Indolente et
nue Arcachon s'étire sous la bise fraîche d'un février moribond.
Les mimosas de la ville d’hiver imposent
déjà leur blondeur en compétition avec les ives précoces des jardins de
l’Aiguillon. Entre la jetée Thiers et la jetée d'Eyrac, Elliot – le chien
– hésite au bain de mer effrayé par les rouleaux d'écume du bassin.
Plus loin vers le port, les camions ont
dégagé l'esplanade de la criée et les chaluts sont au sec. Les
rieuses furètent comme des rats volants dans les squelettes des bers en quête d’arêtes charnues.
Les pêcheurs sont sains et saufs et Saint Ferdinand, protecteur des marins, au
repos sur sa croix jusqu'à la prochaine marée.
Enchaînée au corps mort, une
pinasse oscille sur l’escarpolette des vagues tandis que sur sa bouée un cormoran
fait le guet.
Les connections émotives de l’utopie
moins bornées que celles de la réalité m’autorisent la vision de l'autre coté
du bassin malgré l’écran des cabanes tchanquées. Derrière l'île aux
oiseaux, vers les passes et la jetée Belisaire, la vue me projette à
5 kilomètres de vol de mouette. J'imagine une improbable lady Godiva
chevauchant nue comme la dame de la légende, qui n’a rien à voir avec la marque
de chocolat belge en attente dans ma poche, soulevant le sable du temps de la
plage des Ferret-Capiens vers "la pointe aux chevaux", ou bien une
longue dame brune de retour de Gottingen ou de Chassiron marchant lentement
derrière le corbillard des souvenances. Souvenirs et fantasmes sont souvent de
l'autre côté. Après tout, que sait-on des nomades de l’affect? Il m'arrive
parfois d'avoir le sablier qui se grippe et d'être "une
heure arrêtée au cadran d'une montre".
Mystérieusement alertée par mes pensées divergentes, Ronronette cherche mon épaule pour s'en faire un appuie – tête et glisse sa main
dans l'espace vacant formé par le triangle de mon bras bien au chaud dans le
repli de ma veste. Malgré le risque de me faire dérober le carré de chocolat
tout neuf, je m'empare à pleine bouche de ses lèvres fines, délicates et
rosées. Debout sur un plancher de sable et sous un plafond de ciel,
je défends mon capital de cacao contre sa langue vorace. A quelques
pas de nous, ici et maintenant, il y a la scène classée X d'Elliot tentant sa
chance sur une petite chienne de la marque Shih tzu revêche, snob,
drapée, fière, offusquée et décoiffée par le vent.
Sur Arcachon, indolente et nue, il
y a hic et nunc, ce facteur X, l’obsession de mon envie encore intacte.