Les faits (1)
Dans le monde médiatique, dire s’appuyer sur des faits constitue l’alpha et l’oméga de la vérité. Le seul problème est que les faits ne nous sautent pas à la gorge. Ils n’accèdent à notre connaissance que par la médiation d’informations qui, tôt ou tard, passent par le langage. En conséquence, la « transformation » des pratiques en discours partagé ou partageable, ce saut périlleux que constitue la « verbalisation », ne peut se faire que par un minimum d’examen critique.
Ces évidences sont généralement occultées ou oubliées soit pour des raisons pratiques – faire simple – ou institutionnelles – accéder immédiatement à la « réalité ». Elles me semblent pourtant indispensables à l’expression de tout discours « sérieux ».
Comme d’habitude tout un appareillage a été mis en place pour échapper à ces exigences et l’un d’eux fut appelé par Sorokin, la « quantophrénie », la manie de quantifier : « les chiffres le disent » entend-on comme s’ils n’avaient pas été fabriqués au goût de leur auteur.
Les faits n’existent pas, il n’y a que des informations, discutables. L’antique critique historique permet de les hiérarchiser et de les inclure dans une chronologie pour aller de la plus vraisemblable à la plus discutable.
Bernard Traimond
SOROKIN, Pitirim, Tendances et déboires de la sociologie américaine, Paris, Aubier, 1959.