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Gauguin l’alchimiste, ou la fusion des arts

Par Balndorn
Gauguin l’alchimiste, ou la fusion des arts
Soyez mystérieuses1890bois de tilleul partiellement polychrome, traces de crayon de couleur sombre ; 73 x 95 x 5 cmParis, musée d’Orsay© Rmn-Grand Palais (musée d’Orsay) / Tony Querrec
Il y a presque un an je taclais Rodin, l’exposition du centenaire. Je reprochais essentiellement au Grand Palais le principe de la « course aux chefs-d’œuvre », qui à mon sens ruine l’approche critique d’un sujet au profit du sensationnel. Avec l’autre grande expo monographique de 2017, consacrée à Gauguin, l’institution se rattrape, et prouve que l’on peut concilier richesse des œuvres et renouveau critique.
L’art de la matière
Au commencement est le bois. Support moins connu dans la carrière de l’artiste, et pourtant, dans ces premiers tâtonnements formels, se joue l’œuvre à venir. À l’image de Jacob luttant avec l’ange une nuit durant, Gauguin bataille au corps à corps avec la matière, et son travail sur bois marquera à jamais ses créations. De ses portraits initiaux aux sculptures de sa dernière période, qui culminent avec les œuvres tahitiennes telle Tehura, l’artiste garde un même cap : ancrer l’homme dans la matière. À l’instar de son puissant Portrait de Jacob Meyer de Haan, où la tête de son ami néerlandais se confond avec la matière brute, et la barbe avec les rainures du bois.« La peinture est comme l’homme, mortelle mais vivant toujours en lutte avec la matière », disait-il. Une profession de foi résolument matérialiste, à une époque où les avant-gardes – en particulier symbolistes – rêvent d’un art éthéré, détaché de la matière. Pour l’artiste polyvalent, les arts ne doivent jamais quitter des yeux les matériaux qu’ils exploitent : ils en constituent le point de départ et le point d’arrivée. « Le moyen importe plus que le résultat », conseille-t-il aux jeunes créateurs férus d’Absolu spirituel.Ce qui vaut pour le bois vaut pour les autres techniques. Placée sous le signe de ses expériences formelles du bois, l’œuvre de Gauguin se conçoit désormais comme un travail avec la matière. Aussi bien dans les grès, les gravures que les peintures, le maître conserve un même geste créateur : laisser apparente la transformation du matériau. Par cette nouvelle approche, on regarde autrement les chefs-d’œuvre de ses périodes tahitienne et bretonne. Les figures hiératiques de Ahaoe feii ? ressemblent à celles qu’il gravait sur ses bâtons de marche en Martinique, à tel point qu’on les croirait elles aussi sculptées sur du bois.
Regarder autrement les génies
En plaçant la sculpture au début du parcours, la scénographie renouvelle considérablement l’image de Gauguin. Son œuvre se comprend à présent comme le prolongement du geste créateur initial, une poursuite de son travail du bois : Gauguin sculpte les matières, taille dans les chairs pour y faire émerger des formes, à l’image de son ésotérique panneau gravé, Soyez mystérieuse.En ce sens, la quête alchimique promise par le titre de l’événement paraît paradoxale. L’apprenti alchimiste ne cherche pas tant une Pierre philosophale au-delà de la matière qu’une nouvelle manière de fondre entre eux les arts et les matériaux. Comme Baudelaire, il guette les « correspondances » entre les objets qu’il manipule, et donner une lecture cohérente de ces manifestations sensorielles. Aussi sa quête se déroule par et dans les matières, et même si elle vire au mysticisme à Tahiti et aux Marquises, c’est qu’elle y trouve une religiosité des chairs, une spiritualité hédoniste.Le parcours ne manque pas de chefs-d’œuvre, mais il ne les considère pas en tant que tels, contrairement à Rodin ou à Rubens au Luxembourg qui se contentaient de les aligner. Chaque œuvre de Gauguin s’inscrit dans une lecture globale de sa carrière artistique, de sorte que chacune répond aux autres, dans un souci de « correspondances ». Au-delà des vertus intrinsèques à l’exposition, c’est sans doute ce qu’il faut en retenir : porter un autre discours sur un génie connu de tous n’entache pas son talent, mais au contraire, l’exalte vers de nouveaux horizons.  
Gauguin l’alchimiste, ou la fusion des artsAhaoe feii? (Eh quoi ! Tu es jalouse ?)1892huile sur toile ; 66,2 x 89,3 cmMoscou, musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine
© The Pushkin State Museum of Fine Arts, Mosco
Gauguin l’alchimiste, au Grand Palais jusqu’au 22 janvier 2018
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