Magazine Cinéma

The Florida Project. Dans les ruines du Magic Kingdom

Par Balndorn
The Florida Project. Dans les ruines du Magic Kingdom
Autour du Disneyworld d’Orlando, une flopée de motels kitsch à souhait, à l’image du « Magic Kingdom » : têtes de magiciens et de fées, tons mauves, roses ou oranges pétaradant… Des parkings déserts, où court une bande de gamins. Qui joue, qui crie. Qui vit.
Vivre dans les ruines du capitalisme…
Le cadre n’a rien d’anodin. Depuis la crise des subprimes, des personnes surendettées, souvent des mères célibataires, s’entassent dans des chambres anonymes, sous la menace constante d’une expulsion. Halley (Bria Vinaite) en fait partie : avec sa fille Moonee (Brooklynn Prince), elle passe ses journées entre sa chambre, le couloir des chambres et la piscine, à attendre on ne sait quel argent qui l’arracherait à sa précarité.Mais l’attente n’a rien d’ennuyeux. Si certaines personnes, telle Ashley (Mela Murder), triment tous les jours dans les industries de services alentour, d’autres réinventent l’usage de ces lieux de l’entre-deux. Moonee et sa bande d’amis sont à la pointe de ce mouvement. En multipliant les quatre cents coups, ces gamins énergiques – tellement qu’ils en deviennent par instants insupportables – ressuscitent des décors moribonds.   The Florida Project se situe en quelque sorte dans une civilisation des ruines. Une poéthique de l’après. Notre civilisation de la consommation étant d’abord une civilisation du détritus, elle produit de manière industrielle des ruines, sciemment mises à l’écart des centres (ici, touristique). Or, Moonee et sa bande de potes portent un autre regard sur ces ruines. Alors qu’on s’efforce en général de ne pas les voir, les enfants, eux, les considèrent comme une formidable mine de ressources. Un immense terrain de jeux, que leur imagination débridée modèle à volonté. Ainsi, la vieille maison qu’explorent Moonee, Dicky et Jancey se transforme dans leur bouche en demeure de rêve ; les bruits du plancher qui craquent, la présence d’un esprit ; et les ordures qui jonchent le sol, du « caca de fantôme ». À l’heure d’un capitalisme plus effréné que jamais, The Florida Projectpropose une allégorie morale et politique alternative. Seuls les hommes – et en particulier les marginaux – donnent du sens aux objets. La civilisation du tout-jetable doit revenir à une échelle humaine, unique étalon de la valeur.
… légitime le capitalisme
Sauf que cette allégorie ne résiste pas à la critique. Certes, recycler les objets et les lieux a la cote de nos jours. Mais entre recycler et vivre aux crochets du capitalisme, il y a un monde. Aussi hyperactifs soient-ils, les gamins des motels détruisent plus qu’ils ne créent. Eux-mêmes ne produisent rien de ce qu’ils consomment. Pour exister, pour s’amuser, ils ont besoin de la présence massive de Disneyworld. Tel ce dernier, métonymie du système socio-économique dominant, le capitalisme étend son ombre sans avoir à se montrer. Jouer avec les restes qu’il daigne laisser légitime son hégémonie.Il en va de même du rêve américain. Au fond, Sean Baker ne rompt jamais avec ce mythe. Au contraire, il le réactualise, à la sauce ciné indé américain. L’envie d’entreprendre, l’individualisme créateur, le dynamisme : autant de caractéristiques qu’un start-uper et Moonee partagent. L’aventure, économique comme ludique, reste dans tous les esprits. Et tant que persistera l’idéologie de la nouveauté à tout crin, se maintiendra une production du neuf – et des détritus. The Florida Project. Dans les ruines du Magic Kingdom
The Florida Project, de Sean Baker, 2017
MaximeSi vous avez aimé cet article, n'hésitez pas à me soutenir sur Tipeee !

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Balndorn 391 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine