La FOLIE DU ROI LOUIS II DE BAVIÈRE (1) Par le DR WILLIAM W. IRELAND
Traduit de l'anglais par le Dr Victor PARANT * Directeur médecin de la maison de santé de Toulouse
Introduction
La fin tragique du Roi de Bavière reçut un écho important dans la presse internationale et intéressa particulièrement les milieux médicaux, spécialement des aliénistes. On dispose de nombreux documents rédigés par des médecins tant en Allemagne qu'à l'étranger. Ainsi de l'article que nous reproduisons ci-dessous, une étude du Dr William Wotherspoon Ireland.
William Wotherspoon Ireland, médecin aliéniste écossais, s'intéressa à la folie du Roi Louis II de Bavière dès 1886, l'année de la mort du roi. Il publia un premier article en octobre 1886 dans le Journal of mental science. Cet article fut rapidement traduit en français par le Dr. Victor Parant, qui le publia dans les Annales Médico-Psychologiques, tome v., dès janvier 1887. On en trouve,également en 1887, une traduction en allemand.
L'auteur
William Wotherspoon Ireland, M.D.Edin. (1832-1909) H.M. Indian Army (Retired List) Corresponding Member of the Psychiatric society of Str Petersburg and the New York Medico-Legal Society Formerly Medical Superintendant of the Scottish Institution for the Education of Imbecile Children, and Medical Officer of Miss Mary Murray's Institution for Girls at Preston.
Médecin et écrivain né en Ecosse en 1832, Ireland fit ses études à Edinbourgh et à Paris. Il obtint son diplôme de médecine à Edinbourgh en 1855. Il devint ensuite assistant chirurgien pour la East India Company en 1856 et participa au siège de Dehli. Très sérieusement blessé au crâne et à l'épaule, il perdit un oeil et dut rester alité une année entière, puis fut pendant trois ans convalescent en Inde. Il écrivit alors plusieurs ouvrages: History of the Siege of Delhi(1861), Randolph Mephyl (1863), un roman basé sur son expérience anglo-indienne, et Studies of a Wandering Observer (1867), un compte-rendu de ses voyages en Europe. L'armée le pensionna et il revint en 1869 en Ecosse où il se spécialisa dans le traitement de l'idiotie, un sujet qui l'avait naturellement attiré suite à son traumatisme crânien. Il dirigea des institutions publiques et ouvrit plusieurs institutions privées pour idiots. Il renoua ensuite avec avec ses intérêts pour la littérature et l'histoire en s'intéressant aux relations entre l'exercice du pouvoir et la folie et aux névroses et aux folies héréditaires, et, entre autres, aux personnalités de Mohammed, Luther, Jeanne d'Arc, Caligula, Ivan le Terrible, et Swedenborg. Ses écrits furent publiés dans des revues médicales et dans deux ouvrages: Blot upon the Brain (1885) et Through the Ivory Gate (1889). Ce dernier ouvrage comporte un chapitre consacré à Louis II de Bavière, dont un premier jet avait été publié en 1886 dans une revue médicale. (Source des renseignements biographiques: Oxford Dictionary of national Biography).
L'article: La folie du roi Louis II de Bavière
"Les circonstances tragiques qui ont entouré la mort du roi Louis II de Bavière, ont attiré l'attention de tout le monde civilisé. Les journaux ont déjà publié bien des articles sur ce sujet; nous avons pensé néanmoins qu'il convenait de rappeler, dans un journal spécial de médecine mentale, ce grand drame historique, qui doit occuper use place à part dans les archives de la folie. Il est probable que des raisons d'État empêcheront les médecins qui y ont été mêlés de publier ce qu'ils en savent. Nos principales sources d'information ont été trois brochures allemandes (2), l'édition extraordinaire du Berliner Börsen Zeitung du 15 juin 1886, et toute une collection d'articles pris dans les journaux anglais et américains.
L'étude de ce fait intéressant à cause du rang qu'occupait l'infortuné prince et du caractère émouvant de la catastrophe qui a mis fin à sa vie, est bien cligne de l'attention des psychologues. Remarquons d'abord que les circonstances ont aidé plus qu'empêché l'évolution d'une prédisposition héréditaire à la folie. La famille de Wittelsbach est une des plus anciennes familles régnantes de l'Europe. Le duc de Bavière, l'un des plus remarquables parmi les hommes de la guerre de Trente ans, devint, en 1623, électeur de l'Empire germanique. Gustave de Suède, lorsqu'il entra à Munich en 1632, après la fuite de l'Électeur, admira le bon goût qui se révélait dans l'ornementation de son palais. Il demanda qui en était l'architecte. "L'Électeur, lui répondit-on, n'en a pas d'autre que lui-même." Et le roi répliqua: "Je serais bien aise de le tenir pour l'envoyer à Stockholm." Ainsi donc il semble que le goût de l'architecture décorative se soit montré, dès cette époque reculée, dans cette famille princière. Maximilien-Joseph fut fait roi par Napoléon Ier après la bataille d'Austerlitz, et, pour prix de son alliance, il reçut en même temps le Tyrol. Ce prince manifesta de mainte façon le goût de sa famille pour les beaux-arts. Il devint acquéreur des marbres d'Egine, des peintures de Dürer, de la galerie de Dusseldorff. Son fils, Louis Ier, dépensa des millions à orner Munich de monuments splendides, dans les styles grec et italien. Il fut le protecteur de Cornelius et de Kaulbach. Ses fantaisies d'artiste, les scandales et les imprudences où l'entraîna sa maîtresse, Lola Montès, amenèrent sa déposition dans l'orageuse année 1848. Il eut pour successeur son fils, Maximilien II, dont le règne, à cause de ses tendances à la réaction, fut impopulaire. Le frère de Maximilien fut roi de Grèce ; mais il revint en Bavière en 1862, époque où ses sujets se débarrassèrent aisément de lui sans la moindre cérémonie. Maximilien épousa Marie de Hohenzollern, fille du prince Frédéric-Guillaume, le plus jeune fils de Frédéric-Guillaume II de Prusse. Cette femme passe pour avoir introduit la folie dans la famille. Que cela soit vrai on non, la Frankfürter Zeitung constate que la tante paternelle du roi, la princesse Alexandra, fut mise en traitement, vers 1850, dans l'asile d'Illenau. Elle était possédée de l'idée qu'elle avait avalé un fauteuil en verre. La reine n'eut que deux enfant, Louis, né le 25 août 1845, et le prince Othon, né le 27 avril 1848. Lorsque Louis monta sur le trône, à la mort de son père, en 1864, personne ne songea à la fatalité suspendue sur ces deux frères, qui se ressemblaient beaucoup et qui étaient très attachés l'un à l'autre. Louis II était alors âgé de dix-neuf ans. Grand, bien fait de sa personne, doué de beaucoup de vigueur, il avait une éducation soignée et possédait beaucoup de qualités heureuses de l'esprit. On ne soupçonna pas que ses goûts héréditaires pour la musique et pour les arts, que son désir de s'entourer d'objets remarquables, deviendraient une passion dévorante qui dépasserait les bornes de la raison. Le jeune roi fut fiancé, en 1866, à la duchesse Sophie, fille du duc Max et soeur de l'empereur actuel d'Autriche [sic, il s'agit de la soeur de l'impératrice d'Autriche, Ndlr]. Les fiançailles donnèrent lieu à de grandes réjouissances en Bavière. Le vieux roi, Louis Ier, avait beaucoup d'affection pour son petit-fils. Frappé de sa ressemblance avec l'Adonis d'une fresque de Pompéi, surtout dans l'expression passionnée du regard, il composa à cette occasion. un sonnet qui fut publié le 27 février 1817, dans Allgemeine Augsburg Zeitung ; il y promettait un heureux avenir au jeune roi et à sa fiancée. Vers le même temps, le Dr Morel étant allé à Munich pour l'affaire Chorinski**, vit le roi de Bavière, et fut également frappé de l'expression de son regard. "Il a des yeux qui parlent de folie à venir."
On raconte des histoires romanesques sur l'attachement du roi pour la duchesse Sophie; mais dans sa vie tout était romanesque: La duchesse avait l'air indompté d'une nymphe des bois; elle aimait passionnément les courses en forêt, les chiens, les chevaux, les excitations de la chasse. Comme elle vivait sur bords d'une pièce d'eau fort pittoresque, on l'appelait La dame du Lac. Louis se plaisait à aller la trouver secrètement pour lui faire sa cour, et s'il avait un reproche à lui faire, c'était de se montrer trop réservée. Tandis que les préparatifs du mariage touchaient à leur terme, Louis, qui aimait beaucoup à arriver à l'improviste près de ceux qu'il affectionnait, pour leur causer d'agréables surprises, se déguisa un jour en ménestrel et vint à la tête d'une troupe de musiciens ambulants, donner sérénade à sa fiancée. Il traversa un bois sauvage pour s'approcher du château où elle demeurait avec son père. Il avait un peu d'avance sur les musiciens. Que voit-il dans une clairière? Sa fiancée, dont les doigts jouaient dans les boucles de cheveux du page qui l'avait accompagnée dans sa promenade à cheval. Elle se tenait auprès de ce jeune homme, assis sur un rocher, et il lui avait passé le bras autour de la taille. Le roi se précipita pour les tuer tous deux, et, comme il était grand et fort, il aurait pu le faire, si les musiciens ne fussent venus à leur secours. Louis dénonça le fait au père de la jeune fille, un Allemand aux façons brusques. Elle opposa des dénégations formelles et dit que le roi, sujet aux hallucinations, avait cru voir ce qui n'était jamais arrivé. Les Débats disent qu'elle était éprise non pas d'un page, mais de son chapelain particulier. Peu de temps après elle épousa un gentilhomme français.
Que cette anecdote soit vraie ou non, Louis commença vers cette époque à fuir la société des femmes. Il refusa tonte proposition de mariage et repoussa avec indignation les autres avances qui lui furent faites. D'après le Boston Post, il avait pris, pour lui faire ses lectures, une actrice fameuse, femme d'une beauté remarquable, qui remplit ses fonctions presque jour et nuit. Pendant qu'elle lisait, il avait l'habitude de se coucher et il lui ordonnait de s'asseoir près du lit. Un soir, en lisant une tragédie, elle se leva, pour mieux rendre la scène, puis, soit par hasard, soit avec intention, elle vint se rasseoir sur le bord du lit, du côté des pieds. Immédiatement, le roi lui ordonna de quitter de suite le royaume, parce qu'elle avait porté atteinte à sa dignité en touchant le lit royal. Elle dut partir, quoiqu'elle fit l'actrice la plus populaire de Munich.
On raconte qu'un jour le roi, s'adressant brusquement à son secrétaire, qui vivait avec sa famille près de l'une des résidences royales, lui dit: « J'ai remarqué l'attitude de votre femme.» Le secrétaire garda le silence, ne sachant quoi répondre ; et Louis lui dit encore d'un ton sévère: « J'ai remarqué l'attitude de votre femme. » Le secrétaire, recouvrant sa présence d'esprit, répondit alors qu'il ferait en sorte que cela ne se reproduisît jamais.
Le roi Louis devint l'ami enthousiaste de Richard Wagner, dont les idées exaltées et la musique bruyante étaient tout à fait propres à lui frapper l'imagination. Il contribua largement à édifier le vaste théâtre de Bayreuth, et fit représenter avec une mise en scène aussi grandiose que possible les opéras du grand compositeur. Louis aimait, à personnifier en lui les héros de Wagner. Il lui arrivait souvent d'endosser la robe de pèlerin de Tannhäuser on l'armure du chevalier Tristan; mais son personnage favori était Lohengrin, fils du roi Parsifal, dont les gestes sont racontés dans un vieux poème bavarois. Cette légende fut ressuscitée dans l'opéra bien connu de Wagner, et le roi Louis, monté dans un bateau sur le lac de Starnberg, déclamait souvent le rôle du chevalier. Trouvant que le lac ordinaire était un cadre trop vulgaire pour le haut personnage qu'il s'agissait de représenter, le roi fit construire nu vaste réservoir sur le toit du château de Munich, et là, revêtu d'une armure brillante, il naviguait dans une barque, ayant devant lui un cygne empaillé. Voulant que l'eau fut bleue, il la fit colorer avec du sulfate de cuivre. Malheureusement, la solution corroda le métal de la toiture, en sorte que l'eau se mit à ruisseler à travers le palais du roi et détériora des ameublements splendides. Un opticien fut donc chargé de donner à l'eau une teinte bleue à l'aide de la lumière colorée. Le roi se plaignit ensuite que l'eau fût trop calme, et des hommes de peine furent occupés à l'agiter avec des rames; ils réussirent si bien à produire des vagues, que le roi fut jeté à l'eau, ce qui le décida à abandonner ses déclamations nautiques sur le haut du palais. Dans une autre occasion, le roi, représentant le génie des montagnes, se fit porter en litière par six hommes sur les Alpes bavaroises.
Son intimité avec Wagner, plus avantageuse pour le musicien que pour le roi, cessa à la fin de 1865. La rupture fut amenée soit par la clameur populaire, soit par quelque intrigue de cour, soit encore parce que Louis finit par se lasser de la personnalité altière du compositeur. Le roi, cependant, continua d'être en correspondance avec Wagner; à l'occasion, il lui rendait visite à la frontière de ses Etats, et quand celui-ci mourut, en 1883, il en montra, dit-on, beaucoup de chagrin. Le roi conçut d'autres chaudes amitiés pour des artistes et des acteurs, à qui il lui arrivait d'écrire de longues lettres. Ces amitiés durèrent peu de temps ; parfois même elles cessaient brusquement : le roi en venait à remarquer que c'était là se mêler à des gens bien communs. Depuis son enfance il était très hautain, et trouvait que c'était bien de la liberté de la part d'un médecin, que de lui tâter le pouls quand il était malade.
On doit remarquer que tout ceci ne constitue pas une description continue de la névrose du roi, mais seulement une série d'anecdotes et d'observations dont la plupart sont sans date. Nous pouvons néanmoins tenir pour certain que cette maladie commença dans la jeunesse et qu'elle progressa lentement, mais d'une manière continuelle. Ce fut d'abord une humeur capricieuse, guidée seulement par les goûts et les aversions, qui ne laissait supporter ni retard ni refus dans la satisfaction des fantaisies, puis se produisit une diminution graduelle de l'équilibre mental et de l'empire sur soi-même; et finalement des hallucinations vinrent tout compliquer. Louis avait d'orageux accès de colère et de violents emportements contre ses serviteurs ; il alla jusqu'à donner l'ordre de mettre à mort ceux qui l'avaient offensé en dehors des murs de son palais.
D'après le rapport médical, lu au Landtag de Bavière, les symptômes de folie ont été nettement reconnus à partir de 1880. Le baron Mundy est d'avis que le roi était aliéné au moins dix ans avant sa mort.
Les peuples allemands ont un singulier respect pour les purs avantages de la naissance et du rang. Ils sont 'disposés, plus que bien d'autres peuples, à s'incliner devant le déploiement et l'étalage de la puissance de ceux qui les gouvernent. Tout le monde se prêta donc avec une merveilleuse patience aux caprices bizarres du roi (3). La nature élevée de ses goûts, le patronage qu'il accordait aux arts, inspirèrent le respect et l'admiration. Pendant longtemps, il fut sobre dans le boire et le manger et n'eut point de vices grossiers.
La vanité est d'ordinaire le côté faible des hommes, doués de goûts artistiques; cependant le roi sembla ne tenir aucun compte de la sympathie on de l'admiration des autres hommes; il ne s'en servait que pour mieux satisfaire ses rêves d'art et de belles choses. Il détestait d'être vu ; il ne jouissait des pièces de théâtre et des opéras que s'ils étaient joués dans une salle à moitié obscure où il était seul à prendre place. Un jour, au théâtre de la Cour, l'auditoire tout entier, autrement dit le roi, s'endormit pendant la pièce qui était jouée après la représentation publique. Personne n'osa le réveiller, et il dormit plusieurs heures. Quand sa majesté ouvrit es yeux, la pièce fut reprise an point oit il avait cessé de la suivre, et ne finit qu'assez tard le lendemain.
Aux dîners de la Cour, on disposait des vases de fleurs et des amas de mets de manière à cacher les convives, afin que le roi ne fût point importuné par leur vue. Un orchestre dominait les bruits de la conversation. Pendant les dernières années, comme l'amour de la solitude croissait chez le roi, sa table à manger montait à l'aide d'un mécanisme, à travers le plancher, et tout était disposé pour qu'il pût prendre ses repas sans voir une figure humaine. Quand il avait besoin de quelque chose, il fallait qu'il l'eût à l'instant même. Quand une idée lui venait, il fallait qu'elle fût immédiatement mise à exécution. S'il lisait quelques détails sur une oeuvre d'architecture, il commandait un train spécial pour aller la voir. Il ordonnait souvent d'éveiller ses écuyers au milieu de la nuit, pour qu'ils vinssent jouer au billard avec lui; il chassa l'un d'eux qui était venu avec la cravate de travers. Souvent il dormait tout le jour, et veillait tonte la nuit, tantôt lisant, tantôt s'en allant errer à la clarté de la lune au milieu des sites grandioses qui entouraient ses châteaux; en hiver, il se faisait conduire en traîneau dans les routes de montagne. Les paysans voyaient de temps à autre une apparition merveilleuse glisser eu quelque sorte au milieu d'eux; .c'étaient les écuyers, les quatre chevaux parés de plumes, lancés -au grand galop, la voiture, chef-d'oeuvre d'élégance, illuminée à la lumière électrique, dans laquelle le roi était assis tout seul. De nombreux ouvriers étaient employés à tenir les routes en bon état, de crainte que le roi ne vint à verser.
Sou goût le plus dispendieux était de bâtir de nouveaux palais. Il fit construire le colossal château de Neuschwanstein, sur un rocher pic, en face du vieux château de Hohenschwangau ; il fit élever encore une reproduction du palais d'été de l'Empereur de Chine et plusieurs châteaux nouveaux dans des sites perdus au milieu des montagnes. Ces demeures étaient décorées avec un goût rare ; il ne connaissait point de bornes à la dépense. Il n'est pas douteux que sur les millions ainsi follement prodigués, de grosses sommes ne soient restées entre les mains de ceux qui avaient à exécuter les 'projets artistiques du roi. Le docteur Schleiss, chirurgien du roi, qui semble avoir été le premier à soupçonner son état de folie, bien que pendant plusieurs années il l'eût peu vu, a tenu, dit-on, les propos suivants: « Le roi a ses manies; il est extravagant .t enthousiaste à l'excès; il a un amour passionné pour l''architecture et les beaux-arts. Il faut rejeter le blâme de ses excentricités sur ceux qui ont été autour de lui depuis tant d'années. Ces mercenaires, ces gens égoïstes, menteurs serviles, n'ont fait que donner de la force à ses caprices, augmenter l'activité dévorante de ses passions: Ils le pillaient et le poussaient à d'énormes dépenses. Le docteur Schleiss a expliqué plus tard que les journaux, en disant qu'il regardait le roi seulement comme un excentrique, n'ont point donné son opinion véritable, mais celles de ses paroles que nous venons de transcrire doivent être considérées comme l'expression de la vérité. Les calculs de l'intérêt personnel, les éloges enthousiastes des architectes, des peintres, des sculpteurs, qui avaient des entrevues avec le roi, la crainte de causer un scandale énorme, ces raisons, jointes à ce que le genre de vie retirée du roi jetait comme un voile sur toutes ses actions, ont fait pendant longtemps que son état d'esprit ne fut connu que d'un petit nombre de personnes.
D'autres raisons, d'ordre politique, firent également que l'on s'efforça de dissimuler la réalité. Divers journaux ont publié de temps à autre quelques détails sur les actes étranges et les bizarreries du roi de Bavière ; leurs articles furent souvent l'objet de démentis. Un correspondant du Standard, après des recherches personnelles faites à Munich, au sujet de la reproduction récente d'articles hostiles an roi Louis, se disait encore, à la date du 20 janvier dernier, en mesure d'affirmer, d'après des renseignements certains, que ces articles étaient sans fondement; que les ministres de Bavière, loin de pousser le roi à abdiquer, avaient discuté l'opportunité de poursuivre, pour diffamation, ceux des journaux d'Allemagne ou d'Autriche qui avaient publié articles en question. Mais les plus hautes autorités sont parfois plus portées à cacher la vérité qu'à la dire. La folie du mystérieux roi et sa déchéance morale avaient été, depuis deux ans, dénoncées sans ambages dans un feuilleton du Social Demokrat de Zurich (21 février 1884). Des exemplaires de ce journal passèrent de main en main et furent lus à Munich avec curiosité. Le dérangement d'esprit du pauvre roi s'aggravait chaque jour. Et ce n'était un secret pour personne que son frère Othon avait été aliéné pendant plusieurs années, et qu'il avait fallu le séquestrer, le tenant sons une étroite surveillance. ^
L'aversion que le roi avait d'être vu alla en augmentant. En dernier lieu la seul. femme qu'il pût tolérer était la princesse Gisèle, fille de l'empereur d'Autriche, mariée au prince Louis, second fils de son oncle Luitpold. Elle avait captivé ses bonnes grâces. Il s'était mis à lui envoyer des présents par ses écuyers, à toute heure du jour et de la nuit.
Le messager avait ordre de ne remettre le présent qu'à la princesse elle-même; elle devait ainsi se lever parfois au milieu de son sommeil, pour recevoir un bouquet on tout antre témoignage de l'affection du roi. Louis avait depuis longtemps l'habitude de boire un bon nombre de verres de champagne pour se donner de l'aplomb avant d'accorder ses audiences publiques aux ambassadeurs. Ses ministres trouvèrent des difficultés de plus en plus grandes à avoir des entrevues avec lui. Quelquefois il interrompait la conversation avec eux pour réciter des morceaux de poésie. Pendant plusieurs années, il tint les conseils assis derrière un écran. Le dernier secrétaire du cabinet, Schneider, n'a jamais vu le roi face à face. Ses ministres disent toutefois que ses questions et ses remarques dénotaient encore du savoir et de la finesse. En dernier lieu il n'avait presque plus de relations qu'avec les serviteurs d'un rang inférieur. Il eut des préférences soudaines pour des soldats de sa garde, qu'il chargeait d'un service auprès de lui, et qu'il chassait au bout de quelques jours. Pendant plusieurs années sou chambellan, Meyer, pour se présenter devant lui, devait se masquer de noir, parce que son royal maître n'aimait pas son visage. Un serviteur, que le roi trouvait stupide, dut se mettre sur le front un sceau noir, pour indiquer avait des lacunes dans le cerveau. Le roi se levait généralement à trois heures de l'après-midi; il sonnait son valet de chambre qui entrait en s'inclinant très bas; il recevait les ordres du roi sur une tablette tenue sur les genoux. Louis lui posait quelquefois jusqu'à vingt questions. Quand elles étaient écrites, le Roi disait : "Maintenant, répondez!". Son service une fois terminé, le valet de chambre devait sortir à reculons, en s'inclinant profondément. On raconte qu'un jour, Louis, trouvant qu'un laquais ne s'était pas incliné assez bas, lui cria avec colère: "Courbez-vous davantage!". L'homme se courba, s'inclina presque jusqu'à ce que son visage touchât terre, et alors le roi lui donna un coup de pied dans le menton. Il est constaté par le rapport lu devant le Landtag de Bavière, que vingt-deux serviteurs ont déclaré comme témoins qu'ils avaient été battus, frappés du pied, lancés contre le mur ou maltraités d'autre manière. Quelques-uns d'entre eux avaient reçu en compensation une grosse somme d'argent. Souvent le roi donnait des ordres à travers la porte fermée; les servieurs frappaient un coup pour montrer qu'ils avaient compris.
La dégradation se montra de plus en plus dans les habitudes du roi. Il se mit à manger sans mesure et à boire avec excès, surtout du vin bleu du Rhin, mêlé de champagne et parfumé à la violette. On dut lui retirer les armes de sous la main. Il ordonna plusieurs fois de charger de fers des serviteurs qui l'avaient offensé, et de les mettre au pain et à l'eau; il ordonna d'en mettre d'autres à mort et de jeter leurs corps dans le lac.Pa.r bonheur, il n'insistait pas en voyant que ses ordres n'étaient pas exécutés. Toutefois il donna l'ordre de jeter eu prison un secrétaire d'Etat, von Ziegler, et chaque jour il fallait lui envoyer un rapport imaginaire sur 1'état de ce personnage. Un jour, il envoya à un officier de haut rang, à Munich, un soldat porteur d'une lettre ainsi conçue: " Le porteur a dîné avec moi hier soir; qu'il soit immédiatement fusillé. » Quand e ministre des finances lui annonça que le budget était en déficit, et qu’il ne pouvait plus lui donner d’argent pour bâtir ses palais, le roi fit dire au conseil des ministres de fustiger ce chien et de lui arracher les yeux. On a montré ainsi trois ordres, signés de la main de Louis, pour l'exécutiou des ministrcs qui l'avaient offensé. Il avait en grande haine le prince royal d’Allemagne, qui venait chaque année inspecter l'armée bavaroise. Il ordonna à plusieurs reprises à son chambellan, Hesselschwerdt ,d’envoyer une troupe d’hommes pour s’emparer du prince, et. de le jeter dans un cachot où on le laisserait souffrir de la faim et de la soif. D'autres ordres du même genre furent donnés contre des princes et des ministres de Bavière.
Les serviteurs du roi ont attesté que pendant plusieurs années de suite il avait éprouvé de grandes douleurs derrière la tête, et qu'il fallait y appliquer de la glace. Il souffrait d’insomnies persistantes, pour lesquelles il prit du chloral.Il eut de fréquents accès d'excitation motrice, dans lesquels il sautait, dansait, gambadait de côté et d’autre. Quelquefois alors il s'arrachait les cheveux et la barbe. D'autres fois il restait immobile à la même place.
Il avait fréquemment des illusions sensorielles et des hallucinations. Souvent il entendait des pas, des voix. Quand il gelait ou neigeait, il se croyait auprès de la mer. Il avait coutume de s’incliner devant certains arbres, certains buissons ; il ôtait son chapeau devant les bustes, et faisait mettre ses serviteurs à genoux devant une statue qu’il croyait être celle de Marie-Antoinette. Il disait à un laquais de prendre des objets qui n’y étaient pas, et si cet homme paraissait dans l’embarras, il le menaçait de l‘étrangler. Il croyait voir des couteaux devant ses yeux. Il faut bien se rappeler que tous ces symptômes, toutes ces actions, réunis comme ils le sont en quelques phrases, ne représentent pas toute la vie de l'infortuné prince. Ils s'étendent à plusieurs années et sont mêlés à des actions plus sensées. Nous n’avons aucun moyen de déterminer le rapport de fréquence qu'ils avaient avec les autres idées, les autres faits et gestes du roi. Que Louis ait pu si longtemps conserver le pouvoir dans de telles conditions, c'est un fait historique qui peut sembler des plus étranges et des plus inconcevables. Nous ne sommes nullement surpris d apprendre que la fortune privée du roi et sa liste civile fussent administrés avec une négligence extrême, et qu'après la catastrophe terminale le chef de l’opposition ait fait une violente sortie contre les ministres de Bavière, sortie qui amena une vive réplique de la part de von Lutz. Un roi devenu incapable de gouverner trouve facilement des gens disposés à le faire à sa place ; et si ce n’eût été l'importunité de ses créanciers, l’extravagance de ses demandes au Trésor, ses menaces de faire pendre le ministre des finances s’il n’en obtenait-pas de l'argent, Louis II pourrait encore avoir son nom inscrit dans l'Almanach de Gotha, en qualité de roi de Bavière, comte Palatin du Rhin, colonel d’infanterie de lanciers, de hussards dans les armées d’Autriche, de Prusse, de Russie, etc. Le roi avait été pris d’une ardente admiration pour l’étalage de puissance du grand roi Louis XIV; il lisait tout ce qu'il pouvait se procurer sur lui et sa Cour, y compris même les désastres que son propre ancêtre, l’électeur de Bavière, avait eu à porter, à la suite de son alliance avec la France. On dit qu’il avait l’habitude d’errer la nuit, vêtu comme le grand monarque, dont il avait le portrait allégorique, représentant le soleil, dans l'une de ses splendides chambres. Son admiration s'étendait jusqu'à Louis XVI et à Marie-Antoinette. Ayant appris que l'on représentait à Vienne un drame relatif à Mme de Pompadour, il fit immédiatement, partir un envoyé spécial pour s'en procurer une copie ; mais ni le compositeur ni le directeur du théâtre ne voulurent la donner. On obtint néanmoins cette copie en engageant des sténographes qui recueillirent les paroles pendant que l'on jouait le pièce. Il bâtit dans une île le palais de Herrechiemsee, qui est la reproduction du palais de Versailles, pièce par pièce. Il était allé lui-même plusieurs fois à. Versailles, incognito, pour mieux faire la comparaison; ses plans de décoration, pour l'intérieur, remplissaient son ministre de désespoir. Il envoya des agents aux princes étrangers, au Brésil, à Stockholm, à Constantinople, à Téhéran, pour leur emprunter de l'argent. Il donna des instructions à l'un de ses serviteurs pour organiser une bande de voleurs, chargée de piller les banques de Vienne, de Berlin et, de Stuttgart, Le baron Mundy affirme qu'an mois de mars 1886 le Dr von Gudden, directeur-médecin de l'asile d'aliénés de Munich, fut consulté et déclara que l'état du roi ne constituait pas simplement de l'excentricité, mais bien une véritable aliénation mentale. Malgré cette déclaration, Louis resta en possession de ses droits légaux comme roi encore plus de trois mois, pendant lesquels il continua de rendre exécutoires les actes législatifs votés parle parlement de Bavière; ce n'est guère qu'au commencement de juin que les ministres bavarois se montrèrent enfin disposés à user de l'article de la constitution qui pourvoyait à la proclamation d'un régent en cas de maladie grave du roi. Le 9 juin, le prince Luitpold, oncle du roi, troisième fils de Louis Ier, fut nommé régent. La veille, quatre médecins avaient, sons la foi du serment, certifié que le roi était aliéné. Nous transcrivons leur certificat: "1° Sa Majesté est dans un état avancé de folie ; elle est atteinte de cette forme de maladie mentale qui est bien connue des médecins aliénistes sous le nom paranoïa (démence avec délire). 2° Par suite de l'aggravation graduelle et constante de la maladie, qui dure depuis plusieurs années déjà, Sa Majesté est incurable : on ne peut prévoir pour l'avenir qu'un affaiblissement de plus en plus grand des facultés intellectuelles. 3° Cette maladie exclut complètement le libre exercice de la volonté; par conséquent le roi n'est pas capable d'exercer le gouvernement. Cette situation se prolongera non seulement pendant plus d'une année, mais durant toute la vie du roi."
Signé : GUDDEN. GRASHEY. HAGEN. HUBRICH:
Le 9 juin une commission se rendit à Hohenschwangau, pour communiquer au roi les dispositions prises à son égard. Louis, qui se trouvait alors dans le château voisin de Neuschwanstein, fut averti par son cocher de ce qui se préparait contre lui. Il reçut la nouvelle avec calme, et prépara aussitôt ses moyens de résistance. Il réunit tonte la gendarmerie d'alentour, lança une proclamation faisant appel à son armée pour le défendre, et fit demander à Kempten un régiment de chasseurs. Mais l'officier qui commandait ce régiment, ayant eu connaissance de la proclamation de la régence, ne bougea pas. Lorsque trois des membres de la députation arrivèrent le lendemain matin à Neuschwanstein, ils se virent refuser l'entrée, sauf le comte de Holnstein, qui ressortit bientôt, après avoir en avec Louis une entrevue courte et pleine de défiance. Les commissaires retournèrent au vieux château, et quelques instants après un sergent de gendarmerie se présenta, avec un ordre écrit du roi pour les arrêter tous. Comme ils n'avaient point d'escorte armée, et que le sergent était accompagné de forces suffisantes, ils jugèrent à propos de céder, et ils furent conduits sons bonne garde à Neuschwanstein. Environ une heure et demie plus tard, trois autres membres de la députation, parmi lesquels le Dr Gudden et le Dr Miller, furent également arrêtés et enfermés dans le château. Le roi avait ordonné de leur arracher les yeux et de leur déchirer la chair sur les os. Au bout de deux heures, les gendarmes ayant eu connaissance de la proclamation de la régence, les commissaires furent délivrés de la situation dangereuse où ils se trouvaient, au pouvoir d'un maître devenu aliéné. Ils partirent immédiatement sans s'occuper de leurs bagages, et leurs voitures parcoururent en un rien de temps la distance qui les séparait de Munich. Le même jour le palais fut cerné dé gendarmes, sous les ordres du régent, et tous les serviteurs, excepté deux, durent quitter le vaste édifie, A trois heures du matin, le 12 juin, les commissaires vinrent de nouveau au palais. Le roi était dans la salle de musique, lorsque deux gardiens s'approchèrent de lui. Il se leva aussitôt, disant : "Oh les voici déjà!" Il se laissa conduire au bas de l'escalier, au pied duquel il rencontra les commissaires. D'un ton calme il dit qu'il n'avait pas les moyens de résister aux mesures prises contre lui; qu'il ne savait pas qu'il avait pu tourner contre l'empire d'Allemagne, dont il avait toujours été l'un des soutiens, pour qu'il laissât de pareilles choses s'accomplir. Ce qui lui faisait le plus de peine, c'était d'être déclaré aliéné, et d'être regardé comme tel par son peuple. Alors il tendit la main à Nickel, l'un de ses serviteurs, le remercia de ses bons services, et monta seul dans une voiture, sur le siège de laquelle un des gardiens avait pris place à côté du cocher. Les personnes qui l'entouraient sanglotaient tout haut. Un grand nombre de gens attendaient la voiture dans le village. Le roi les salua d'un façon amicale, et tous pleurèrent jusqu'à ce qu'ils l'eussent perdu de vue. On le conduisit en six heures au château de Berg (4). Il était accompagné par le Dr Gudden, avec une suite de serviteurs. Cette prompte et sommaire déposition fit naître bien des mécontentements, surtout parmi les gens de la campagne. Le roi avait reçu des offres de secours airs. et s'il se fût mis dans la tête de s'échapper dans le trajet vers le château de Berg quelque malheur aurait pu s'ensuivre. Il exprima son approbation pour les arrangements faits dans le château, conformément à ses goûts, et s'entretint amicalement avec le Dr Gudden, et avec le Dr Müller, qui avait été envoyé comme adjoint. Le dimanche 13, vers midi, il fit une promenade avec le Dr Gudden : il avait l'air tout à fait calme et amical. Vers six heures et demie du soir, il demanda à faire une autre promenade dans le Parc, et le Dr Gudden partit encore avec lui. Le Dr Müller envoya deux gardiens derrière eux; mais, sur la demande du du roi, ils s'en retournèrent. Comme le roi n'était pas rentré pour le souper, à huit heures du soir, on se mit à sa recherche. On trouva près du lac de Starnberg la canne du roi et le chapeau de Gudden ; on envoya alors un bateau le long du rivage, et vers dix heures et demie ou découvrit deux corps qui flottaient la face dans l'eau. L'examen des lieux et l'étude des circonstances démontrèrent que Louis avait dû entraîner le docteur vers le lac où il s'était précipité. Gudden l'avait suivi dans l'eau et l'avait saisi; mais Louis avait retiré son pardessus et sou habit. Le Dr Gudden, âgé de soixante-deux ans, dut perdre connaissance, ou bien le roi qui n'avait que trente-deux ans [en fait le roi avait 42 ans, ndlr] et était très vigoureux, le maintint sous l'eau jusqu'à ce qu'il fût asphyxié. Comme Louis était bon nageur; que l'endroit où l'on trouva les cadavres n'avait guère que trois pieds de profondeur, que c'était à vingt pas du rivage, il n'est pas douteux que ce roi détrôné n'ait cherché à trouver la mort dans le lac de Starnberg. Le corps du médecin dévoué, qui, fidèle à sa profession, n'avait. pensé qu'à son devoir, fut trouvé plus près du rivage, à un mètre environ du corps de son royal malade. Il présentait sur le nez quatre égratignures et sur le front une contusion que le Dr Gudden avait reçues dans la lutte. La montre du roi s'était arrêtée à sept heures moins six, l'eau ayant pénétré entre le verre et le cadran.
Il semblerait qu'en cédant aux désirs du roi et en donnant l'ordre aux gardiens de ne pas les suivre clans la promenade, le Dr Gudden n'a pas songé au danger d'un suicide; et cependant l'on dit que Louis avait plusieurs fois parlé d'en finir avec la vie; il avait demandé à être conduit au sommet d'une tour; et même, depuis qu'il était arrivé à Berg, on lui avait avait refusé l'usage d'un couteau pointu. Il semble étrange que le médecin expérimenté d'un grand asile n'ait pas redouté une agression violente de la part d'un aliéné qu'il avait si récemment fait. priver de la liberté et qui venait, trois jours auparavant, de donner l'ordre qu'on lui arrachât les yeux. En outre, même en admettant qu'il y eût an-tour du château un cordon de surveillance suffisant pour empêcher le roi de s'évader, une tentative d'évasion, même sans violences, eût été, à tout le moins, une affaire malencontreuse et déplorable. La terrible mort du roi ne réussit pas à imposer le silence à ceux qui doutaient. encore qu'il fût. aliéné. Ainsi pensa-t-on qu'il était nécessaire, pour trancher la question d'une manière évidente, de faire examiner le corps par des médecins connus pour leur expérience en anatomie pathologique. Ceux-ci trouvèrent dans le crâne, dans le cerveau et dans les méninges des altérations considérables, ayant le caractère des dégénérescences. On les regarda comme dues partie à un vice d'organisation congénitale et en partie à une inflammation chronique.
Parmi les détails de L'autopsie qui ont été imprimés, nous notons que la longueur totale du corps était 101 centimètres (six pieds); le tour de la poitrine était de 103 centimètres. Comparé à la grandeur du corps, le crâne était petit. Il était asymétrique; le diamètre occipito-frontal avait à gauche 17,2, à droite 17,9. La voûte était extraordinairement mince, le tissu osseux de la face intérieure du crâne présentait des altérations. Sur la table interne de l'os frontal était une production osseuse de 2 millimètres d'épaisseur, autour de laquelle le tissu de l'os était poreux et friable. Sur le rocher était une saillie qui pénétrait d'un centimètre environ dans le lobe temporo-sphénoïdal. La pie-mère était épaissie, surtout dans la région frontale, où elle était rugueuse et contenait beaucoup de sang. L' arachnoïde était épaissie, sans présenter de plaques laiteuses. A la partie supérieure de la circonvolution frontale ascendante la pie-mère et l'arachnoïde étaient devenues épaisses et rugueuses dans l'étendue d'une pièce de 1 franc; en appuyant sur la table interne du crâne elles avaient en ce point déterminé la résorption de 1'os.
Le cerveau pesait 1.340 grammes; il était plein de sang et un peu amolli.
L'estomac présentait des traces de catarrhe chronique. Si le défaut de symétrie et le développement défectueux de la base du crâne constituaient des anomalies originelles, les altérations des parties molles indiquaient bien une action morbide récente. En dehors ce que nous venons de voir, les résultats de l'autopsie, tels qu'ils ont été publiés, ne contiennent rien de spécial.
Au cours de cette relation rapide, nous nous sommes préoccupé de donner des faits, des détails, plutôt que de faire des réflexions ; mais il est difficile de n'être être point frappé d'étonnement en présence d'une histoire si étrange. Comment la Bavière a-t-elle pu, pendant tout d'années, être gouvernée par un roi aliéné, qui l'a traitée comme on traite un bien héréditaire de famille? Comment à peine est-elle délivrée de Louis II, les généraux de son armée et les autres fonctionnaires peuvent-ils être appelés à prêter serment d'obéissance à son frère Othon qui est, et qui a été depuis si longtemps plus aliéné que Louis lui-même! N'est-ce pas abuser du droit divin et de la sainteté d'un serment, que de faire roi un homme connu pour être notoirement incapable de régner, et d'obliger un peuple à lui promettre obéissance, alors que l'on sait que jamais ce peuple ne pourra être appelé à tenir cette promesse?
N'est-ce pas, en outre, profondément contraire aux traditions du droit divin que la maladie en vienne à imposer ses lois inexorables dans les palais des rois? Si les princes allemands ne rompent pas avec certains de leurs préjugés; s'ils ne se montrent pas plus sages et moins exclusifs dans leurs mariages, n'ont-ils pas à craindre qu'un peuple aussi éclairé que le peuple allemand ne se charge de leur enseigner ce qu'ils n'auront pas appris eux-mêmes, et, pour emprunter une expression de Schiller, de rendre, pour eux, plus facile d'être de simples hommes, et plus difficile d'être des rois. "
Notes de bas de pages
(1) Extrait de The Journal of Mental Science, octobre 1886 (2) Die Lezten Tage König Ludwig's II von Bayern, par R., Stuttgart, 1886. — Zur Königs-Katastrophe in Bayern, par le baron Mundy, Vienne, 1886. — König Ludwig II von Bayern. Sein Leben, Wirken und Tod geschildert von George Morin. Munich, 1886.
(3) En opposition avec ce fait, on peut mettre en compte le prompt traitement de Georges II, et la guérison obtenue par les soins du Dr Willis.
(4) Sur le lac de Starnberg, à dix lieues de Munich.
Notes de rédaction
*in Les annales médico-psychologiques, journal destiné à recueillir toutes les données relatives à l'aliénation mentale, aux névroses, et à la médecine légale des aliénés, 7ème série, tome 5ème, 45ème année, Paris, Masson, 1887, pp. 42 et suivantes.
** Le Dr Morel servit d'expert psychiâtrique dans le procès du comte Chorinski à Munich. Bénédict, Augustin Morel est un psychiatre français né à Vienne (Autriche) en 1809 et mort à Rouen en 1873. Il fut connu, au milieu du 19ème siècle, par la théorie de la dégénérescence humaine.
Références bibliographiques de divers écrits de l'auteur
On idiocy and imbecillity, London, J. and A. Churchill, 1877 The Blot upon the brain, studies in history and psychology, Edinburgh : Bell and Bradfute, 1885 Through the Ivory Gate: Studies in Psychology and History, Bell and Bradfute, London, Simpkin, Marshall and Co. Ce livre comporte un chapitre consacré au Roi Louis II de Bavière (pp.135 et suivantes de la réédition de 1889) qui fut traduit et publié en janvier 1887 en français par le Dr Parant (Annales Médico-Psychologiques, tome v.) et en allemand. The mental affections of children, idiocy, imbecility and insanity, London, Edinburgh, 1898
Traductions
La folie du roi Louis II de Bavière in Les annales médico-psychologiques, journal destiné à recueillir toutes les données relatives à l'aliénation mentale, aux névroses, et à la médecine légale des aliénés, 7ème série, tome 5ème, 45ème année, Paris, Masson, 1887, pp. 42 et suivantes.
Herrschermacht und Geisteskrankheit, psycho-pathologische Studien aus der Geschichte alter und neuer Dynastien von Dr. med. W. W. Ireland,... Autorisierte Übersetzung. [Ein Gespräch mit König Ludwig II, von Lew Vanderpool.] , Stuttgart : R. Lutz, 1887
La folie de Mohammed Toghlak, sultan des Indes, étude médico-psychologique / W. Ireland ; trad. de l'anglais par le Dr Edgar Bérillon, Paris, Bibliothèque scientifique et économique, 1890