Après avoir évoqué dernièrement les inégalités et la concurrence fiscale au sein de la zone euro, il m'a semblé utile de revenir à l'âpre question de la dette publique. Il s'agit en effet d'un sujet de prédilection qui refleurit à chaque campagne électorale, puis s'évanouit dans le fatras des autres annonces politiques. Pourtant, à force de parler de la dette publique, on finit par oublier qu'il existe aussi des dettes privées dont le niveau devrait au moins autant inquiéter...
La dette publique
Commençons par ce graphique, qui en dit plus qu'un long texte :
[ Source : Eurostat ]
Ainsi, à la fin du troisième trimestre 2017 (dernier chiffres connus), le ratio de la dette publique par rapport au PIB s'est établi à 88,1 % dans la zone euro, en baisse par rapport au troisième trimestre 2016 (89,7 %). Eurostat précise également que, par rapport au troisième trimestre 2016, trois États membres ont enregistré une hausse de leur ratio de la dette publique par rapport au PIB (l'Italie, le Luxembourg et la France) et les vingt-cinq autres une stagnation ou une baisse.
Fondamentalement, la dynamique de la dette publique dépend de son niveau et du différentiel (taux d'intérêt réel - taux de croissance). Et c'est peu dire que les dernières années, les États ont pu profiter de la politique ultra-expansionniste menée par la BCE, qui s'est traduite par une baisse des taux d'intérêt à long terme sur la dette publique et en tout état de cause une croissance (même très faible) supérieure aux taux d'intérêt, rendant supportable même des niveaux d'endettements publics très élevés comme en Italie ou en Espagne.
Or, l'assouplissement quantitatif mené par la BCE a vocation à s'arrêter un jour (prochain). À ce moment, si la hausse des taux d'intérêt fait craindre aux investisseurs un niveau insupportable du remboursement de la dette publique dans le budget des États, alors se déclenchera une nouvelle crise de la dette publique au sein de la zone euro. En effet, si le taux d’intérêt à long terme devient supérieur au taux d’intérêt moyen sur la dette, le paiement des intérêts sur la dette publique augmentera.
Comment peut-on réduire la dette publique ?
J'attire l'attention du lecteur sur le fait que ce n'est pas le stock de dette publique que les États cherchent à baisser pour éviter ce que l'on appelle un debt overhang (faible croissance résultant d'un endettement public trop élevé), mais le taux d'endettement public, c'est-à-dire le stock de dette publique rapporté au PIB. Certes, mais comment fait-on alors pour réduire ce taux d'endettement public ?
4 solutions possibles :
* faire en sorte que les taux d’intérêt à long terme soient inférieurs à la croissance nominale. En effet, dans ce cas, l’écart entre croissance et taux d’intérêt réduit le taux d’endettement chaque année, et le pays peut donc se désendetter à moindres frais. Le problème est que cela dépend de la politique monétaire menée par la Banque centrale qui, le plus souvent, est indépendante et rechignera à garder trop longtemps les taux à court et long terme bas (risque d'inflation, risque de formation de bulles, etc.). De plus, cette méthode de désendettement est très lente et peut conduire certains États à ne pas respecter le sacro-saint objectif d'équilibre budgétaire exigé par la Commission allemande européenne.
* allonger la maturité de la dette publique. C'est ce que l'on appelle également une restructuration de la dette publique, et qui est (était ?) au cœur des négociations en Grèce. L'État va donc échanger ses titres de dette publique actuels contre des titres à 50 ou 100 ans, voire perpétuels ! Pour mémoire, la maturité moyenne de la dette publique en France est de 7 ans environ, contre 15 ans au Royaume-Uni. L'avantage résulterait évidemment du fait que les nouveaux titres de dette publique seraient émis à des taux d'intérêt très bas, ce qui éliminerait le risque de taux d'intérêt pour l'État. Mais en contrepartie, le service de la dette serait étalé sur plusieurs générations.
* monétiser la dette publique. Cela consiste, comme je l'avais expliqué dans ce billet, pour la Banque centrale à créer de la monnaie pour ensuite acheter les titres de dette publique. Une fois les titres transférés sur son bilan, la Banque centrale peut décider soit de les annuler explicitement soit de reverser les intérêts touchés sur cette dette à l'État émetteur, ce qui revient à une annulation mais implicite. Mais le danger est grand que les gouvernements ne prennent pas ce mécanisme pour ce qu'il est, à savoir un répit pour engager les réformes nécessaires à la soutenabilité de leur dette publique. Les économistes parlent alors d'un risque d'aléa moral, pour décrire cette situation où les gouvernements pourraient être incités à mener des politiques budgétaires très expansionnistes (hausse des dépenses publiques ou baisses des impôts), puisqu'ils savent que la Banque centrale monétisera les dettes publiques.
* annuler la dette publique. Dans le jargon, on préfère parler de défaut sur la dette publique, certainement parce que cela rassure un peu. Toujours est-il que c'est la méthode non coopérative par excellence, mais qui est aussi la plus usitée dans l'histoire.
La dette privée
Certes, la France connaît une petite embellie conjoncturelle sur laquelle je reviendrai prochainement, mais celle-ci s'est fait au prix d'un endettement privé toujours très (trop) important :
[ Source : Alternatives Économiques ]
En France, le taux d'endettement global des ménages est hélas croissant alors que le taux d'épargne brute baisse, ce qui laisse à penser que la consommation et l'investissement des ménages reposent en fin de compte pour une grande partie sur du sable :
[ Source : Natixis ]
Quant à l'endettement des entreprises, il ne cesse lui aussi d'augmenter :
[ Source : Natixis ]
Or, est-il besoin de rappeler que la crise des subprimes était avant tout une crise de l'endettement privé et non public ? Dès lors, comment se fait-il que les commentateurs patentés s'inquiètent tant de l'endettement public et presque jamais de l'endettement privé ?
L'endettement total (public et privé) atteint du reste des niveaux stratosphériques un peu partout dans le monde, en raison notamment de la financiarisation croissante de l'économie et des politiques monétaires très expansionnistes menées par les Banques centrales :
[ Source : Natixis ]
Quant à la Chine, il devient évident qu'elle va devoir faire à un grave problème de surendettement au vu de l'évolution de son endettement total, dont le FMI s'était déjà inquiété officiellement :
[ Source : Zero Hedge ]
Le fond du problème en Chine est que le pays a beaucoup de mal à rééquilibrer son modèle de croissance, pour l’instant basé encore essentiellement sur les exportations, afin de donner plus de vigueur à la demande intérieure, en particulier la consommation des ménages. Pour ce faire, il faudrait en effet se débarrasser des entreprises zombies, souvent publiques du reste, ce qui conduirait à court terme à une hausse socialement et politiquement dangereuse du taux de chômage. Alors en attendant, les entreprises publiques sont parfois sous perfusion durable et la banque de l'ombre n'hésite pas à se substituer à l'État lorsque celui-ci arrête le goutte-à-goutte...
En définitive, c'est probablement à nouveau de l'endettement privé (bulle sur les actions, sur l'immobilier, etc.) que viendra la prochaine crise, mais en attendant nos politiques s'affrontent uniquement sur les questions d'endettement public et l'aveuglement se poursuit !