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Max | Shanidar

Publié le 22 décembre 2017 par Aragon

Quand je mourrai, enterrez-moi avec ma guitare sous le sable  /  Quand je mourrai, parmi les orangers et la bonne menthe...

F.G. Lorca

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Ce que je vous raconte est une histoire vraie, jusque dans le moindre détail. Je m'en souviens comme si c'était hier. Je m'en souviens car j'y étais. J'y étais car je la sais...

C'était au tout début juillet, personne n'était triste car Faathi ne l'aurait pas voulu. La fosse était creusée depuis la veille. Dès l’aube ils étaient tous partis aux alentours pour faire la cueillette aux morts, avaient gravi la ligne de crête toute proche, exploré les talwegs asséchés, étaient allés vers les points d’eau, le clan était revenu avec des brassées multicolores et odorantes… Les enfants descendus sous la terre disposaient à présent, accompagnaient leurs gestes précis en chantant avec la musique du souffle

À l’intérieur de la fosse, coffre prêté par la terre, il y avait déjà un parterre de fleurs, d’herbes et de buissons, une palette de couleurs… Du bleu presque violet, celui des clochettes de muscaris en grappes serrées, du jaune, avec les houppes et le pompons des centaurées du solstice et des séneçons, le blanc avec les délicats capitules des achillées millefeuille, le vert tendre des buissons d’ephedras, la soie des pétales des roses trémières, c’était un ravissement…

L’air était si pur, il faisait si beau ce jour-là quand ils posèrent les corps avec une infinie délicatesse sur cet enchantement végétal, refermèrent le coffre avec une lourde dalle de basalte noir qu'ils jonchèrent du reste des fleurs et des buissons. C'était ainsi que l'on enterrait les morts à Shanidar.

À Shanidar la vue des jours et des nuits se perdait jusques dans les plus grands, les plus lointains infinis... Infinitude chaotique montagnes, rochers, crêtes, points d'eau, buissons nourriciers, herbe rase. À Shanidar les clans vivaient en paix depuis des temps immémoriaux, baies, fruits, menus animaux, eau. À Shanidar les rapaces veillaient sur les hommes, ils étaient leurs yeux et leur mémoire. À Shanidar la nuit n'était jamais hostile, elle offrait presque chaque soir la féérie de ses myriades de rochers dorés jetés là-haut en des temps anciens par d'autres plus anciens. À Shanidar le temps s'était réconcilié avec les hommes, seule la terre grondait dans son ventre, de temps à autre, un éboulement de rochers avait pris la vie de Faathi et de son bébé.

Un jour lointain quand je mourrai, je voudrai être enterré comme Faathi et son bébé à Shanidar, il y a soixante mille ans. Avec des fleurs, des herbes, la musique du souffle et de la joie...


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