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Les Gardiennes. Au rythme des saisons

Par Balndorn
Les Gardiennes. Au rythme des saisons
De quoi Les Gardiennes sont-elles le nom ? Que protègent Hortense, Solange et Francine, en l’absence des hommes partis mourir dans les tranchées ? Peut-être un rapport au monde. Xavier Beauvois observe, fasciné, la spiritualité paysanne de ces femmes, qui n’est pas sans rappeler celle des moines de Tibhirine dans son précédent film, Des hommes et des dieux
La religion de la Terre
1915. Un lent travelling en plongée contemple des morts étendus paisiblement dans une clairière tranquille. On se croirait dans Le Dormeur du Val. Basculement géographique. Quelque part à l’arrière du front, Hortense (Nathalie Baye) et Solange (Laura Smet) labourent à la ferme du Paridier. Le soir, elles dînent, en silence, avec leur vieil ami Henri (Gilbert Bonneau).La première séquence donne le ton du film. L’image prime sur le son. À la manière des paysans taiseux, le geste passe avant l’inutile verbiage, dans une forme de monachisme rural. Aussi, Les Gardiennesne cherche pas tant le réalisme – en dépit des nombreux détails de la vie quotidienne et des travaux des champs – qu’une certainespiritualité. Le départ des hommes pour la guerre laisse un vide dans la vie des femmes ; et ce vide constitue le point de départ d’une ascèse, d’une intégration dans une vaste cosmologie à la limite du paganisme.Comme le rappelle l’essayiste Alessi Dell’Umbria dans son dernier ouvrage Tarantella !1, le terme latin pagus, avant de qualifier les « païens », désignait d’abord les paysans. Conscient ou non de cette étymologie, Xavier Beauvois dresse le portrait, à la manière des ethnologues, d’une religion fermement ancrée dans la Terre nourricière. À l’instar d’un magnifique travelling latéral, qui découvre lentement les ouvrières moissonner la faux à la main, le cinéaste s’émerveille de la beauté de ce monde que façonnent les femmes.De son dernier long-métrage, primé à Cannes en 2010, il retient les effets de lumière. Spiritualités catholique et paysanne ont ceci de commun qu’elles vénèrent l’élément lumineux, qu’il s’agisse de Dieu ou du Soleil. Pour capter au mieux les variations chromatiques, Beauvois et la photographe Caroline Champetier ont mis au point une esthétique du clair-obscur, proche du travail de Tom Stern chez Clint Eastwood, dont les tonalités froides réagissent vivement aux flots de lumière, comme une fleur s’ouvre au soleil qui la caresse. Ainsi, quand les repas chez Hortense, faiblement éclairés et saisis en plans serrés, baignent dans une atmosphère intimiste, les plans larges en extérieur, où rayonnent l’or des blés et la noirceur de la terre, débordent de chaleur.La mise en scène change alors de régime. Il ne s’agit pas tant de filmer une histoire – qui court de 1915 à 1919 – que de s’immerger dans le rythme des saisons. Hormis les brèves indications d’année, aucune date ne nous renseigne sur la chronologie. Seuls les changements chromatiques liés aux saisons – la neige l’hiver, le vert au printemps, le soleil en été… – disent le temps qui passe. C’est bien les émotions, naturelles ou humaines, que cherchent à saisir les lents travellings et panoramiques. Tel Millet avec son Angelus, Beauvois traque sur les peaux blanches de ses personnages le fugitif instant où naît la sensation.
Humus, humilité, humanité
De Des hommes et des dieux, Beauvois garde en outre la morale des moines. Comme ces derniers, les femmes du Paridier mènent une vie de sacrifices. Et celle-ci se durcit en l’absence des hommes. Du point de vue du féminisme, et plus largement, de l’histoire des femmes, la Grande Guerre a joué un rôle majeur dans l’émancipation féminine. Mais ce que montre subtilement le film de Beauvois, c’est que toutes les femmes n’ont pas revendiqué leur indépendance. Si, en pratique, les paysannes augmentaient leur empouvoirement, elles appelaient à maintenir l’ordre patriarcal dans leurs discours. Quitte à prendre des décisions arbitraires au lieu de laisser libre cours à leurs désirs. Ainsi de la malheureuse Francine (Iris Bry, une jeune actrice qu’il faudra suivre avec attention), une solide fille de l’Assistance Publique qu’engage Hortense pour les travaux agricoles, injustement transformée en bouc émissaire pour camoufler les aventures d’une autre femme avec les soldats américains qui stationnent dans la région.De quoi ces femmes sont-elles les protectrices ? D’un certain patriarcat, certes. Mais d’abord d’une posture morale, fondée sur l’oubli de soi et l’humilité. Un mot qui prend un sens particulier dans le monde paysan, puisque son étymologie renvoie à « l’humus », dont découle également « l’homme ». Que gardent les gardiennes ? L’image de l’homme tiré de la glaise, et d’une existence entièrement fondée sur le culte à la Terre.
Les Gardiennes. Au rythme des saisons
Les Gardiennes, de Xavier Beauvois, 2017
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1 Alessi Dell’Umbria, Tarantella ! Possession et dépossession dans l’ex-royaume de Naples, L’Œil d’or, 2016.

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