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Afrique plurielle

Publié le 21 janvier 2018 par Aicasc @aica_sc

Afrique plurielle

Afriques : artistes d’hier et d’aujourd’hui  installée sur les cimaises de la Fondation Clément de janvier à mai 2018, s’articule en deux pôles.  Dans les deux salles supérieures, des objets anciens de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’ouest qui illustrent le rôle dévolu aux artefacts dans les sociétés africaines : communiquer avec les esprits, protéger, guérir, signifier une naissance, une prise de pouvoir, des funérailles ou accompagner une initiation. Aux côtés de la centaine d’œuvres majeures de la collection historique de la Fondation Dapper  qui témoignent de la richesse et de la diversité culturelles  du continent africain,  l’exposition dévoile aussi une trentaine  de créations contemporaines signées par dix – sept plasticiens. On note d’emblée la variété des démarches, des techniques, des formes artistiques qui inscrivent l’exposition dans une diversification des techniques et des matériaux, une hybridation typiquement contemporaines : sculpture, peintures, photographies, photomontages, collages et textile.

L’emploi de matériaux incongrus, caractéristique du paradigme contemporain trouve son illustration dans La silhouette effacée en capsules compressées de Freddy Tsimba mais sans atteindre la splendeur majestueuses des manteaux d’El Anatsui .

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El Anatsui

Certains de ces artistes comme Ousmane Sow et Cheri Samba sont de véritables vedettes internationales. Premier artiste noir à entrer à l’Académie des Beaux-Arts, en 2013, second sous la Coupole depuis l’entrée de Leopold Sedar Senghor à l’Académie Française, Ousmane Sow, – qui a rejoint le firmament des créateurs  en 2016- présente sa première exposition en 1987 au Centre Culturel Français de Dakar.  Six ans plus tard, en 1993, il est invité  à la Documenta  de Cassel en Allemagne  puis, en 1995, au Palazzo Grassi, à la Biennale de Venise, consécration absolue du le monde international de l’art. Son exposition sur le Pont des Arts, à Paris au printemps 1999 avait attiré plus de trois millions de visiteurs. Ses sculptures monumentales de guerriers Masaï du Kenya, lutteurs de l’ethnie Nouba du Soudan du Sud, Indiens d’Amérique, colosses figés dans le mouvement sont légendaires. Elles sont façonnées avec un matériau original dont le sculpteur détenait le secret de fabrication mais elles sont aussi  quelquefois dupliquées en bronze.

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Ousmane Sow, Toussaint Louverture

« Il y a au départ des déchets de colle altérée que je laisse macérer et que je mélange à une vingtaine de produits qui finissent par donner un produit onctueux et souple. À la base de la construction, il y a une armature en fer à béton que je recouvre avec une paille plastique imperméable, elle-même recouverte de toile de jute. C’est à partir de là que je travaille au relief musculaire. J’enveloppe ensuite l’ensemble dans un tissu que je recouvre d’argile. Mais l’argile n’est pas indispensable. Je l’utilise uniquement pour accrocher la lumière quand c’est trop lisse » .

Cette sculpture représente Toussaint Louverture lisant  la constitution du 8 juillet 1801 qu’il rédigea et dans laquelle il déclarait Haïti, son île natale, « première République noire libre ». Sa version en bronze,  de 2, 80 mètres de hauteur et 683 tonnes est installée à la Rochelle devant le musée du Nouveau monde. Le Smithsonian Museum de Washington a acquis une autre version, Tousaint Louverture et la vieille esclave

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Réalisée pour la commémoration du Bicentenaire de la révolution française, « Toussaint Louverture et la vieille esclave » a été acquise par le Museum of African art de la Smithsonian Institution à Washington

La carrière de Cheri Samba   décolle à partir des Magiciens de la Terre, cette exposition mythique et révolutionnaire  conçue par Jean- Hubert Martin  pour le Centre Georges Pompidou et la Villette.  Cet évènement,   qui réunissait pour la première fois des artistes européens et américains du « Centre » et des plasticiens de la « Périphérie», Afrique, Inde, Asie, Amérique Latine, Haïti, a profondément bouleversé les frontières de ce que l’on désignait alors comme l’art international mais qui se limitait jusqu’alors  aux créations européennes et américaines.

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Cheri Samba
Hommage aux anciens créateurs, 1999
Acrylique sur toile
151 x 201 cm
Collection Gervanne et Matthias Leridon
© Photo Matthieu Lombard.

En effet, Les USA et l’Europe  se sont longtemps partagé le marché de l’art.  L’ouverture de ce que l’on nomme les  marchés émergents est récente. L’émergence de la création contemporaine chinoise, latino-américaine, japonaise, russe, turque et du Moyen- Orient  est intervenue  entre 2000 et 2010. Celle de l’art contemporain africain, bien plus tardive,  est amorcée à partir de  2010 grâce à l’action conjuguée des acteurs du marché, expositions, foires internationales, ventes aux enchères. Le succès n’est possible que par ces interventions croisées de tous les acteurs du marché, une action isolée n’a aucun impact : Ainsi, la succession d’ expositions comme  Magiciens de la terre au Centre Pompidou et à La Villette (1989), Africa explores, 20th century african art  à New- York (1991), Africa Remix à Dusseldorf, Londres, Paris, Tokyo (2004-2007), Beauté Congo  à la Fondation Cartier (2015), Art /Afrique   à la   Fondation Vuitton (2017) conjuguées avec  les foires, AKAA (Also Known As Africa) (2017) et Art Paris (2017) mais aussi des ventes aux enchères ont permis l’émergence de l’art africain contemporain.  Si en 1999  la vente de la collection Pigozzi chez Sotheby’s est demeurée un  épiphénomène sans impact, par la suite, en relation avec les expositions et les foires, plusieurs ventes aux enchères ont participé à l’éclosion et à l’explosion de l’art contemporain africain sur le marché. Ainsi  depuis 2007 la maison Gaïa propose deux vacations Art africain par an, puis  Bonhams sous le titre Africa now : African contemporary art (2009), Piasa avec African Stories, Art contemporain africain (2014),   1: 54 à New – York (2015), Sotheby’s à Londres (2017) mais auxquelles sont venues s’adjoindre les ventes aux enchères d’  Artcurial et Cornette de Saint – Cyr en France en 2017 ainsi qu’à Londres, organisées en même temps que des foires.  

Parmi les onze artistes africains de Magiciens de la terre, Cheri Samba a mené  une percée fulgurante et son succès n’a pas faibli plus d’un quart de siècle après.

 Il expose à la biennale de Venise dès  2007 et réalise en 2017 une performance historique, la meilleure jamais enregistrée sur le marché de l’art, avec plus de 722.000$ d’oeuvres vendues en 12 mois. Le 12 Juin 2017, son tableau  Le seul et unique devoir sacré d’un enfant s’est vendu  dix fois son estimation.

D’autres artistes, présents à la Fondation Clément,  font partie de la génération montante et se sont déjà illustrés dans les principales expositions récentes consacrées à l’art contemporain africain. Soly Cissé, Samuel Fosso, Cheri Samba, Barthelemy Toguo avaient exposé dans Africa Remix dans les années 2000. Cheri Samba et Omar Victor Diop à la Fondation Cartier pour  Beauté Congo, Ouattara Watts dans Afriques Capitales. La Fondation Vuitton avait accueilli les œuvres de Cheri Samba, Barthelemy Toguo, Omar Victor Diop dans Art/Afrique.

Les oeuvres présentées à la Fondation Clément sondent la mémoire collective,  interrogent  l’histoire en portant un regard exacerbé sur les périodes coloniales et postcoloniales, questionnent les cultes et les rites, témoignent des troubles du présent. Ousmane Sow et Omar Victor Diop redonnent  vie aux figures héroïques de l’esclavage. Sam Nhlengethwa évoque dans ses collages les drames de l’apartheid.  Le politique est aussi à l’œuvre dans les compositions numériques de Malala Andrialavidrazana, «  ses broderies digitales » comme les nomme  l’artiste, qui confrontent les héritages traditionnels et les influences de la globalisation..

Chéri Samba, Kudzanai-Violet Hwami, Nyaba Léon Ouedraogo, Ransome Stanley, Soly Cissé, Joana Choumali  ouvrent plutôt le dialogue entre présences de l’invisible, croyances ancestrales et monde urbain

La part de la photographie – un tiers de l’exposition – est notable  et inscrit bien cette dernière dans l’évolution et l’insertion du medium photographique au cœur des arts plastiques. A l’orée des années quatre – vingt, le statut de la photographe évolue.  Photographie -document dès les années soixante, destinée à conserver les traces de formes artistiques éphémères comme le land art, le body art, la performance, elle devient environ vingt ans plus tard un matériau plastique qui installe de nouvelles pratiques photographiques,  ouvre l’éventail des expressions photographiques et assure la pluralité des approches.

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Nyaba Léon Ouedraogo- L’esprit du fleuve

La partie contemporaine de l’exposition de la Fondation Dapper propose deux pôles opposés de la photographie contemporaine.  Les images de la série Nappy de Joana Choumali et de la série L’esprit du fleuve de  Nyaba Léon Ouedraogo, s’inscrivent entre document et expression. Si elles restent centrées sur la question de la représentation, elles ne sont pas de purs documents ethnographiques mais propose une approche esthétique et éthique qui véhicule la pensée  de l’auteur. Joana Choumali commence à s’intéresser aux femmes qui arborent leurs cheveux naturels bien avant la déferlante de la mode Nappy. Cette quête modifiera en profondeur l’approche de sa propre apparence physique. Nyaba Léon Ouedraogo explore photographiquement un quartier particulier des bords du fleuve à Brazzaville où survivent  des populations déplacées devenues  pêcheurs,  prostituées, trafiquants pour survivre.  Ouedraogo cherche à comprendre comment elles s’approprient ce territoire.

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Omar Victor Diop
Jean-Baptiste Belley – série Diaspora ,
2014
160 x 106 cm
© Courtesy Magnin-A, Paris.

Samuel Fosso et Omar Victor Diop rallient la lignée des Cindy Sherman, Renée Cox, Stacey Tyrell où l’artiste  se met lui-même en scène, se déguise et se maquille pour endosser des personnalités différentes et interpréter des personnages historiques ou modernes dans une perspective analytique et critique. Ce ne sont pas des autoportraits et ces photos n’expriment en rien leur  être profond. C’est une fausse réalité forgée de toutes pièces fondée sur la citation, l’appropriation bien ancrée dans le  post – modernisme, vecteur de leur regard sur le monde.

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Samuel Fosso
Le Chef, celui qui a vendu l’Afrique aux
colons, 1997
C-print monté sur aluminium
128 x 128 cm
Collection Gervanne et Matthias Leridon

Samuel Fosso endosse plusieurs identités historiques pour développer une dimension critique sur la réalité africaine.

Omar Victor Diop,  dans cette série Diaspora, incarne douze africains qui ont joué un rôle important hors de leur continent du  XVI au XIX ème siècle. Il revisite ainsi l’histoire du portrait de cour mais y introduit un détail anachronique emprunté au football, qui selon ses dires, révèle souvent où en est la société en matière de relations raciales.

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Malala Andrialavidrazana
Figures 1838, Atlas Élémentaire, 2015
Encre pigmentaire sur Hahnemühle Ultra
Smooth
110 x 138,5 cm
© Malala Andrialavidrazana
Courtesy 50 Golborne, London C-Gallery,
Milano Kehrer, Berlin.

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Sam Nhlengethwa

L’usage que Sam Nhlengethwa fait de la photographie est tout autre puisqu’il l’inclut dans ses collages réalisés à partir de photos de magazines ou de photos d’albums de famille. Ces compositions aux découpes nettes montrent l’Afrique du Sud post -Apartheid.

Malala Andrialavidrazana développe elle aussi un emploi plastique de la photographie qu’elle manipule, découpe, superpose, entrecroise numériquement , juxtaposant des cartes anciennes du XIX ème siècle et des images plus actuelles, liées quelquefois à des souvenirs personnels, pochettes de 45 tours qu’elle écoutait adolescente ou billets de banques, et ce toujours dans l’objectif d’un décryptage politique.

A l’évidence,  chacun trouvera dans cette exposition dense et riche de quoi réjouir ses yeux et son esprit et pourra découvrir à chaque nouvelle visite un aspect inattendu.

Dominique Brebion


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