Propulsé sur le devant de la scène grâce à la nouvelle directive européenne des services de paiement (DSP2), le concept de banque ouverte (« open banking ») entre peu à peu dans les discours des institutions financières. Mais il leur reste un long chemin à parcourir pour dépasser le stade des intentions et en saisir les opportunités.
À écouter les responsables de 75 établissements interrogés par Gartner pour une étude commanditée par l'EFMA, la majorité d'entre eux (90%) affirme préparer leur transformation en banque ouverte d'ici 3 ans. En parallèle, dans leurs prédictions pour 2018, les analystes de Forrester considèrent au contraire que la tendance ne concernera qu'une minorité d'organisations. Selon mes observations, ces derniers sont plus crédibles… et il paraît bien peu probable que la situation s'améliore à moyen terme.
Pour comprendre l'écart de perception entre les deux cabinets, qui ne tient pas qu'à une différence d'échelle de temps (d'ailleurs, pour Gartner, plus de la moitié des transitions seront concrétisées sous un an), il faut d'abord s'attarder sur ce que chacun intègre dans la notion de banque ouverte. Pour les optimistes, la publication d'API (à destination de développeurs tiers, doit-on supposer) suffirait pour justifier le qualificatif. En rester là serait pourtant une erreur, que beaucoup s'apprêtent hélas à commettre.
Ainsi, bien qu'il s'agisse, au sens strict, d'une forme d'ouverture, les programmes qu'engagent actuellement la plupart des banques en vue de leur mise en conformité (avant la mi-2019) avec les exigences de la DSP2 sont loin de prendre en compte toutes les dimensions de la révolution qui se prépare. Car l'enjeu ne se réduit clairement pas à permettre à des acteurs tiers d'accéder aux données des comptes de leurs clients : c'est un modèle opérationnel entièrement nouveau qu'il est question d'inventer.
Comme son nom l'indique (!), l'objectif d'une banque ouverte est de faire disparaître ses murs et ses frontières. Cela vaut d'abord – et ce devrait être le plus facile – en interne : en créant des services accessibles universellement, il devient possible de faire fructifier les collaborations entre les différents métiers, et, de la sorte, stimuler l'innovation transverse ou encore mettre véritablement l'organisation au service du client au lieu de faire perdurer un archipel d'îlots isolés, chacun centré sur un produit.
Surtout, l'ouverture vers l'extérieur est une garantie d'adaptation aux futures évolutions possibles du concept de banque. Alors qu'il est de plus en plus évident que la structure monolithique que l'on connaît aujourd'hui – qui incite le consommateur à s'adresser à un même interlocuteur pour tous ses besoins financiers – est en train de s'estomper et laisse entrevoir, a minima, une coexistence avec d'autres approches, il est essentiel de faciliter une intégration transparente entre tous les services, quels que soient leurs fournisseurs.
C'est bien sur une telle vision que se cristallise une stratégie de banque ouverte et c'est sur ce point que ressort brutalement l'immaturité qui prédomine. Car où sont les établissements qui ne se contentent pas de conformité réglementaire et entreprennent d'explorer les opportunités offertes par la publication d'API, y compris des concurrents ? Qui cherche à expérimenter de nouveaux types de services, aux côtés de ses activités traditionnelles ? En France, seul le Crédit Mutuel Arkéa entre dans cette catégorie.
Son application Max – qui soulève le scepticisme de nombre d'observateurs, et il faut probablement y voir un signe de clairvoyance – constitue une tentative audacieuse de renverser la perspective sur les API : en marge de la prise en compte de la DSP2 dans le métier historique de la mutualiste, l'obligation pour toutes les banques d'ouvrir les données de leurs clients est ici prise comme une occasion extraordinaire d'imaginer et de développer une offre radicalement différente pour les consommateurs.
En résumé, plutôt que d'avancer à leur corps défendant dans le déploiement d'API tactiques, les institutions financières devraient élargir leur horizon à une vraie stratégie de banque ouverte, qui, sur le long terme, les prépareraient à affronter divers scénarios plausibles pour l'avenir de leur industrie, tout en leur procurant, à court terme, des bénéfices tangibles pour leur agilité et leurs capacités d'innovation. Il semblerait que, pour l'instant et sauf exception, l'ambition ne soient pas au rendez-vous dans le secteur.