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Le funambule et les fatwas : MBS et l’institution religieuse en Arabie saoudite

Publié le 23 décembre 2017 par Gonzo

Le funambule et les fatwas : MBS et l’institution religieuse en Arabie saouditeDans la grande campagne de promotion chantant les mérites de la « nouvelle Arabie saoudite » voulue par le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), on évoque beaucoup la possibilité pour les femmes de conduire et, désormais, ces autres enjeux sociétaux tout aussi symboliques que sont l’organisation de concerts ainsi que l’ouverture prochaine de salles de cinéma. Il convient de s’intéresser également à une autre question, celle de la réorganisation de l’institution religieuse, notamment à travers la réforme de ces « avis juridiques », plus connus sous le nom de fatwas. Une affaire de taille, pourtant, dans un État qui repose, depuis ses origines, sur un équilibre constamment renouvelé entre le pouvoir d’une famille, celle des Saoud, et celui des représentants de ce courant de l’islam connu sous le nom de wahhabisme.

De ce point de vue, le pouvoir saoudien a pris, à la fin du mois de novembre une mesure que l’on peut qualifier, sans exagération, d’historique, en annonçant la création d’un nouvel organisme chargé de veiller à la bonne utilisation des hadiths prophétiques (sur lesquels se fondent pour l’essentiel les fatwas). Réunissant des religieux en provenance « de diverses contrées islamiques » et présidé par Muhammad Bin Hasan Al Al-Shaykh (محمد بن حسن آل الشيخ), membre du Conseil saoudien des oulémas, le nouvel organe, intitulé l’Assemblée du roi Salman ben Abdul-Aziz Al-Saoud pour le hadith (مجمع الملك سلمان بن عبد العزيز آل سعود للحديث النبوي الشريف), a pour mission de lutter contre la mauvaise utilisation des dits prophétiques, notamment par ces religieux extrémistes qui savent si bien embrigader, à des fins « terroristes », les esprits d’une bonne partie de la jeunesse du pays (voir ce billet d’août 2014).

La démarche est particulièrement significative puisqu’il ne s’agit plus seulement de rogner les prérogatives de l’institution religieuse – comme cela s’est déjà passé en avril dernier lorsque la « police des mœurs s’est vu retirer une partie de ses pouvoirs (article dans La Croix). Cette fois, il s’agit bien, comme le soulignent certains observateurs, notamment dans cet excellent article publié dans Al-Akhbar, de mettre au pas les dignitaires religieux en les obligeant à collaborer, bon gré mal gré, à leur propre marginalisation politique en les soumettant à l’ordre du jour dicté par le roi-à-venir.

D’ailleurs, les nouvelles orientations ont été confirmées par la voix de deux femmes, membres (au sein du quota des 20 % imposé par le régime) de l’Assemblée consultative (la shura). Le 12 décembre dernier, Samia Bukhari (سامية بخاري ) a ainsi proposé que le conseil des fatwas n’ait plus la haute main sur les avis juridiques, de telle sorte qu’on puisse réviser quelques décisions trop vieilles et anachroniques. Sa collègue, Fatima al-Garni (فاطمة القرني) est même allée jusqu’à suggérer qu’il serait bon que des femmes soient désormais appelées à participer à la rédaction de ces fatwas !

C’est un fait qu’au rythme des transformations voulues par le régent et son équipe, bon nombre d’avis juridiques, pourtant émis il y a bien peu de temps, ne sont vraiment plus à l’ordre du jour. Sans remonter à une célèbre fatwa dans laquelle un des plus importants religieux du pays disait tout le mal qu’il pensait de la plupart des chaînes de télévision (voir ce billet de l’année 2008), il suffit de se souvenir qu’il y a un peu moins d’un an le mufti du pays condamnait sévèrement tant la musique que le cinéma, qui « ne valent rien et mènent à la fornication, à la débauche et même à l’athéisme » (لا خير فيها ومفسدة وتقود للخلاعة والمجون والإلحاد) comme on le signalait dans ce billet. Des salles de cinéma devraient ouvrir au prochain printemps et, quant aux concerts, ils se font de plus en plus fréquents, en dépit des résistances qui ont provoqué l’annulation de certaines dates, celles de l’Égyptienne Sherin Abdel-Wahab par exemple.

Cette mise au pas de l’institution religieuse constitue un vrai examen de la capacité de MBS à imposer les changements qu’il a en vu pour le pays sur lequel il s’apprête à régner. En effet, il ne s’agit plus, comme par le passé, de mettre au pas des religieux un peu trop rigoristes, voire carrément délirants (comme lors de certaines fatwas demeurées célèbres : une sélection – en arabe – par le site elaph en 2008). Il n’est pas davantage question de s’en prendre à certains cheikhs extrémistes pour mieux souligner le caractère « modéré » de la ligne officielle comme l’expliquait, à juste titre alors, Madawi Al-Rasheed au sujet des réactions à propos du droit des femmes à conduire. Désormais, le jeune prince régent qui se livre, plus que jamais, à un grand jeu d’équilibre sur le fil qui doit le conduire, lui et ses sujets, vers sa « vision 2030 » de la nouvelle Arabie saoudite, affronte directement le second pilier du pouvoir saoudien. Alors qu’il s’est fait déjà beaucoup d’ennemis en raison d’une politique que l’on peut qualifier au choix d’audacieuse ou d’imprudente, il va lui falloir de très grandes qualités de funambule.


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