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La progéniture de Jacques Cauda

Publié le 22 janvier 2018 par Les Lettres Françaises

La progéniture de Jacques CaudaLes héros de ce roman hors-norme de Jacques Cauda sont deux fœtus jumeaux, le narrateur et son double, Sosie, particulièrement vifs et bavards, qui cherchent à se délivrer de leur mère par une voie singulière. Faisant fi du Noli tangere matrem dont se prévaut Lacan à la fin d’un texte célèbre, le terrible duetto coud le vagin maternel, comme l’adorable Eugénie de Mistival dans La philosophie dans le boudoir. Commence alors pour eux une longue odyssée les menant des lobes placentaires jusqu’à l‘« aureille senestre» en empruntant la veine cave ascendante, traversant le diaphragme, jusqu’aux épaules. C’est que, comme nul ne l’ignore, de Sade à Rabelais il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, tout en préparant ce « À boyre! » qu’éructa Gargantua dès sa venue au monde (on boit beaucoup dans Comilédie), avant même d’être à l’air libre, les deux jumeaux se sont mis à causer, causer littérature, philosophe, théologie… Et Jacques Cauda de préciser que son roman « est à lire comme l’urinoir de Duchamp se regardait; comme une entreprise de démolition de la littérature, un éloge du mauvais goût. » Un délice donc pour tout ceux qui en ont un peu assez de l’autofiction, du politiquement correct et de la prose académique trop bien léchée.

Mais qu’en est-il de la mère que le cheminement de ses jumeaux entre utérus, entrailles et organes divers ne semble pas trop perturber ? Elle se nomme Rose. Pas Rrose Sélavy, mais Rose Keller. Il s’agit de cette jeune femme que Sade aborda le 3 avril 1768, le jour de Pâques, place des Victoires, puis qu’il conduisit à Arcueil où, après l’avoir fustigée, il entailla son dos avec un canif, avant de couler sur ses plaies un onguent de son invention. La belle n’a jamais mentionné de rapport sexuel, mais saurons-nous un jour la vérité sur ce point ? En tout cas, la progression des deux fœtus jumeaux au travers du corps maternel provoque toutes sortes de rencontres plus ébouriffantes les unes que les autres. Dante, Casanova, Diderot, Baudelaire, Joyce bien sûr, Faulkner ou Picasso, mais aussi Thomas d’Aquin, maître Eckart et Pascal. Et cela occasionne des formules savoureuses: « Ma Matisse et papa coud », « Une femme a un conin et parfois de Kooning ». Roussel, Brisset et même Verheggen sont du voyage. Dans ce livre la bibliothèque est en feu, l’érudition copule avec le comique le plus débridé. Mme de Maintenon devise avec Emma Bovary, les noms et les mots dansent la gigue. Confession de l’auteur: « Je commence, comme Stendhal et Freud, à préférer le plaisir de l’écriture à celui de la lecture. »

Puis brusquement, tandis que le transit des jumeaux s’accélère dans la veine cave de la parturiente, la course folle devient celle d’une rame de métro fonçant dans le sous-sol parisien. Se trouve là toute une compagnie de joyeux fêtards parmi lesquels le célèbre abbé de Choisy qui aimait à s’habiller en femme et se faisait appeler Madame de Sancy, qui accompagnera désormais les jumeaux jusqu’au terme. S’organise alors une partouze à laquelle participent Pascal, Racine, Furetière, jusqu’à Verlaine. À la station Montparnasse, ce sont toutes les pensionnaires d’un bordel qui entrent en scène. Elles entourent gaiement Rose bientôt mère. « Une immense batterie de plumes se répand sur toute la ligne: hirondelle, rossignol, fauvette, huppe, perdrix… » Puis c’est enfin la délivrance. Comilédie. Comme il est dit.

Jacques Cauda qui est peintre et photographe tout autant qu’écrivain, a réalisé les dessins et les collages qui scandent son roman et qui, contrairement à l’image du linge parant Buffon en train d’écrire, ne sont pas là pour soutenir l’inattention.

Jean-Claude Hauc

Comilédie, de Jacques Cauda
Éditions Tinbad, 176 pages, 20 euros.


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