Dans les années 2000, le Japon a vu son industrie d’internet se développer très rapidement. C’était ce qu’on appelle « la bulle IT ». En effet, nous avons constaté l’émergence d’une grande vague d’entrepreneurs. L’internet a commencé à supplanter les médias traditionnels, tels que la télévision et la radio, et les spéculateurs déferlaient dans ce domaine. C’est également à cette époque que se sont développées beaucoup de géants internet qui occupent actuellement des places importantes au Japon. Par exemple, « Soft Bank », la troisième grande entreprise au Japon.
Présentation des acteurs impliqués.
En 1996, Takafumi Horié, étudiant de l’Université Tokyo, a monté une petite entreprise, « On the edge », avec ses trois amis. Cette entreprise a été ultérieurement renommée « Livedoor ». Elle offrait des services concernant la production des sites internet, la publicité en ligne et le centre de traitement des données. Puisque c’était l’époque où l’industrie d’internet se développait en plein essor au Japon, l’entreprise a rapidement augmenté son chiffre d’affaires et a été coté en Bourse en 2000. Dorénavant, elle n’a cessé de s’agrandir en recourant aux opérations fusion-acquisition. Ainsi, avec le capital qu’elle a acquis grâce à ces opérations, son modèle de business est devenu comme celui de fonds d’investissement. A l’époque, Horié a été connu comme symbole d’hommes d’affaires de la nouvelle génération menant des activités innovantes dans le domaine d’internet.
Le 8 février 2005, Livedoor a soudainement annoncé qu’elle avait acquis 35% des titres émis de la chaîne de radio, « Nippon Broadcasting Système » en vue d’en prendre contrôle. Néanmoins, son objectif ultime de cette opération d’acquisition des titres n’a pas été la prise de contrôle de Nippon Broadcasting Système à vrai dire. En effet, ce n’est qu’une chaîne de radio qui était en train de perdre son influence en tant que média face à l’évolution d’internet. L’intention de Horié était en réalité de prendre contrôle de la chaîne de télévision, « Fuji télévision ». Jusqu’au moment où Livedoor a acquis des titres de Nippon Broadcasting Système, ce dernier était le principal actionnaire de Fuji télévision détenant la majorité, voire le pouvoir d’influencer des décisions de cette chaîne de télévision japonaise. Vu la baisse de l’influence de radio, la valeur des titres de Nippon Broadcating Système était sous-estimée par rapport à la valeur réelle tenant en compte de la valeur des actions de Fuji télévision qu’elle détenait. Ainsi, Horié a essayé d’acquérir la chaîne de télévision au prix très intéressant en passant par Nippon Broadcasting Système. Cependant, son projet ne s’est pas réalisé comme il l’avait souhaité. De fait, Horié a fait face aux oppositions très rigoureuses de la part de l’opinion publique. Derrière cette opinion publique contre ce jeune homme d’affaires, il y a eu une implication des dirigeants des géants médiatiques qui ont voulu protéger l’industrie médiatique contre lui. Ils ont mené une compagne négative contre Livedoor de façon que cette dernière n’a plus qu’à entamer des négociations en vue d’une solution amiable. Par conséquent, Livedoor a renoncé à cette tentative de l’acquisition de la chaîne de télévision à condition que Fuji télévision lui verse une certaine somme d’argent à titre d’investissement. Certes, Horié a réussi à obtenir un financement à travers cet évènement, quoiqu’il n’ait pas pu avoir ce qu’il avait vraiment voulu, mais il s’est fait des ennemis parmi les dirigeants de grandes entreprises qui sont conservateurs et qui ne sont pas favorables à l’intrusion de ce jeune entrepreneur dans leur domaine.
Le 16 janvier 2006, Livedoor a été perquisitionné par le parquet général pour le soupçon de la violation de la loi concernant les instruments financiers. Cela a été juste avant un rendez-vous avec « Lehmann Brothers » en vue de l’acquisition de « Sony ». Par la suite, Horié a été arrêté le 23 janvier 2006, il a été inculpé de la comptabilité créative illégale. Horié a prétendu qu’il était innocent, en soulignant le fait que ce qu’il avait fait était complétement légal en ce temps-là au regard des critères comptables qui étaient en vigueur. Cependant, la cote des titres de Livedoor a radicalement chuté et elle a finalement été rayée de la Bourse. Bien qu’il y ait eu un doute sur la culpabilité d’Horié, la situation n’a pas été propice pour lui en raison de son image négative causée par les campagnes négatives. Malgré les plusieurs appels qu’il a faits au cours de la judiciaire, la Cour suprême l’a enfin condamné à 2 ans et 6 mois de prison, si bien qu’il a perdu tout ce qu’il a bâti avec son entreprise.
Les dirigeants de Nippon Broadcasting Système et Fuji télévision ne s’attendaient pas du tout à ce que Livedoor lance une action d’acquisition. De fait, l’industrie médiatique, notamment celle de télévision et de radio, était oligopolistique depuis toujours et il n’y avait quasiment pas de concurrence. Dans ce contexte, Livedoor est apparu à brûle-pourpoint comme leur ennemi. Elle a introduit un rapport de force concurrentiel dans un environnement très peu concurrentiel, si bien que son apparition a surpris non seulement les dirigeants de ses cibles, mais aussi l’industrie médiatique entière. Au début, les dirigeants des géants médiatiques se sont retrouvés sans contre mesure, et l’opinion publique était favorable à Horié qui avait été considéré comme réformateur de l’industrie traditionnelle.
Toutefois, ce rapport de force a été inversé très rapidement après-coup. Les médias ont lancé une campagne négative, et en conséquence, Horié a dû renoncer à l’acquisition.
Ce qu’il a négligé serait le rapport de force sociétal, voire celui entre le faible et le fort. Il n’a pas suffisamment pris en compte le fait que la société japonaise soit très conservatrice et que l’opinion publique japonaise puisse facilement basculer contre lui. En termes de puissance et de pouvoir d’influencer la société, Horié, qui ne s’y connaissait pas en jeu de pouvoir dans le domaine relativement traditionnel, était plus faible que les dirigeant des groupes médiatiques.
Au début, ni Nippon Broadcasting Système, ni Fuji télévision n’ont de stratégie. Elles se sont endormies sur ses lauriers et n’ont pas du tout préparé aux tentatives d’acquisition hostile, alors que Livedoor a bien élaboré la stratégie afin d’acheter la chaîne de télévision au prix très intéressant. Cependant, les groupes médiatiques ont réussi à se protéger contre Horié en profitant des moyens qu’ils possédaient déjà, à savoir les médias. D’ailleurs, la compagne négative contre Livedoor a facilement porté ses fruits non seulement parce que la télévision et la radio ont un grand pouvoir d’influence, mais aussi parce que Horié a sous-estimé l’impact que l’opinion publique peut avoir sur son action.
Officiellement, il n’y a pas de rapport entre la tentative de l’acquisition de Fuji télévision par Horié et son incarcération. Néanmoins, Il n’en reste moins vrai qu’il y a beaucoup de débats concernant la possible influence des compagnes médiatiques contre Horié sur la décision de la cour suprême. De fait, la peine qui lui a été infligée est relativement grave par rapport aux précédents et il y a quand-même beaucoup de spécialistes de finance qui doute de l’illégalité de ce qu’il a fait.
En somme, Horié a eu une stratégie pour acquérir le géant médiatique, ne serait-ce qu’une stratégie imparfaite, tandis que Nippon Broadcasting Système et Fuji télévision n’ont pas du tout de stratégie lorsqu’elles ont été frappées par Livedoor. Toutefois, ce sont ces dernières qui sont sorties vainqueurs.
Ce cas est très prégnant dans la mesure où nous pouvons en déduire qu’avoir une stratégie n’est pas suffisant pour sortir vainqueur dans le contexte d’un rapport de force extrême du fort au faible Horié n’a pas aperçu un élément clé dans la conception de la stratégie, qui est l’opinion publique, et cela l’a mené à l’échec total, voire l’emprisonnement parce que l’amplitude des pouvoirs d’influence des actuers a été tellement immense.
Hirakata Kata
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