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Bruce Willis : héros increvable dans la saga Die Hard, boule de nerfs dans L’Armée des douze singes, sauveur de l’humanité dans Armageddon… et psychologue en pleine crise conjugale dans Sixième sens. Pour son troisième long-métrage, M. Night Shyamalan, alors inconnu du grand public, s’attaque à un poids lourd du cinéma hollywoodien des années 80-90. Et l’on mesure la portée subversive de son geste désacralisant au succès de Sixième sens.
Déconstruire la persona
Sixième sensest d’abord un film sur la persona de Bruce Willis. La première séquence tire un trait sur toute sa filmographie héroïque : alors qu’il fête la remise d’une médaille de la ville avec sa femme (Olivia Williams), le psychologue pour enfants Malcolm Crowe se fait tirer dessus à bout portant par un de ses anciens patients, à l’évidence toujours souffrant. « L’homme qui ne peut pas mourir » dans Die Hard se retrouve donc, dès les cinq premières minutes, mis à mal. Un mythe de l’actioners’effondre.Par la suite, le couple Crowe s’effiloche. Malcolm ne cesse de s’interroger sur le silence de sa femme depuis sa blessure. Comme si Shyamalan reprenait les mésaventures conjugales de John McLane. Désormais traitées sous un angle dramatico-réaliste, et non plus grotesque, elles passent au premier plan. Dans Sixième sens, Bruce Willis apparaît d’abord comme un être en souffrance. Mais sa souffrance ne nourrit plus sa rage, comme son personnage de James Cole dans L’Armée des douze singes ; elle le paralyse, enraye sa volonté, le dépossède de son propre corps.Celui-ci se dé-compose littéralement à l’écran. Qu’il soit John McLane ou James Cole, Bruce Willis surgit avant tout comme un corps unifié, un bloc de granit propulsé à travers le décor : une force brute. Pour ramener le héros à une échelle humaine, Shyamalan s’ingénie à découper l’aura mythologique qui entoure le corps de Willis. Une colossale lutte s’engage entre la figure-phare de l’acteur et la discrétion de l’auteur. Elle se joue dans les plans serrés et les gros plans, qui isolent les parties du corps et déconstruisent l’unicité de l’être héroïque.
Retour en enfance
Au terme de cette déconstruction mythologique émerge un nouveau Bruce Willis. Prudent, dubitatif, plus adjuvant que héros. Une persona vieillie.Surtout, sa transformation s’accompagne en parallèle de la construction d’une nouvelle figure : l’enfant. Cole Sear (Haley Joel Osment) a moins de dix ans, et pourtant il voit des choses terrifiantes : les morts. Sa découverte de la vie adulte se fait sur le mode de la souffrance. L’exact inverse de Bruce Willis : quand le héros d’action rétrograde, l’enfant progresse, mais les deux marchent ensemble, côte à côte, sur le chemin de la douleur. Un passage de flambeau.La figure de l’enfant-voyant – Sear se rapprochant de see – amène également une autre perception du monde. John McLane ou Harry Stamper (Armageddon) ne lisent pas le monde ; ils le façonnent à leur manière, ils adaptent le décor à leur corps en perpétuel mouvement. Au contraire de Cole Sear et Malcolm Crowe, qui, eux, n’ont pas ce pouvoir d’agir sur le monde physique. En revanche, ils savent en décrypter les signes – titre d’un autre Shyamalan. À l’action se superpose la ré-flexion : le héros n’impose plus tant son emprise sur le monde que ce dernier ne le façonne.Les futurs héros de Shyamalan découlent de Cole Sear. À son image, ils apprennent à comprendre les signaux de l’univers. C’est d’abord la posture attentive qui les caractérise : apprendre à recevoir pour apprendre à donner.
Sixième sens, de M. Night Shyamalan, 1999
Maxime
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