L’absence du temps
Une insupportable contrainte pèse sur nous à tout moment, l’irréversibilité du temps. Oublier un rendez-vous nous oblige à en organiser un autre sans aucune autre solution possible.
Pourtant les sciences sociales qui se disent réalistes ont imaginé quelques moyens d’oublier cette réalité en s’installant dans « le règne fascinant de l’absence de temps » (Blanchot, 1955 : 25). Pour cela, elles utilisent plusieurs procédés si habituels, si banals qu’ils passent inaperçus au point de d’organiser des disciplines entières malgré leur évidente absurdité.
Le plus habituel consiste à rechercher (ou à imaginer) dans le chaos des changements, des permanences, des invariants. Ils sont souvent appelés structures. Immuables ils échappent à l’irréversibilité puisque le temps n’a pas d’effet sur eux. Voilà un premier tour joué.
Un autre consiste à établir une homologie avec l’espace. Si le second est réversible, le premier le devient par analogie. Le toujours invoqué espace-temps incarné par les coordonnées cartésiennes sur lesquelles il faudra revenir, réalise ce second tour. Si le temps fonctionne comme l’espace, l’irréversibilité s’oublie.
Un troisième moyen consiste à s’installer dans l’ « éléatisme », doctrine antique qui niait la présence du temps. C’est ainsi qu’Henri Lefèvre appelait le structuralisme.
Il serait possible de présenter moins grossièrement les procédés utilisés pour occulter l’irréversibilité du temps mais il s’agit surtout ici, de faire en sorte de ne jamais l’oublier.
Bernard Traimond
BLANCHOT, Maurice, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955.
LEFEVRE, Henri, Au delà du structuralisme, Paris, Anthropos, 1971.