Le bercail.
Je ne pensais qu’à ça en me laissant aller sur les rails.
Retrouver la marmaille et la regarder s’amuser dans les bottes de paille entassées sous le hangar qui jadis, avait accueilli des rires de plaisir, lorsque je jouais avec mes cousines.
La liberté.
Libre de jouer sans le regard des adultes, qui se flouait après quelques verres et ne voyait pas plus loin que le salon où avait lieu la ripaille.
Libre de prendre des risques, perchée plusieurs mètres au-dessus du sol, imaginant là une cuisine, ici une chambre, un jardin, un Eden où l’insouciance livrait bataille à la routine parisienne.
Ça grattait le dos, les jambes et le cou, la paille. La peau rougissait et gonflait, tendue comme un arc au soleil couchant, visant une cible qui n’était autre que le présent, cet état de grâce qui imprime le souvenir dans la mémoire.
On sautait de pièce en pièce dans ce château de paille. On s’isolait du monde comme Robinson sur son île, puis on se découvrait, hilares, au détour d’une maille, tissée dans nos retrouvailles.
Ainsi, une fois l’an, l’été venu, nous parcourions le sud infini, nos âmes errant, le temps d’un moment, à travers le domaine d’un oncle trépassé, que nous avions connu lorsqu’il élevait la volaille. Les poules et les oies s’en donnaient encore à cœur joie, tandis que dans les bottes nous semions la pagaille.
« Il n’y a que Maï qui m’aille », répétait ma cousine, se moquant de mon frère, lorsqu’il parlait de son amoureuse…
Las, il fulminait et descendait au lac. Nous le suivions, dans la pente, tels des wagons tenant par la taille une locomotive fumante voulant s’abreuver d’eau pour expier sa rage. Pour nous échapper, il se jetait à l’eau et frôlait la poiscaille plutôt que d’affronter notre bave. Vaillantes guerrières, nous allions à l’assaut, sirènes perchées sur les rocailles vaseuses de la rive, faisant briller nos écailles pour étourdir l’ennemi…
Mais la locomotive, hélas, a quitté les rails, le jour où une de ces chamailles familiale l’a noyée dans le lac.
Je rejoins ce bercail où je ne suis pas revenue depuis, un gouffre, une faille, m’ayant retenue, un abîme que seul Charon aurait reconnu…
… Je déraille, contrairement à ce train qui me mène vers de nouvelles funérailles.
La culpabilité.