« On ne perçoit et imagine que ce que l'on a appris à discerner dans le flux des impressions sensibles et à reconnaître dans l'imaginaire. Or, ce formatage du discernement dépend des qualités que nous avons l'habitude de prêter, ou de dénier, aux choses qui nous environnent ou à celles que nous nous figurons dans notre for intérieur. En général, ces qualités forment système à l'intérieur de ce que l'on appelle traditionnellement des ontologies. En Europe et en Amérique du Nord, par exemple, les moutons, les automobiles et le soja transgénique ne sont pas traités comme des sujets moraux : ils n'ont pas de représentants directs au parlement — même si beaucoup parlent en leur nom —, ils n'ont pas de droits intrinsèques, on ne peut pas leur faire de procès ; cela vient de ce que, dans notre ontologie moderne, les humains et les non-humains sont perçus en blocs comme ayant des qualités très différentes. En dépit du constat que la chimie et la physique des corps humains ne sont pas distinctes de celles des corps animaux et végétaux, voire de celles des artefacts, le fait que les humains parlent, s'imposent des règles, inventent des techniques, suffit pour nous les Modernes à en faire une classe d'êtres à part. Ailleurs dans le monde, là où d'autres ontologies se sont développées, une telle dissociation n'a guère de sens et l'on tendra au contraire à traiter les non-humains comme des humains du fait des qualités sociales ou psychiques qu'on leur prête…. » PHILIPPE Descola La Fabrique Des Images Musée Du Quai Branly.
Parlant des croyances des chasseurs cueilleurs canadiens ,indiens et Inuit, l'anthropologue Hughes Brody en vient à expliciter la pensée animiste des chasseurs cueilleurs établissant des connexions avec le monde et ses créatures..(il faudrait surement mettre ce texte au passé, la sédentarisation et le christianisme ayant fait son œuvre)
« Les chasseurs ont une relation avec leurs animaux; et la base de cette relation, c'est que les uns dépendent des autres. Les chasseurs-cueilleurs ont des relations similaires avec la terre elle-même. On ne peut pas toujours tracer une ligne nette entre l'animé et l'inanimé. De manière générale, échouer à prendre soin de la terre, c'est encourir un risque moral qui comporte un danger spirituel. Cela met encore en jeu des réalités spirituelles, et la relation entre les êtres humains et les esprits de ces lieux où hommes et esprits cohabitent. Ces lieux ne peuvent être contrôlés, et doivent rester intacts. "
« Le savoir des chasseurs-cueilleurs dépend de la connexion la plus intime possible avec le monde et ses créatures. La possibilité de la transformation est une métaphore du savoir total : le chasseur et sa proie se rapprochent au point qu'ils franchissent cette frontière, et que l'un peut devenir l'autre. Cette intimité procure une connaissance complète. Pouvoir se déplacer avec précision sur terre semble requérir une liberté de pensée parallèle - une absence de contrainte, une disposition à éprouver différents états d'esprit, de l'humour à la transe et à l'ivresse. Une fluidité des frontières, une perméabilité des limites, peut être vue comme utile et normale.
Les récits des chasseurs-cueilleurs révèlent tout un ensemble d'esprits qui influencent les événements et sont eux-mêmes susceptibles d'être influencés. Ces esprits sont flexibles et d'un caractère ambigu. Un fantôme devient un garçon qui devient un corbeau qui devient une plume qui devient un homme. Un homme devient un saumon qui devient un esprit qui devient une femme. Une fille devient un chien qui devient un phoque qui devient un esprit. Un esprit devient un pénis qui est mangé par une femme qui devient un renard qui devient de l'excrément qui devient des mouches qui sont des esprits. Un esprit devient un homme qui fait l'amour à un cadavre qui donne naissance à un esprit qui devient un garçon qui devient un oiseau. HUGUES BRODY .LES EXILES DE L'EDEN .EDITION DU ROCHER
De ce qui était d'abord une fluidité des frontières et constitution de « collectifs »englobant humains et non humains ,la pensée occidentale a fait une sorte de religiosité primitive dans tous les sens du mot.Pourtant l'objet « animisme » ne correspond à aucune réalité religieuse se revendiquant comme telle. Il n'est qu'un objet créé historiquement pour distinguer des croyances et des pratiques n'entrant pas dans le modèle des religions dites universalistes , les trois religions du livre surtout .Comme on le voit dans Totem et Tabou de Freud , cette reconstruction n'évite pas le mythe, alors même qu'elle se veut rationnelle et scientifique
On a ainsi beaucoup glosé sur l'animisme ; comme symbole de l'archaïsme des sociétés traditionnelles qui le pratiquaient. Dans une vision évolutionniste linéaire, on l'a situé dans un stade infantile de l'humanité. Le premier théoricien en fut Edward Burnett Taylor dans « Primitive Culture »(1871) pour qui les « primitifs » peupleraient les êtres et des choses « d'Âmes. » .Ce serait le stade premier de la religiosité suivi par le fétichisme , le poly puis le monothéisme ,chaque étape étant conçue comme un progrès de la spiritualité et de la civilisation.. L'animisme en outre ajouterait au monde quantité d'entités intermédiaires, quoique invisibles, objets des cultes et des rites, « ancêtres, esprits de la nature, génies , vodun etc, et serait lié à l'existence de médiateurs , devins et guérisseurs, par exemple les Nganga d'une partie de l'Afrique et bien sur les Chamans très présents chez les peuples sibériens, asiatiques, et amérindiens (on en discute l'existence en Afrique) )et chez les peuples de l'Arctique ,Inuit et Sâmes.-A noter qu'animistes et chamans furent férocement combattus par les missionnaires chrétiens qui y voyaient des « diableries » et des cultes sataniques.
Il est pourtant difficile de sortir des ambiguïtés sémantiques du mot âme dans la pensée occidentale. Le sens commun est l'héritier du dualisme religieux et philosophique ; théologie et philosophie raffinent de définitions sans sortir des contradictions. En gros l'être humain occidental serait composé d'un corps « matériel » et d'une âme, entité de nature spirituelle, invisible , (immortelle selon le christianisme) . Une âme qui serait le « siège » de… ou le « lieu » de… par exemple des sentiments ou du sens moral et religieux ; « lieu où siège » qu'on a localisé dans divers endroits du corps, selon les moments historiques et les cultures (le cœur – Rodrigue a tu du cœur ?- les viscères, et bien sur le cerveau.). On distinguait volontiers , une âme masculine , animus, et une féminine anima réservant à la première raison et volonté pour concéder la sensibilité à la seconde. Désormais, la psychologie croit faire œuvre de science en substituant à l'âme , la Psyché, l'esprit conçue au mieux comme énumération de facultés , intelligence, mémoire ,attention ou comme machine (appareil psychique) mais qui reste plus ou moins une « substance » parce que toujours distinct du reste du corps, à l'instar de l'âme ,avec laquelle s'entretient un jeu de définitions circulaires quand on parle par exemple d'entité spirituelle .
Par une contamination de nos langues substantialiste, on est venu ainsi dans notre tradition religieuse et philosophique à appeler âme, une réalité substantielle ,invisible et immortelle , distincte du corps et propre au seul humain mais en méconnaissant pourtant les étymologies premières et indoeuropéennes du mot . Ainsi atman, sanscrit, pneuma et psuche grecs , spiritus latin , ont chaque fois un rapport premier avec l'air, le vent et la respiration. (dans la Genèse, Dieu « insuffle » l'âme à Adam et le Verbe est d'abord un souffle).De ce souffle cosmique , dont les sociétés traditionnelles ont gardé l'idée, on a fait l'âme substantielle que véhicule la tradition ci-dessus d'où l'idée que les peuples qui pensent que l'ensemble des humains et non humains ont un souffle en partage sont dit péjorativement animistes. Par une sorte d'absurdité irrationnelle, ils doteraient être et chose d'une âme,comprise sur notre modèle de pensée théologique et philosophique.
Il est à remarquer que les sociétés traditionnelles , n'ont jamais rendu de culte à la pierre ,au vent ou à la glace comme le croyaient explorateurs et missionnaires . La valeur qu'elles attribuaient à ces éléments dépend du fait qu'ils conditionnaient leur survie. Quoique taxés d'idolâtres, par toute une tradition monothéiste, elles ne les adorent pas en eux-mêmes, ni « n'adorent » des fétiches en Afrique( le christianisme non plus , ne vénère le pain azyme mais le Christ censé être présent dans l'hostie.). Le clergé catholique fait bien office de médiateurs comme le chaman, et il possédait même dans certaines circonstances, comme l'exorcisme, les pouvoirs des magiciens. La tradition catholique,au contraire, n'a pas rompu avec la notion de miracles et du culte de statues miraculeuses.Les saints sont souvent guérisseurs, derniers avatars de divinités païennes. Les cultes et les rites dans les sociétés traditionnelles s'adressent en fait à la « puissance », à l'énergie que captent et condensent certains objets, « fabriqués » à cet effet (festigio portugais a donné fétiches) . Selon les principes de l'animisme ,un souffle cosmique génère et régénère perpétuellement la nature produisant des évènements à partir de potentialités. Le souffle cosmique se propage dans les êtres et les choses, irriguant le monde à la façon du sang dans le système circulatoire. Par son dynamisme, la nature ne cesse ainsi de faire passer les possibilités, dont elle est grosse, de la puissance à l'acte, assurant la gestation de toute production objective, puis la désagrégeant pour qu'elle cède sa place une autre. Comme l'a dit Placide Tempels dans la philosophie Bantoue. « l'être est force ». ce que précise le philosophe béninois Paul Aclinou à propos du système de croyances vodun.
« Le monde aurait été créé selon cette conception par un principe qui utilisa un autre principe énergétique d'ordre général. Selon cette optique, le monde aurait été créé par Gbêdoto, c'est-à-dire littéralement : « celui qui possède la vie » ou bien « celui qui fonde la vie », ou encore « celui qui génère la vie » ; c'est-à-dire un Être qui a le pouvoir de création du vivant. Il n'est pas dit que ce soit Ma Wu, l'Etre Suprême, car, d'une manière générale, les peuples qui situent leurs origines à Tado évitent de mêler ^'Incommensurable - Ma Wu - à beaucoup d'aspects de notre monde ; modestie ou prudence ? Je l'ignore. Par ailleurs, seule la création des vivants (au sens large) est envisagée ; en effet Gbê-Do-To se décompose en « Gbê » qui signifie : vie) et « Do Tô » (qui se comprend comme possesseur, réalisateur) ; c'est donc un principe créateur plutôt qu'un Être quelconque ; ce principe se serait servi d'un autre principe appelé Ashê que nous pouvons traduire par pouvoir, puissance, sérénité, potentialité... c'est-à-dire, un pouvoir qui permet d'amener un phénomène, une action, une idée à l'existence réelle, physique. Il s'agit d'un pouvoir de passage qui mène de la potentialité à la réalité physique. En fait, c'est une notion qui est très difficile à rendre dans la langue française et qui peut se traduire par «Le pouvoir de faire venir les choses » ; avec ce pouvoir, Gbêdoto créa le monde des vivants selon les Adja-Tado. Quant au monde géologique, il n'en est pas vraiment question ; tout se passe comme si l'existence du monde physique entrait dans un plan qu'il est inutile de conceptualiser ; le monde existe et on prend acte de cette existence, c'est tout ! ».Paul Aclinou. Une Pédagogie Oubliée Le Vaudou
Dans ces sociétés, les êtres intermédiaires sont ainsi des forces naturelles(les dieux grecs étaient ainsi à l'origine) ayant des degrés de puissance divers, énergies qu'il s'agit d'apprivoiser ou de capter, de domestiquer en les enfermant, dans des objets, devenus « forts » par leur présence..Peupler le monde d'entités intermédiaires invisibles, porteurs d'énergies et d'agency n'est pas le seul fait d'un animisme qu'on dit infantile pour cette raison ; nos religions le font -ainsi le culte des saints dans le christianisme, une forme de culte des ancêtres et d'intercesseurs auprès de la divinité.. Mais la science aussi, qui fait apparaitre perpétuellement des « êtres nouveaux », quoique invisibles, par ses opérations de laboratoire et dont elle popularise l'existence ; l'éboulis de Malaurie , le microbe de Pasteur, les électrons, neutrinos, trous noirs, matière noire, antimatière etc.. La différence est que nous considérons comme uniquement valides les résultats de la science et les entités qu'elle introduit, rejetant le reste , placé sous le registre des croyances. . On oublie, à l'instar des média ou des manuels scolaires, que ces résultats scientifiques sont le produit d'une longue genèse tâtonnante , où certaines entités disparaissent après avoir tenu le devant de la scène , ainsi « l'éther » longtemps censé porter les ondes électromagnétique. On ne parle plus guère de microbes, que Pasteur introduisit en biologie et médecine, sinon comme mot entré dans la langue commune , mais désormais de virus ou de bactéries.
« L'insistance de ces questions aujourd'hui montre que la notion de monde ne va plus de soi. Nous sommes perdus dans un labyrinthe toujours plus complexe d'entités nouvelles. Il est devenu si impossible de lister tous les éléments qui composent le monde, (atomes, particules, ondes, supercordes, rayonnements, éléments chimiques, molécules, acides, protéines, organes, vivants, objets techniques, sphères cybernétiques, réseaux informatiques, axiomes mathématiques, langues, pratiques sociales, institutions, régimes politiques, sujets pensants, consciences...) que tout projet de recollection a été abandonné. Quel que soit le niveau où l'on se situe, nous savons bien pourtant que ces portions de «réalité», isolées, distinguées par les innombrables ramifications de la connaissance, se traversent les unes les autres, se recoupent, sont nécessairement en rapport, se croisent de mille manières. Mais, la manière dont les savoirs se sont constitués les a rendus incompatibles. Une histoire très particulière a réparti les savoirs selon deux lignes parallèles qui ne se rejoignent sur aucun point. Nous continuons de penser à l'intérieur d'un monde scindé, partagé, divisé, avec de multiples sous-divisions, un monde dualiste. D'une part, le monde sans homme de certaines sciences, matériel, neutre, indifférent, de l'autre, l'homme sans monde de certaines philosophies et sciences humaines, hautain, plus que nature, transcendant, spirituel. Forment-ils la seule alternative pour penser notre monde2? Nous arpentons depuis si longtemps ce monde qui oscille entre le naturalisme extrême et le spiritualisme le plus échevelé, y compris religieux, que nous avons renoncé à l'idée d'un monde qui réunirait tous les êtres, sans plus les séparer par des distinctions et des limites. David Abram.Comment La Terre S'est Tue.
Il faut donc retracer l'histoire de l'animisme dans notre culture puisque celui que l'anthropologie la popularisé à ses débuts est en fait une construction de l'occident théologique et scientifique projetée sur l'Autre.
Tout remonterait au 17ème siècle avec les théories vitalistes et animistes de Georg Ernst Stahl (1660-1734), médecin et professeur de médecine à Halle, en Allemagne orientale. Celui-ci serait l'initiateur du terme animisme. Il a donné ce nom à une théorie spéculative de l'immortalité de l'âme ,conçue sur le paradigme de l'architecte, comme principe suprême de l'organisme vivant, dont les mouvements immatériels piloteraient tous les processus du corps humain par l'intermédiaire du cerveau et du système nerveux.Il s'opposait ainsi au dualisme cartésien, séparant âme et corps comme héritier de la physique galiléenne.
« Selon Stahl , les corps des humains, comme ceux des animaux, possèderaient « une âme architectonique » : une âme qui, malgré son immatérialité, serait capable d'organiser toute matière vivante; une âme qui, malgré son imperceptibilité, rendrait possible la perception de tout ce qui se voit ou se ressent; une âme qui, malgré son absence de forme, donne forme à chaque corps qu'elle habite, lequel, en son absence, ne serait qu'un amas de particules inorganisées….
La tectonique animiste proposée par Stahl se manifeste dans des opérations invisibles, voire « inconscientes », qui sont présentes dans la structure, le plan et in fine la typologie (de construction) d'une espèce entière, en opposition totale avec les vieilles théories physionomistes selon lesquelles l'on pourrait lire l'âme sur la face d'un individu ou d'un immeuble. L'influence de l'âme est catholique en ce qu'elle façonne toutes les parties d'un organisme, depuis sa structure générale à ses plus menus détails, en passant par les appendices quasi ornementaux dans lesquels les mouvements les plus délicats et/ou les plus imprévisibles de l'âme trouvent leur expression. Qui plus est, l'âme confère à chaque organe des propriétés physiologiques, comme la mémoire, qui rendent visible sa vie présente et passée, voire son évolution. L'âme n'est pas seulement architecte, mais aussi historienne de l'architecture. « L'âme Est L'architecte De Son Propre Corps » http://id.erudit.org/iderudit/
Pour Stahl, l'animisme et le vitalisme seraient inséparables : L'âme n'est pas la vie, mais permet l'apparition des conditions de la vie. la vie est le processus par lequel la matière organique s'anime, tandis que l'anima ou l'âme est l'auteur créatif qui gouverne tous les processus vitaux. Le corps est « l'organe » de l'âme, le moyen par lequel celle-ci exécute ses opérations d'ordination . L'organisation animiste proposée par Stahl se manifeste dans des opérations invisibles, voire « inconscientes, comme le mouvement des passions ou l'action de l'imaginaire.Le processus formatif n'est pas a priori mais se déroule et se modifie tout au long d la vie.
Stahl aurait ainsi influencé Tylor et son étude d'anthropologie comparée : « Primitive Culture » Le deuxième tome de l'ouvrage fait ainsi ressurgir l'animisme du médecin du 17ème mais avec d'importantes différences .
« l'animisme est la croyance que les êtres naturels ont des forces spirituelles qui les habitent et qui leurs donnent une puissance surhumaine ». Tylor s'efforce donc d'identifier l'origine de cette croyance et d'en reconstituer le développement. Il est amené à finalement reconstituer toute l'étymologie du mot comme souffle mais sans paraitre y attacher tellement d'importance sinon comme « idées vagues et barbares » dans le cadre d'une religiosité des primitifs ou des paysans.Le « primitif » arriverait à l'idée d'un principe différent de son corps, c'est-à-dire à l'idée de « l'âme » , à la suite de deux expériences psychophysiologiques : d'une part, les phénomènes du sommeil, de la maladie, de l'extase (la transe) et de la mort ; d'autre part, l'expérience personnelle des rêves et des visions. Quand ce principe abandonne provisoirement le corps, l'homme s'endort, l'âme vagabonde et a ses propres expériences, les rêves. Lorsque l'âme se sépare du corps, c'est la mort. L'extase et la maladie s'expliquent également par un abandon temporaire du corps par l'âme.
« une image humaine immatérielle, de par sa nature, une sorte de vapeur, de pellicule ou d'ombre ; cause de la vie et de la pensée dans l'individu qu'elle anime… capable d'abandonner le corps et de se déplacer très rapidement d'un endroit à un autre ; le plus souvent insaisissable et invisible, et pourtant déployant une force physique, et surtout apparaissant aux hommes à l'état de veille ou de sommeil comme un fantôme séparé du corps, qui lui ressemble ; continuant à exister et apparaissant aux hommes après la mort du corps ; capable de pénétrer dans le corps d'autres êtres humains, d'animaux et même d'objets, de les posséder et de les faire agir. » Primitive Culture
Selon Tylor, la croyance en la post-existence de l'âme a donné lieu au culte des morts et des ancêtres. L'idée de la transmigration des âmes s'expliquerait également à partir des mêmes phénomène
Cependant et c'est une importante nuance avec Stahl ,selon Tylor, les « sauvages » verraient des âmes partout: «les rivières, les pierres, les arbres, les armes et ainsi de suite, sont traités comme des êtres vivants intelligents. ;
L'idée même de l'anima serait en outre associée à un comportement menaçant de la part des objets naturels ou artificiels (fétiches) auquel on peut répondre par une suite d'actions ambivalentes (punition, conciliation, prières, sacrifices). Tylor note que cette pratique d'échange réciproque avait déjà été évoquée par les études sur le fétichisme du président de Brosses ainsi que dans l'histoire de la religion naturelle de Hume ou encore la loi des « trois états » dans la philosophie positive de Comte. Mais Tylor opère une distinction entre animisme et fétichisme. Par opposition au fétichisme, l'animisme ne se focalise pas sur un objet en particulier; au contraire, l'anima est une propriété commune à tout corps naturel : humain, animal, végétal et minéral. Cette force ne se concentre pas au sein d'un objet particulier, mais circule et se distribue au sein des personnes et des choses.
« Sous le nom d'animisme, je me propose d'étudier ici la doctrine profondément enracinée des êtres spirituels, croyance qui est l'essence de la philosophie spiritualiste, en tant qu'opposée à la philosophie matérialiste. Animisme n'est point un terme technique nouveau, quoiqu'il soit rarement employé. Désignant plus spécialement la doctrine de l'âme, nous verrons avec quelle justesse il s'adapte à la façon dont nous allons envisager le mode d'évolution des idées théologiques dans l'humanité.
. La croyance à des êtres spirituels, tel est, dans sa plus large acception, le sens du mot spiritualisme ; c'est dans le même sens que nous employons ici le terme animisme.
L'animisme caractérise les tribus les plus inférieures dans l'échelle de l'humanité ; puis, de ce premier échelon, modifié profondément dans le cours de son ascension, mais, du commencement jusqu'à la fin, gardant une continuité parfaite, il monte et s'élève jusqu'à la hauteur de notre civilisation. Chez les peuples sauvages, comme chez les peuples civilisés, la base réelle de toute philosophie religieuse, c'est l'animisme. Il peut, de prime abord, ne paraître fournir qu'une bien pauvre et bien maigre définition d'un minimum de religion ; mais , en fait, cette base est suffisante ; où se trouvent, en effet, les racines, poussent ordinairement les branches. La théorie de l'animisme embrasse d'ordinaire deux grands dogmes, parties intégrantes d'un même tout et qui en constituent les deux divisions. Le premier à trait à l'âme individuelle, dont l'existence peut se prolonger après la mort, c'est-à-dire après la destruction du corps ; le second a rapport aux autres esprits, y compris les divinités suprêmes. Les êtres spirituels sont considérés comme exerçant une influence et un contrôle sur les événements du monde matériel, sur la vie de l'homme ici-bas et ailleurs. Mais, comme on admet que ces êtres correspondent avec les hommes, que les actions humaines leur causent de la joie et du chagrin, la foi en leur existence conduit naturellement tôt ou tard – l'on pourrait presque dire inévitablement – à des actes de culte et de propitiation. Ainsi, dans son plein développement, .l'animisme comprend la croyance à l'âme et à la vie future, à des divinités directrices et à des esprits subordonnés, doctrines qui ont pour résultat pratique divers actes d'adoration.sation moderne.
Si l'on veut se faire une idée juste de ce que le peuple entend par l'âme, par l'esprit de l'homme, il faut passer en revue les mots imaginés pour la rendre. Le spectre ou fantôme aperçu par le rêveur ou le visionnaire est une forme substantielle, quelque chose comme une ombre : de là, pour désigner l'âme, l'emploi du mot l'ombre. C'est ce qui explique que les Tasmaniens n'aient qu'un seul mot pour exprimer l'idée d'âme ou celle de l'ombre 609. Chez les Indiens algonquins, l'âme de l'homme c'est otah-chuk, son ombre.
Ecoute plus souvent
Les Choses que les Etres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Ecoute dans le Vent Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.
La respiration, fonction si caractéristique chez les animaux supérieurs, et dont la disparition se lie si étroitement avec la cessation de la vie, a été mainte fois et tout naturellement confondue avec la vie ou l'âme même … Or, c'est par une semblable association d'idées que, dans l'Australie occidentale le même mot waug signifie respiration, esprit et âme ; en Californie, dans la langue netela, piuts signifie à la fois vie, respiration et âme; certains Groenlandais reconnaissent à l'homme deux âmes, l'ombre et la respiration7 ; l'âme s'échappe par les narines du mort, disent les Malais, et, à Java, pour rendre les idées de respiration, vie et âme, on emploie la même expression nawa Les réponses, recueillies en 1528 dans une enquête religieuse faite chez les indigènes du Nicaragua, montrent à quel point ces notions de vie, de cœur, de souffle, de fantôme, s'unissent et se confondent dans la conception d'âme et d'esprit, et en même temps combien ces idées sont vagues et décousues chez les races barbares. Citons quelques passages de cette enquête : « Quand on meurt, il sort quelque chose de la bouche, qui ressemble à une personne et qui porte le nom de julio (aztèque yuli, vivre). Cet être se rend à l'endroit où vont l'homme et la femme. C'est encore une personne, mais qui ne meurt pas, bien que le corps reste dans ce monde. » - Demande. « Ceux qui vont au ciel conservent-ils le même corps, le même visage, les mêmes membres qu'ici-bas ? » Réponse. « Non, mais seulement le cœur. » - D. « Et le cœur a été arraché (comme dans le cas d'un captif immolé), qu'arrive-t-il ? » - R. « Ce n'est pas précisément le cœur, mais ce qui fait que nous vivons, ce qui abandonne le corps au moment de la mort, » ou, comme il est dit dans un autre questionnaire, « ce n'est pas le cœur qui monte au ciel, mais le souffle qui fait vivre, c'est-à-dire la respiration qui s'échappe par la bouche sous le nom de Julio. » On peut suivre cette conception de l'âme sous forme de respiration, à travers l'étymologie des mots sémitiques et aryens, d'où elle a passé dans la philosophie du monde entier. Les Hébreux se servent du mot nephesh, souffle, en lui donnant les significations diverses de vie, âme, esprit, animal, tandis que la même transition s'opère entre souffle et esprit, au moyen des expressions ruach et neshamah ; à ces expressions correspondent les mots arabes nefs et ruh. On peut reconnaître un rapport identique entre les mots sanskrits âtman et prâna, entre les mots grecs psychè et pneuma, entre les mots latins animus, anima et spiritus. De même encore ; l'expression slave dukh signifiant littéralement souffle finit par désigner l'âme ou l'esprit. Les Bohémiens emploient le mot dûk dans le sens de souffle, esprit, fantôme, soit que ces parias aient empruntés le mot à l'Inde et comme leur part d'héritage du langage aryen, soit qu'ils l'aient adopté lors de leurs migrations à travers les pays slaves. Le geist allemand et le ghost anglais ont pu avoir également à l'origine le sens de souffle. Or, qui serait enclin à ne voir dans ces expressions que de simples métaphores, pourra se faire une idée du rapport étroit existant entre le souffle et l'esprit, par des exemples frappants. Ainsi, chez les Séminoles de la Floride, quand une femme mourait en couches, on plaçait l'enfant sur son visage, afin qu'il reçut l'esprit qui s'échappait, et qu'il put ainsi hériter de la force et de l'expérience de sa mère. Ces Indiens auraient parfaitement compris pourquoi, au lit de mort des anciens Romains, le plus proche parent se penchait pour aspirer le dernier souffle du mourant (et excipies hanc animam ore pio). On trouve encore à notre époque des traces de telles idées chez les paysans tyroliens, qui s'imaginent que l'âme d'un homme de bien s'échappe de sa bouche, au moment de sa mort, sous la forme d'un petit nuage blanc » Edward Burnett Tylor. Primitive Culture. Tome Premier. (c'est moi qui souligne ici)
A suivre)