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Coco_teaser

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Dans le rythme de production de Pixar, autrefois précieux, désormais frénétique, au plus que passable (Cars 3) se soustrait le très grand (Vice-Versa). Une alternance de sublime et de franchement moins bon qu’on ne leur connaissait pas il y a encore dix ans, sûrement la rançon du succès et d’un poids financier toujours plus éreintant.

Cette altération qualitative globale, bien que dommageable, n’a pourtant pas eu, loin s’en faut, que du mauvais. L’heure n’est certes plus aux renversements de tables, ayant conduit à la réinvention du film d’évasion (Toy Story), n’en déplaise à Marvel à celle du film de super-héros (Les Indestructibles), également à celle du film de science-fiction (Wall-E), mais davantage à l’expression mature des émotions. Un changement de paradigme plaçant ainsi les plus réussis des derniers Pixar moins dans le référentiel et le visuellement ébouriffant que dans l’émotion viscérale. Qu’il s’agisse de Vice-Versa ou du tristement mal-aimé Le Voyage d’Arlo, tous deux ont marqué une rupture dans l’écriture, volontiers plus tragique, plus complexe dans ses thématiques, à bien des égards plus mature. Une approche dont on pouvait d’ailleurs sentir les prémices dans l’introduction de Là-Haut, et plus encore dans Toy Story 3, sublime requiem d’une époque révolue laissant place, avec tristesse et mélancolie, à l’inconnu.

Toy Story 3, dont on retrouve enfin le même réalisateur sept ans plus tard à la barre de Coco, attendu comme le messie par les uns, craint par les autres, notamment par celles et ceux y voyant d’entrée de jeu une redite américanisée de La Légende de Manolo, film d’animation mexicain produit à l’époque par Guillermo Del Toro. Un scepticisme qui en dit long quant à la perte de crédit qu’a pu subir Pixar, pour beaucoup rentré dans le rang, au point de voir Joyeuses Fêtes avec Olaf, dérivé de La Reine des Neiges projeté avant Coco en lieu et place du traditionnel court-métrage, créer davantage l’événement. Les premières minutes de Coco ne laissent pourtant guère place au doute : si de réel désaveu il devait y avoir, il serait encore à chercher du côté d’une concurrence artistiquement toujours autant dépassée.

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Aussi, de manière analogue au débat ayant animé le milieu vidéoludique lors de la génération X360-PS3, opposant l’esthétique métallique et grisâtre incarnée par Gears Of War, et celle volontiers plus chatoyante et colorée portée par Uncharted 2 : Among Thieves, la projection de Coco suite à celle de Joyeuses Fêtes avec Olaf ne manque pas de provoquer un violent choc visuel. Les goûts et les couleurs ne discutent peut-être pas, reste que ces dernières brillent de mille feux dans Coco. La profusion de détails, l’élégance de la lumière, tout comme la palette chromatique déployée nous immergent d’emblée, subjugués, dans un univers pourtant marqué du sceau de la Mort. Ni plus ni moins qu’une une épiphanie visuelle à tomber. Dans la veine de ce en quoi Pixar a toujours excellé, Lee Unkrich fait du jeu des contraires le socle de son unité.

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Du Jour des Morts (El Día de Los Muertos, fête païenne mexicaine au cours de laquelle les familles célèbrent leurs défunts), Lee Unkrich retire donc de son folklore chatoyant les couleurs vives, chaleureuses, finalement festives. Le décès d’un proche, par nature douloureux, se fait ici instant de communion, de partage et d’union. L’épreuve du deuil et la résilience qui en découle dans Coco se soustraient à la sinistrose émotive qui guettait. Tout manichéisme exclu, la mort et ses conséquences ne font qu’un avec le monde des vivants, pour lequel celles-ci représentent moins une fin qu’une forme de (re)commencement. La véritable disparition des êtres chers dépend en premier lieu de la trace que leur entourage (famille, amis) en gardent à travers les âges et leur histoire. C’est ainsi que dans le monde de Coco, chaque mort peut continuer d’exister dans le royaume des Morts tant et aussi longtemps qu’un membre de sa famille apposera l’une de ses photos sur la ofrenda lors du Jour des Morts, entretenant par là même la flamme de son souvenir. Une flamme qui s’éteindra définitivement dans le cas contraire, conduisant alors à la tragique disparition du défunt oublié de tous, effacé de toute mémoire, de la même manière que Bing Bong dans Vice-Versa.

Si l’on peut donc voir un côté rassurant (notamment pour les enfants) dans cette vision d’une mort et d’un deuil à multiples niveaux, évacuant leur stature définitive et sans retour, Lee Unkrich, en contrepartie, en transfère la dureté sur un plan allégorique, où chaque choix que devra effectuer Miguel, jeune mexicain épris de musique (prohibée par sa famille), le mettra face à un dilemme funeste : renoncer à ce qui le meut et à une partie essentielle de ce qu’il est, ou sauver de l’oubli celles et ceux qu’il aime. Une thématique unique ou presque dont Lee Unkrich va pousser la logique jusqu’au bout, jusqu’au terme du métrage achevant une gradation émotionnelle terrassante, à l’égal du travail de Juan Antonio Bayona sur A Monster Calls (dont il pourrait être le film-miroir à bien des égards), ou de celui de Pete Docter sur Vice-Versa. Renouant d’un même tenant avec une forme d’épure déjà à l’œuvre sur Le Voyage d’Arlo, l’assise scénaristique de Coco perdant elle aussi en complexité et en degrés de lecture ce qu’elle gagne alors en émotions pures. Un choix qui pourrait paraître de prime abord anodin, mais qui entérine pourtant à lui-seul le ton résolument mature des enjeux et du récit.

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Une entreprise de déconstruction émotive à laquelle la forme déployée par les équipes de Pixar ne saurait être étrangère, tant sa conception et son exécution participent de cette volonté de proposer un spectacle bouleversant sous couvert d’un métrage par ailleurs pleinement divertissant. Repoussant toujours plus les limites de leur médium, les animateurs de la firme à la lampe ont réussi à conférer à Miguel en particulier, ainsi qu’aux autres personnages loin d’être en reste sur ce plan, des expressions faciales criantes de vérité, malgré leur design cartoonesque une nouvelle fois en guise de miroir à opposer. Si crédibles qu’il n’est pas rare d’oublier que sont en train de vivre de « simples » personnages animés, balayant un à un tous les pièges de l’Uncanny Valley, et répondant intelligemment à la quadrature du cercle du milieu : conjuguer le dynamisme et l’outrance propres à l’animation, et le respect du réalisme sensible des émotions.

Si la chance devait effectivement sourire aux audacieux, Coco intégrerait sans nul doute le cercle des bienheureux. À sa justesse, ce dernier a ainsi ajouté un sens du timing salvateur, pertinent à défaut d’avoir été conscient (trois à quatre ans de gestation étant le strict minimum pour ce genre de productions). À l’instar des grands films touchant juste car pleinement dans l’air du temps, la sortie de Coco, un an après l’élection de Donald Trump, ne pouvait pas mieux tomber pour précisément défendre tout ce que l’actuel président américain entend piétiner. Car outre les thématiques précédemment évoquées, Coco relève fortement, et ce à tous points de vue, de la déclaration d’amour forte et sincère envers un pays, un voisin, à la culture et la créativité niées, ici défendues et magnifiées.

Nul doute que dans un monde au cruel besoin de sens et de lumière, la pureté de Coco représentera pour beaucoup, n’en déplaise aux cyniques, un superbe bol d’air, un bien précieux, à chérir, plus que jamais salutaire. Soyons rassurés : Pixar a encore beaucoup de choses à dire, même si pour cela, il faudra parfois composer avec le pire.

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