« Je connais peu d’œuvres », écrit Gide à propos de Vuillard, « où la conversation avec l’auteur soit plus directe. Cela vient surtout de ce qu’il parle à voix presque basse, comme il sied pour la confidence, et qu’on se penche pour l’écouter ». La remarque de Gide évoque un des artistes du groupe symboliste nommé les Nabis – Vuillard, Bonnard, Roussel, Maurice Denis – des créateurs qui font mieux que parler à voix basse, car ils arrivent à donner une forme picturale à ce qui paraît irreprésentable : le silence. Dans la lignée de Vermeer et Chardin, leurs petits formats aux couleurs assourdies semblent préserver un secret.
Les travaux proposés à l’exposition « Peinture Silencieuse » s’inscrivent à distance, volontairement ou non, dans cette tradition. Toutefois, de nos jours il faut un effort colossal pour faire barrage aux bruits qui nous entourent et qui parasitent notre attention. Dans leur simplicité, – une veste noire sur fond blanc de Pierre Buraglio ou une chaise de Didier Hagège – ces oeuvres résistent à tout bruitage et même à l’inflation du discours interprétatif qui envahit l’art contemporain. Peut-être qu’elles ne sont pas contemporaines, car elles semblent à la fois terriblement présentes mais aussi hors du temps, comme flottant loin d’elles-mêmes.
Ainsi, rien ne bouge chez Emmanuelle Pérat. Ses objets dispersés trouvent un point d’équilibre magique entre désordre et stabilité. C’est la lumière, cette « matière » impalpable, cette substance translucide, qui devient ici l’acteur principal. Lumière qui surgit et capte l’ensemble et qui, plus qu’éclairer simplement ces intérieurs, se transforme en un échangeur entre le plein et le vide. Ailleurs, les images d’Emmanuelle Mason semblent étrangement se dérober au réel. Posées sur le vide, les ruines au dessin tremblant ne sont que les fantômes d’un paysage urbain en décomposition. Rendus avec des lignes aérées, les corps, aux contours incertains, d’un renard, d’une chouette ou d’autres membres de sa ménagerie, semblent transparents, spectraux, entre la vie et la mort.
De même, la bibliothèque de Philippe Cognée est une image fantôme, une vibration visuelle, un objet mystérieux qui semble comme en voie de disparition dans un espace fuyant. Ailleurs encore, les toiles, qui se refusent à la description et encore plus à l’analyse de Jean-Pierre Schneider, architectures aux formes délestées de leur poids ou paysages d’un ailleurs, sont d’un dépouillement absolu. Excluant tout détail superflu, elles rejettent le pathos et le trop plein. Si la peinture est un tour de magie, celle-ci est faite sans trucages.
On peut avancer l’hypothèse qu’il existe, parmi d’autres, deux catégories de peinture que l’on peut nommer peinture lente et peinture rapide. Cette dernière s’impose d’emblée par l’effet de choc qu’elle met en scène. Puissante et expressive, sans éviter toujours le pathos, elle prend, peut-on dire, le spectateur à la gorge. L’expressionnisme en sera le parfait exemple.
La peinture lente, à bas bruit, reste plus discrète. Les œuvres parlent du silence, de l’immobilité, de la patience, de l’attente, du temps qu’il faut au regard pour saisir l’image, pour s’en emparer, pour s’en nourrir. Cette peinture est pleine de silence mais de ces silences compacts que laissent derrière eux les gens taiseux.
On songe à Cézanne, qui s’exaspérait de la lenteur qu’il mettait à produire ses innombrables vues de la montagne Sainte-Victoire. C’est pourtant cette même lenteur imposée au regard qui fait toute la valeur de cette oeuvre. Il faut du temps pour pénétrer dans cette montagne : mais lorsqu’elle s’installe en nous, c’est définitif.
Itzhak Goldberg
Peinture silencieuse, jusqu’au 24 février Galerie Univer, Paris 75011