolisé l’usage de la violence dans la première partie, la réalisatrice s’attarde dans la deuxième, la plus longue, sur les réactions possibles à la brutalité policière, en se concentrant sur l’affaire de l’Algiers Motel. Dans cet établissement, trois flics torturent une nuit durant une dizaine de clients – dont deux Blanches – au seul prétexte qu’ils ont entendu un coup de feu depuis les fenêtres. Au petit matin, on compte trois morts.Dans des séquences à la limite du soutenable, Bigelow observe comment des corps en maltraitent d’autres. Par un cadrage très serré et des mouvements de caméra chaotiques, se crée une atmosphère claustrophobe, qui témoignede la protestation des corps. Tous les acteurs présents cherchent une solution qui n’empirerait pas la situation déjà cauchemardesque. De Dismukes (John Boyega), agent de sécurité qui tente d’amadouer les forces de l’Ordre, à Greene (Anthony Mackie), vétéran du Vietnam qui choisit la passivité alors qu’on l’accuse de proxénétisme, en passant par le chanteur Larry (Algee Smith), tous échouent. Une tragédie que résume le cri de détresse de Julie (Hannah Murray), une des deux Blanches qui batifolaient avec Greene : « On est en 1967 ! ». Manifestement, l’idée d’un progrès social automatique n’a aucun sens pour la police, absolument imperméable aux droits civiques. D’où la nécessité, face au déni de justice, d’en passer par l’auto-justice populaire.Peut-être que dans cinquante ans, quelqu’un témoignera aussi puissamment des violences policières de notre époque. En attendant, Detroitconstitue un détour historico-fictionnel (à compléter par des documentaires tels que 317 ou The 13th) qui met en image la terreur contemporaine. Et qui oblige à repenser la légitimité de l’auto-défense populaire face à ce pouvoir discrétionnaire.
Detroit, de Kathryn Bigelow, 2017
Maxime
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