Honorée Mademoiselle! Les Slaves ont les Russes pour les aider, nous on n'a personne.
C'est ce que disent les Albanais à M. Edith Durham (1863-1944) en 1905... et que rappelle Corinne Desarzens dans sa postface à ce livre, datée du 28 novembre 2016, le jour anniversaire de l'indépendance albanaise (28 novembre 1912)...
Ce recueil de textes publiés par Miss Durham entre 1904 et 1931 (un seul fait exception et remonte à 1941), a été édité en 2014, avec une introduction d'Elizabeth Gowing (née un 28 novembre...).
Ces textes, traduits et présentés par Corinne Desarzens, sont très intéressants par ce qu'ils révèlent d'un peuple méconnu (qui, de plus, de 1944 à 1991, a subi un régime communiste stalinien qui l'a emprisonné dans ses frontières...).
Quelques extraits de ces textes donneront peut-être envie d'apprendre quelque chose de vécu sur ces frères et soeurs humains largement ignorés.
Miss Durham, britannique alors âgée de 40 ans, s'est rendue en Albanie à la suite de son engagement dans le British Relief Fund et y a découvert des femmes pauvres et incultes, qui l'ont appelée leur soeur dorée:
Si ce n'était leur dénuement et leur extrême pauvreté, mes soeurs dorées seraient insupportables. Mais elles sont les misérables et innocentes victimes de jalousies internationales et de haines politiques, qu'on ne peut que prendre en pitié. La population masculine, au niveau intellectuel à peine plus élevé, rejoint désormais des bandes...
(The Monthly Review, Londres, mai 1904)
Alors qu'ici la vie d'un homme ne vaut pas cher et qu'elle s'en étonne, Miss Durham comprend que tout dépend du point de vue où l'on se place:
- Vous pensez être civilisés, vous les Anglais, et que vous pouvez nous apprendre, dit un Albanais avec passion. Moi je vous dis qu'il n'y a pas un Albanais qui commette des crimes tels qu'il s'en passe à Londres. Là-bas il y a des types qui vivent en vendant l'honneur d'une femme...
(Pall Mall Gazette, Londres, 12 septembre 1904)
En conclusion d'un échange qu'elle rapporte avec un Albanais désireux d'être considéré comme très chic tandis que ses ancêtres voulaient être reconnus comme de valeureux guerriers et mourir au combat pour la patrie, elle écrit:
Le passé ne reviendra pas. Le nouveau monde n'est pas encore éclos. Reste un peuple d'enfants - mal organisé, leur santé mentale ruinée par un trop copieux menu d'idées neuves qu'ils sont totalement incapables de digérer.
Le Proche-Orient est un pays de chagrin et de grande souffrance. Ses pires ennemis sont aujourd'hui ceux qui veulent trop vite les bousculer vers ce qu'on appelle la civilisation.
(La Gazette de Westminster, 14 septembre 1908)
L'Illyrie, devenue l'Albanie, au cours de l'histoire n'a pas été épargnée:
L'Albanie moderne ne s'étend que sur une très petite partie des terres autrefois albanaises. Ses voisins plus puissants, surtout dans les guerres des Balkans de 1912-13 et la guerre de 1914-18, ont annexé d'importants territoires, alors complètement albanais, et bien que l'Albanie, en 1912, ait été enfin reconnue par les puissances comme état indépendant et neutre, elle a été tondue de ce qui aurait été ses meilleures terres, dont se sont emparés les Grecs et les Serbes.
(Geography, Manchester, mars 1941)
Miss Durham constate pourtant que:
Si cruel qu'ait été son destin, l'individualisme à toute épreuve des Albanais donne l'espoir qu'avec du temps, ils puissent cependant jouer un rôle dans le développement du Proche Orient. Leur intelligence, comme ceux qui ont voyagé chez eux l'ont constaté, est incomparable à celle de n'importe quel autre peuple des Balkans. Extraordinaire.
(Discovery: A Monthly Popular Journal of Knowledge, Londres, février 1925)
Cet individualisme se retrouve chez les Albanais des trois religions (catholique romaine, orthodoxe et musulmane) et Miss Durham le confirme après avoir passé seize jours dans une bande de résistants à l'occupation ottomane:
Un musulman faisait partie de la bande, au même titre que les autres. Car lui aussi était un ennemi des Turcs. Pas de pitié sinon. Repousser l'occupation étrangère et de tous ses comparses est leur seul objectif.
(The Nation, 16 novembre 1912)
A propos de religion Miss Durham n'a pas sa langue dans sa poche lors d'un échange avec un fondamentaliste albanais d'une secte chrétienne:
L'inconvénient d'un Dieu-de-nos-pères est le suivant. Sa sphère est beaucoup trop limitée. Il n'a presque rien à faire. Il ne peut pas avoir de larges vues sur le monde. Il s'imagine que rien n'a d'importance sinon son propre coin, et par conséquent, il passe le plus clair de son temps à se quereller avec le Dieu-de-leurs-pères de la porte d'à côté...
(Londres, novembre 1920)
A lire donc si le lecteur souhaite connaître un autre éclairage historique sur les Balkans, fourni par une Anglaise sans complexe, qui parle d'expérience...
Francis Richard
Honorée Mademoiselle - Miss Durham dans les Balkans, présentée par Corinne Desarzens, 176 pages, Editions de l'Aire