Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 261

Contrebandiers

Comme j’achète en quantité non négligeable  mais licite un produit bien moins cher à la frontière espagnole, un homme, qui parlait avec la vendeuse avant mon entrée, me détaille d’un air que je considère soupçonneux. Il sort avant la fin de la transaction et je lis dans son dos, sur son chasuble orange : govierno español.  Quand je me retourne, je comprends qu’il m’attend à la sortie.

Me sentant soudain complètement coupable de contrebande, je sors et il m’adresse la parole, accroissant mon inquiétude. Il fait une enquête…. pour le ministère du tourisme. Pourtant hostile aux sondages, le soulagement se mêle à la compassion sur ce parking désert au cœur de l’hiver. J’accepte de répondre. Il me demande la durée de mon séjour en Espagne. Une petite heure en vérité même si  j’en déclare deux tout en ayant envie de lui dire que c’est exceptionnel, d’habitude je reste deux ou trois jours. Il s’en moque de toute façon, je le vois à son attitude et d’ailleurs, pourquoi suis-je prise au jeu que j’estime absurde ? Je viens tous les combien ? Je réponds un mois et demi, deux mois. Ces réponses ne figurent pas sur le questionnaire. Je mets trois mois ! me dit-il. Idem pour la question suivante, du coup il m’attribue un salaire de trois fois le SMIC ! AH ! Si seulement… Est-ce que j’ai payé le stationnement ? Question essentielle qui pointe surtout ma bêtise : pourquoi y aurait-il un agent sur ce parking désert ? Ben oui… Surpris, il enregistre avec son stylet la réponse. Soupçonneuse à mon tour, je me dis qu’il doit bien remplir en douce quelques questionnaires tout seul. Il faut bien manger…

Au final, entre mes petits mensonges, ses petits arrangements , presque aucune réponse ne correspond à une quelconque réalité. Mais ça, ce ne devrait même pas m’étonner. Je pars, plus hostile que jamais aux sondages…

Colette Milhé