C’est l’éternel problème des classements de fin d’année : leur cohérence au regard des dates de sortie des films cités. Comment ainsi justifier la présence (ou non) de telle ou telle production, quand celle-ci fut projetée en salles l’année précédente (même de manière confidentielle), ou dut rester cantonnée à faire la tournée des festivals dans l’espoir de voir un distributeur la prendre sous son aile ?
Ainsi, notre numéro un de 2016, La La Land, aurait une nouvelle fois pu postuler à la première place du classement de cette année, chose dont se ne sont pas privés d’autres confrères avisés. Dans le même ordre d’idée, classer Hunt for the Wilderpeople dans les meilleurs films de 2017 pourra sûrement faire sauter au plafond nombre de puristes qui y verront, eux, une oeuvre de 2016 sans contestation possible.
Alors quoi ? Quoi retenir au final de pareils classements ? En fait, les films à proprement parler, plus que leurs dates à géométrie variable. Car établir une liste de nos meilleurs, au moins de nos coups de coeur, c’est avant tout vous partager quels sont, selon nous, les incontournables à ne surtout pas manquer. En salles, sur Netflix, en VOD. Qu’importe finalement le support, pourvu qu’ils soient vus. À ce titre, Okja de Bong Joon-Ho, qui défraya la chronique à Cannes pour avoir sauté la case des salles obscures en raison de cette désuète (en l’état) chronologie des médias, fait sans aucun doute partie de ceux qu’il faut impérativement regarder, quand bien même il paraitra malheureusement étriqué dans un salon sur une télé. Dans un même ordre d’idée, notre chouchou absolu de l’année, vu au Festival Fantasia l’été dernier, Liberation Day de Morten Traavik et Uģis Olte, n’est actuellement disponible ni sur grand écran ni en DVD. Le seul moyen (légal ou non d’ailleurs) de le visionner est de se rendre sur iTunes US ou UK, sans qu’aucune autre sortie ne soit (du moins à notre connaissance) pour l’instant envisagée. On pourrait également évoquer The Tokyo Night Sky Is Always the Densest Shade of Blue de Yûya Ishii, ou encore Western de Valeska Grisebach, pépites de festivals désespérément absents (ou presque) des salles. Laissez bronzer les cadavres pourrait lui aussi rejoindre sans problème cette liste, son succès d’estime ne changeant guère le fait que sa distribution se sera faite hélas des plus confidentielles.
Le plus triste dans tout cela, c’est que le cinéma, art rassembleur et fédérateur par excellence, se voit ainsi réduit à une condition d’élitisme mettant de facto sur le carreau son coeur de cible. Plutôt que de s’adresser au plus grand nombre, désormais quasi-exclusivement abreuvé jusqu’à plus soif de superproductions saturant la plupart des réseaux de distribution, l’industrie continue sa logique de production schizophrène, tiraillée entre la nécessité de financer un maximum de projets et d’encourager par là même la créativité, et son besoin de rentabilité exigé par les marchés. En résulte alors un nombre incalculable d’oeuvres condamnées à l’obscurité, dont arrivent parfois à émerger ci et là quelques perles cachant tant bien que mal la forêt. Dans le meilleur des cas, les réseaux d’art et essai sauront à l’occasion leur donner une place de choix. La plupart du temps, c’est bien sur les sites de partage et autres réseaux Torrent qu’ils pourront avoir une seconde vie, annihilant dès lors toute possibilité de retour sur investissement.
Regarder ces films se fait alors l’apanage d’une certaine élite (comprendre privilégiés) potentiellement déconnectée de ce que représente le cinéma aujourd’hui aux yeux du grand public. À quoi bon défendre nos films préférés de l’année si l’on ne donne pas les moyens à tout un chacun de pouvoir en profiter ? Plus que le plaisir égoïste de montrer que l’on sait, ces classements devraient avant tout être l’expression d’une volonté de faire découvrir, de partager. Être aussi, et surtout, des cris du coeur appelant l’ensemble de l’industrie à repenser ses moyens de diffusion et à se réinventer.
En ce sens, le présent Top 10 n’aura donc pas la prétention de vous lister « objectivement » (sic) les meilleurs films de l’an passé, mais bien ceux qui, à nos yeux, méritent ardemment d’être défendus. Pour ce qu’ils ont cherché à proposer, à risquer, aussi bien du point de vue de leurs thématiques que de leur approche du média, et ce tout en ayant conservé un désir noble et finalement pas si courant : celui d’offrir, de manière intègre, du vrai bon divertissement.
Bon cinéma, et bonne année 2018 à toutes et tous !
- Liberation Day de Morten Traavik et Uģis Olte
- A Monster Calls de Juan Antonio Bayona
- Hunt for the Wilderpeople de Taika Waititi
- Free and Easy de Geng Jun
- Night Is Short, Walk On Girl de Masaaki Yuasa
- Laissez bronzer les cadavres d’Hélène Cattet et Bruno Forzani
- Baby Driver d’Edgar Wright
- Petit Paysan d’Hubert Charuel
- Coco de Lee Unkrich
- Au revoir là-haut d’Albert Dupontel
Mentions spéciales
- Ex Libris: The New York Public Library de Frederick Wiseman : ou quand un octogénaire donne une leçon de narration et de récit politique à l’ensemble de l’industrie.
- Le Redoutable de Michel Hazanavicius : Godard s’en étoufferait, mais le film biographique du réalisateur d’OSS 117 : Rio ne répond plus a brillamment su capter et retranscrire les contradictions et l’outrance du personnage. Tuer le mythe tout en lui rendant hommage.
- Les restaurations 4K de Terminator 2 et de Suspiria : lorsque l’innovation technologique se met au service des classiques, ces derniers prouvent qu’ils en ont encore à remontrer aux sorties de ces dernières années.
On doit encore les digérer
- The Square de Ruben Östlund : la Palme d’Or cannoise 2017 fait sans conteste partie des films qui nous auront le plus marqués… bien que l’on n’arrive toujours pas à trancher, en bien ou en mal, sur son manichéisme de façade et son ambiguïté.
- The Shape of Water de Guillermo Del Toro : peut-être le film le plus perfectible de son auteur, exigeant d’emblée d’accepter la candeur et l’extrême pureté infusant le récit (jusque dans ses facilités et ses raccourcis) ; et en même temps, probablement l’un des plus touchants et des plus émouvants. Brillant, mais aussi frustrant.
Ils nous ont déçus
- Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi de Rian Johnson : peut-on vraiment en être étonné ?…
- Loving Vincent de Dorota Kobiela et Hugh Welchman : une performance artistique de haute volée au service d’un récit convenu passant à côté de son sujet.
- Alien : Covenant de Ridley Scott : on ne peut pas être et avoir été ; au vu du résultat, peut-être vaudrait-il mieux savoir s’arrêter.
- Ça d’Andrés Muschietti : le chef-d’oeuvre horrifico-sociologique de Stephen King est ici mis à la sauce Stranger Things ; élégamment mis en scène, mais honteusement inoffensif.
- Le rachat de la 21st Century Fox par Disney : l’avenir du cinéma passe-t-il vraiment par l’avènement d’un monopole ?