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Rien ne va plus en Arabie saoudite

Publié le 01 février 2018 par Gonzo
Rien ne va plus en Arabie saouditeLe Ritz Carlton de Riyadh (avec une offre à un peu moins de 1000 euros pour le Club Lounge en ce moment);

Trois mois après ses débuts, la « campagne contre la corruption » menée en Arabie saoudite est loin d’avoir livré tous ses secrets même si la première phase, aux dires du Procureur général chargé de l’affaire, est terminée. Beaucoup d’informations, souvent contradictoires, circulent dans la presse locale et internationale, et plus encore sur les réseaux sociaux. Pour s’en tenir aux propos officiels, il apparaît que, sur les 381 personnes « retenues » (dont 200 environ appartenant à la famille royale), 58 seulement sont encore à l’ombre (sans doute ailleurs qu’à l’hôtel qui doit reprendre ses activités normales en février).

La semaine dernière a été marquée par la libération de quelques gros poissons, en particulier trois grands noms des médias saoudiens, Al-Walid bin Talal bien entendu (الوليد ابن طلال : Rotana, Twitter, autrefois News Corporation de Robert Murdoch sans oublier l’étonnante aventure de la chaîne Al-Arab), mais également Walid al-Ibrahim (وليد الإبراهيم : MBC, la plus grosse chaîne du paysage audiovisuel arabe) et Salah Kamel (صلاح كامل : la chaîne ART). On ignore la nature exacte des « transactions » qui ont accompagné ces « libérations » (à géométrie variable selon les informations qui circulent). La seule chose à peu près certaine, c’est que le prince régent, MBS, a considérablement avancé dans un projet poursuivi depuis longtemps : assurer sa main-mise sur les médias saoudiens, tour de contrôle des médias de la région.

À côté des interrogations politiques qui entourent toutes ces grandes manœuvres, il convient de souligner les problèmes, très concrets, qui se posent aux professionnels chargés de faire tourner l’économie saoudienne. Si l’actuelle politique extérieure du Royaume apparaît à nombre d’observateurs aussi aventuriste qu’erratique (comme en témoigne l’actualité de ce qui se joue en ce moment même à Aden au sud du Yémen), le même constat, propre à décourager les investisseurs, peut être étendu aux autres secteurs d’activité comme en témoignent différentes affaires survenues dans l’univers des médias.

Il y a quelques semaines encore, Daoud al-Shiryan (داوود الشريان), le journaliste vedette de la MBC qui a quitté la chaîne après onze années de bons et loyaux services, faisait figure d‘homme clé dans la nouvelle configuration des médias du Royaume. Deux mois après sa nomination à la tête des médias officiels, en novembre dernier, on évoque déjà une démission prochaine « pour raison de santé ». Il avait déjà essuyé de sévères critiques après la nomination d’une journaliste, Rim al-Habib (ريم الحبيب), aux compétences discutées et surtout beaucoup trop « moderne » pour une partie de l’opinion. Les milieux conservateurs ont ainsi diffusé, sur les réseaux sociaux, des photos d’elle tête nue et fumant la chicha ! Horreur ! À peine nommée, la directrice exécutive du conglomérat des médias nationaux a dû démissionner. Mais le probable coup d’arrêt de la fulgurante promotion de Daoud al-Shiryân est surtout lié à une série de contrats beaucoup trop généreux pour lesquels ses adversaires parlent déjà de corruption. On lui reproche notamment d’avoir acheté à un prix parfaitement exorbitant les droits exclusifs de diffusion d’un feuilleton égyptien destiné à être programmé durant le prochain ramadan. Il s’agit de Mondes cachés (عوالم خفية), avec pour vedette l’inusable Adel Imam (عادل إمام), retenu en exclusivité pour la modique somme de sept millions de dollars, plus du double des trois millions ordinairement négociés pour ce type de contrat.

Une autre affaire est venue dans le même temps renforcer l’impression, chez nombre d’observateurs, que la gestion des entreprises médiatiques saoudiennes manque singulièrement de sérieux. Dans un précédent billet, j’avais évoqué le fait qu’Ahlam, une chanteuse des Émirats, avait été écartée de The Voice, une des émissions « prestigieuses » de la chaîne MBC. Arrivant au moment même où le propriétaire de la chaîne venait d’être mis aux « arrêts de rigueur » , cette éviction avait été attribuée à un manque de ferveur patriotique de la part de la  vedette, mariée de surcroît à un Qatari, lesquels sont désormais les meilleurs frères ennemis des officiels d’Arabie saoudite et des Émirats ! On vient d’apprendre que sa remplaçante, la Koweïtienne Nawal, est à son tour remerciée pour que sa rivale retrouve son trône au sein du jury. Un retour en grâce préparé, diront les mauvaises langues, par le fait que ladite Ahlam a pris soin de démentir publiquement avoir subi le moindre ostracisme de la part des médias saoudiens. Pour faire bonne mesure, la star de la chanson dans le Golfe a également pris partie contre un humoriste libanais, Hicham Haddâd (هشام حداد), poursuivi en justice pour s’être moqué de l’intraitable MBS en direct (sur une chaîne libanaise, il faut le préciser). Un de ces crimes de lèse-majesté dont la tradition perdure dans la région.

Revenant sur cette affaire, Al-Akhbar évoque les différentes raisons qu’on a pu mettre en avant pour expliquer ce volte-face qui ne risque pas, là encore, d’inspirer confiance aux partenaires en affaires des Saoudiens : pour certains, le surprenant retour d’Ahlam sur le devant de la scène médiatique est dû à la toute récente libération du patron de la MBC, Walid al-Ibrahim. D’autres penchent pour une lecture plus politiquement tortueuse, la malheureuse Nawal ayant fait les frais de la brouille entre l’Arabie saoudite et les Koweïtiens, accusés depuis peu d’être trop complaisants à l’égard des Qataris. À mon sens, il faut surtout suivre ceux qui estiment que le véritable motif de ce coup de théâtre dans le petit monde des médias arabes réside dans les surcoûts entraînés par le remplacement de la vedette des Émirats par sa rivale koweïtienne : Talpa Middle East, la branche locale de la société qui gère ce méga-succès planétaire, n’a pas pour habitude de se plier aux caprices, fussent-ils royalement politiques, des sociétés avec lesquelles elle sous-traite son émission !

Quoi qu’il en soit, il apparaît de plus en plus que, dans les médias saoudiens comme dans les autres secteurs économiques du Royaume, « rien ne va plus » : à la fois parce que le marché aux bonnes affaires n’est plus ce qu’il était et, aussi, parce que, à présent que les paris ont été faits, tout le monde attend de voir sur quel numéro s’arrêtera la rou(lett)e de la fortune…


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