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Mugabe : les raisons de la chute « d’une légende »

Publié le 04 décembre 2017 par Unmondelibre
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Leader charismatique de la ZANU devenu ZANU-PF (Zimbabwe African National Union – Patriotic Front),  parti qu’il a crée avec quelques amis nationalistes, Mugabe est considéré comme une légende dans son pays. Mis sous les verrous pendant 10 ans puis contraint à l’exil, il a fait des sacrifices énormes pour libérer le pays de l’occupation blanche en 1980. Mugabe s’est alors hissé au sommet du jeune Etat.  Fort de la reconnaissance que lui a offert le peuple zimbabwéen pour sa lutte, Mugabe a assis son pouvoir, durant 37 ans.

Pour cela, il a bénéficié de l’aide de l’armée qui est bâtie sur les valeurs de la ZANLA (Zimbabwe African National Liberation army), une branche armée de la ZANU-PF. Asphyxié financièrement, avec un taux de chômage élevé (environ 80%), une famine due à l’échec des reformes agraires, des crises postélectorales, le Zimbabwe de Mugabe a traversé toutes sortes d’épreuves mais le vieillard qui promettait de fêter ses 100 ans au pouvoir a réussi à se maintenir.  Pourtant, les choses changent vite. Inimaginable encore il y a deux mois, Mugabe a été contraint à la démission.  Qui a eu raison de la longévité au pouvoir du vieux président ?

La ZANU-PF dit stop !

Au sein de la ZANU-PF, personne n’envisageait d’arracher le fauteuil de Mugabe tant qu’il était encore assez solide pour l’occuper. Âgé de 93 ans, l’on croyait que la fin de son règne ne serait soumis qu’au facteur temps. Du coup, il fallait rester soudés les uns aux autres pour conserver le pouvoir au sein du parti même, alors qu’en coulisse la question de sa succession se posait déjà. Le facteur déterminant de la disgrâce demeure l’envie de Mugabe de transmettre le pouvoir à son épouse. Une envie confirmée par Grâce Mugabe elle-même. Ces intentions avouées, conjuguées à l’éviction du vice-président Emmerson Mnangagwa, l’héritier désigné de Mugabe par la ZANU-PF  depuis des années, ont accéléré le processus de déchéance. Au sein de la ZANU-PF, il n’était plus question d’accorder un temps supplémentaire à Mugabe vu son âge avancé. Il ne fallait surtout pas permettre à Grâce Mugabe de s’enraciner et de récupérer le pouvoir. Elle qui ne fait en effet pas l’unanimité au sein du parti bien qu’elle soit à la tête du rassemblement des femmes.  Les cadres du parti ont été clairs, le pouvoir ne peut revenir à une personne née en Afrique Sud et qui n’a pas contribué à la guerre de libération. Cette guerre intestine de succession a beaucoup contribué à la chute brusque de Mugabe.

La main armée de Mugabe rejette Grâce

L’autre facteur, et non des moindres, c’est l’attitude de l’armée qui a lâché Mugabe. Cette armée qui a toujours assuré la solidité du régime de Mugabe depuis 1980 a été écartée de la gestion de l’Etat ces dernières années. Cette armée, au prix au sang, a pourtant pesé pendant la lutte pour l’indépendance et elle a été le pilier qui a permis à Mugabe d’asseoir son pouvoir durant  tout son règne. Elle a été surtout déterminante pour l’aboutissement des reformes parfois dangereuses telles que la politique agraire qui aurait pu mécontenter les fermiers blancs susceptibles de se révolter.

Pendant les tensions dues à la crise postélectorale de 2008, l’armée s’est encore positionnée en faveur de Mugabe. Mais, depuis les accords politiques ayant permis d’apaiser les tensions, l’armée a vu ses privilèges se rétrécir auprès du vieux lion qui a décidé d’impliquer son épouse dans les prises de décisions. Cette dernière a  écarté les hauts gradés autour de son mari. En effet, intelligente, Grâce Mugabe savait que les anciens combattants de la guerre d’indépendance et les hauts cadres de l’armée, qui à travers des manœuvres obscures maintenaient son mari au pouvoir, étaient les seuls capables de mettre fin à ses ambitions personnelles. Cette manipulation de la part de l’épouse Mugabe a frustré certains hauts gradés qui n’ont pas hésité à saisir l’opportunité pour punir Mugabe.  L’armée a pesé lourdement dans la déchéance de Mugabe.

Mugabe évite la destitution, il part en retraite

Pris entre une ZANU-PF divisée par la guerre de succession et une armée frustrée parce qu’écartée de la gestion politique du pays, Mugabe a perdu les deux piliers traditionnels sur lesquels reposait son pouvoir. Dès lors, il a compris que sa fin politique avait sonné et que l’heure du départ était arrivée.  Mais comment ?  Il a su négocier son départ sous forme de retraite avec une sorte de prime de départ qui s’élève à plus de 10 millions de dollars (salaire, frais de déplacement, frais médiaux, etc.) et surtout  une amnistie qui couvre toutes les forfaitures qu’il aurait commises durant son règne. Mugabe s’est aussi assuré que le pouvoir soit toujours entre les mains de son parti. Ce qui lui donne plus de garantie dans l’accord de sortie qu’il a négocié mais aussi une garantie dans la continuité de l’idéologie pour laquelle il a donné toute sa vie.

Hier c’étaient Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, Mugabe aujourd’hui. Et demain ? La chute de Mugabe, est certes un soulagement pour le peuple zimbabwéen qui a souffert des décennies durant, mais cette chute devrait surtout tirer la sonnette d’alarme dans le cercle des dictateurs africains qui sèment la terreur au sein de leurs populations et font du pouvoir un bien familial. L’histoire a démontré que quels que soient la durée et l’enracinement d’une dictature, la volonté du peuple finit toujours par l’emporter. Et comme on le dit souvent : « Il faut savoir quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne te quitte ».

OREDJE Narcisse, blogueur tchadien. Le 4 décembre 2017.


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