Le regard extérieur (1)
Je suis tombé sur un article de Bourdieu sur Sartre, écrit dans les semaines qui ont suivi la mort de ce dernier en 1980. J’ai pu ainsi comparer l’étude d’un auteur par l’un (Baudelaire, Mallarmé, Genet ou Flaubert) et par l’autre. Bourdieu s’intéresse aux circonstances qui ont autorisé Sartre à devenir Sartre pour conclure que celles-ci ayant changé, il n’y aura plus d’ « intellectuel total ». En revanche, Sartre étudie chez chacun, « le choix de lui-même qu’il a fait (être ceci, ne pas être cela) comme le fait tout homme originellement et d’instant en instant, au pied du mur historiquement défini de sa « situation » » comme le dit Leiris dans la préface au Baudelaire. Les circonstances sont-elles donc impératives (Bourdieu) ou surmontables (Sartre) ? Surtout le second part du point de vue de l’individu étudié alors que le premier examine le cadre dans lequel il intervient, regard intérieur ou extérieur. Enfin, j’ai le fort sentiment que Sartre mort, Bourdieu n’a eu de cesse de le remplacer avec un succès incontestable et une habileté certaine, en particulier en séparant avec le plus grand soin, le travail scientifique de l’action politique.
Il a donc su faire les choix pertinents car il n’était pas le prisonnier de contraintes. « La sociologie de Durkheim est morte » écrivait Sartre en 1943 (Sartre, 1968 : 173).
Bernard Traimond
BOURDIEU, Pierre, « L’invention de l’intellectuel total », Libération, 31 mars 1983 (traduit de l’anglais, The London Review of Books, 20 novembre 1980).
SARTRE, Jean-Paul, Situations, I, Paris, Gallimard, 1968.
Baudelaire, Paris, Folio-essais, 1988.