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Les 10 dossiers qui empoisonnent les relations franco-suisses

Publié le 07 février 2018 par David Talerman
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Relaitons entre la France et la Suisse

Ça n’a pas toujours été comme cela, mais en ce moment, entre la Suisse et la France, ce n’est pas le grand amour. Vous aussi vous l’avez remarqué ? Depuis plusieurs années, une bataille digne des guerres de tranchées se livre, en toute discrétion, entre la Suisse et l’Union européenne, et notamment la France. Au centre de ces batailles : les frontaliers, qu’ils soient suisses ou français, et les expatriés. L’enjeu ? Il s’agit bien entendu la plupart du temps d’Économie, de fiscalité et d’argent.

#1. La double imposition en matière de succession

Depuis 1953 existait entre la Suisse et la France une convention qui évitait une double imposition en matière de succession. Pour des raisons probablement politiques, la France a décidé de dénoncer unilatéralement cette convention fin 2014. Cette loi permettait de gérer des situations successorales courantes comme par exemple le décès d’un suisse vivant en France et ayant des biens et des actifs en Suisse et en France. Avant fin 2014, la loi Suisse primait pour, par exemple, les ressortissants suisses vivant en France (sachant qu’il n’y a pour ainsi dire pas de droits de succession en Suisse). Depuis le 1er janvier 2015, c’est la loi française – beaucoup plus confiscatoire pour les héritiers – qui s’applique, permettant ainsi à l’état français de récupérer une part non négligeable de l’impôt sur les successions, voire la totalité suivant la situation.

#2. La prise en charge du chômage des frontalier européens par la Suisse

Le sujet a été évoqué par la Commission européenne, qui suggère que ce soit le pays de travail qui prenne en charge – et donc finance – le chômage des travailleurs frontaliers. Car en effet, les frontaliers français, bien que cotiant pour le chômage en Suisse, sont indemnisés et pris en charge par la France. Pour un pays comme la Suisse qui accueille plus de 320 000 frontaliers, si ce projet devait aboutir, la note serait très salées, et notamment pour des cantons comme Genève ou Bâle qui accueillent un nombre important de travailleurs frontaliers.

#3. La préférence cantonale à l’embauche

Depuis 2014, l’Etat de Genève applique une préférence cantonale pour l’embauche de personnes dans des sociétés touchant des subventions du canton, ou dans des structures publiques. En clair, les sociétés doivent préférentiellement recruter des personnes qui résident en Suisse (suisses ou étrangers). Concrètement et dans les faits, cette préférence se traduit par une certaine forme de pression de la part des autorités cantonales sur les entreprises suisses qui souhaitent recruter des candidats, y compris parfois pour les entreprises qui ne sont pas subventionnées.

Directement issue des conséquences de la votation de février 2014, cette loi, qui écarte de facto les travailleurs frontaliers est un gros coup de canif dans les accords bilatéraux qui laissent en principe place à la libre circulation des personnes entre la Suisse et la France.

#4. Le nouveau referendum de l’UDC sur la libre circulation

Le peuple suisse a voté en février 2014 une limitation de l’immigration qui a bien failli mettre un terme aux accords bilatéraux entre la Suisse et les pays de l’Union européenne. En s’attaquant à l’immigration, ce referendum a mis en péril, par effet dit de guillotine, tous les autres accords entre la Suisse et l’Union européenne, et notamment les accords commerciaux limitant les droits de douane, ou encore les subventions pour la recherche, et la participation des jeunes suisses au programme européen Erasmus. Pour éviter tout ceci, la mise en œuvre de ce referendum, qui est intervenue fin 2016, a été « adoucie » par les parlementaires. Seulement voilà, l’UDC, le parti conservateur à l’origine du referendum, a crié à la trahison, estimant que la loi mise en oeuvre n’était pas conforme au texte d’origine. Qu’à cela ne tienne, l’UDC a remis sur le tapis un nouveau referendum, beaucoup plus clair cette fois, car il est simplement question de mettre fin aux accords bilatéraux. Le peuple décidera.

#5. L’impôt sur les sociétés

C’est probablement le dossier le plus ancien, et le plus emblématique des relations entre la Suisse et l’UE : la Commission européenne accuse depuis des décennies la Suisse de dumping fiscal pour les sociétés, en proposant des taux d’imposition pour les sociétés (IS) particulièrement bas… du moins sur le papier. En effet, la Suisse paye dans ce dossier son isolement et son fédéralisme : entre les cantons qui proposent les taux d’IS les plus bas, Zoug en tête, et ceux proposant des taux d’imposition largement plus élevés que la moyenne de l’Union européenne (comme c’est le cas pour Genève), difficile pour l’Union européenne de faire dans le détail. Comme le peuple suisse a refusé la réforme proposée sur le sujet en 2016, une autre loi devra être votée. En bref, la Suisse fait ce qu’elle peut pour rester compétitive tout en se conformant à ce que l’Union européenne lui « suggère », mais cela ne va visiblement pas assez vite aux yeux de la Commission européenne, qui voit dans cette politique fiscale une forme de concurrence déloyale, oubliant qu’elle fait probablement bien pire avec le Luxembourg, la Belgique ou les Iles vierges britanniques.

#6. La présence de la Suisse dans la liste grise des paradis fiscaux

Après avoir enterré son secret bancaire en 2009, et mis en œuvre début 2018 l’échange automatique d’informations avec les pays de l’Union européenne (qui permet, entre autre, au service fiscale d’un pays qui en fait la demande de connaître le niveau des finances d’un ressortissant qui aurait des fonds dans une banque suisse), la Suisse s’attendait probablement à un autre traitement : en retrouvant la Suisse dans la liste grise des paradis fiscaux (c’est-à-dire les pays qui doivent encore faire des efforts en matière de transparence fiscale) éditée par les Ministres des Finances des 28 pays de l’UE, et menée par un certain Moscovici (…), on murmure que les conseillers fédéraux ont été furieux.

#7. Les Suisses qui résident en France et qui ne se déclarent pas

En quête d’argent, et privées d’une historique dotation étatique, les communes françaises ont plus que jamais besoin de fonds. Pour les communes de la zone franco-suisse, les frontaliers s’avèrent une potentielle source de revenu direct non négligeable puisque chaque frontalier qui s’annonce à la commune permet à cette dernière de percevoir environ 1000 francs suisses du canton de travail du travailleur frontalier. Malheureusement, certains frontaliers, souvent de nationalité suisse, ont décidé, pour des raisons qui leurs sont propres, de ne pas se déclarer en France et de conserver en Suisse une adresse officielle mais souvent fictive. Résultat : pas de dotation pour les communes, et un manque à gagner sur le plan fiscal. Depuis peu, certains cantons communiquent aux communes les noms des frontaliers travaillant dans le canton, et certaines communes communiquent davantage avec la Suisse. Mais on est encore loin d’un bon fonctionnement, et les tensions restent vives sur ce dossier.

#8. Les commandements de payer de l’URSSAF aux entreprises suisses pour les salariés en double activité

Il est difficile de rentrer dans le détail de ce dossier technique et très politique, mais en clair une interprétation un peu sauvage du droit communautaire par la France lui a permis d’obliger certaines entreprises suisses à payer rétroactivement des charges à l’URSSAF, notamment pour certains frontaliers ayant une double activité (comme par exemple les frontaliers travaillant en interim en Suisse et en France). Cette interprétation a été portée à son paroxysme quand il a été possible pour l’URSSAF de réclamer des charges pour des salariés frontaliers ayant été au chômage avant de travailler dans l’entreprise suisse visée. Cette folie, dont les frontaliers ont été les premières victimes, a fait l’objet d’un moratoire (ce qui signifie qu’elle peut à tout moment être réactivée).

#9. La fuite des professionnels français de la santé en Suisse

Ce phénomène est probablement pire que la fuite des grandes fortunes françaises en Suisse : la Suisse manque cruellement de médecins et de professionnels de santé en général, et vient naturellement « recruter » parmi les candidats français et européens à l’expatriation. Une dégradation des conditions de travail en France depuis plusieurs années, et des conditions différentes côté suisse : il n’en faut pas moins pour qu’un nombre non négligeable de professionnels de la santé s’installent en Suisse. Quand on sait ce que coûte, en formation, un médecin ou un professionnel de santé, le voir partir pour d’autres cieux, fussent-ils plus cléments, n’est pas du goût des autorités françaises.

#10. La dépendance énergétique de la Suisse à l’égard de l’UE

Le peuple suisse a voté la fin du nucléaire, d’ici à 2050. Véritable dilemme (la Suisse accueille notamment la centrale nucléaire la plus vieille d’Europe), la décision du peuple a été assez nette (58% de favorables à une sortie du nucléaire). Cela signifie concrètement que la Suisse, faute d’en produire suffisamment, devra acheter aux pays voisins de l’énergie, jusqu’à son auto-suffisance. D’un point de vue économique, c’est une dépendance qui va donc se créer entre la Suisse et les pays de l’Union européenne, et très probablement la France, même si le plan prévoit une création progressive d’énergie via les techniques de production d’énergie « propres ». Cette situation ne mettra probablement pas la Suisse dans les meilleures dispositions pour les différentes négociations dans les décennies à venir.

Comment tout ceci se traduit-il ?

Tous ces dossiers ne sont que des jetons qui permettent, tantôt à la France, tantôt à la Suisse, de faire pression sur l’autre. La Suisse tarde à réformer son système d’imposition des entreprises ? Pourquoi ne pas dénoncer unilatéralement la convention de double imposition en matière de succession.

On reprochera probablement toujours à la Suisse de faire cavalier seul, et sa belle santé économique avivera toujours les jalousies.
Sans être un spécialiste en sciences politiques, on comprend assez rapidement que la Suisse n’a en revanche que peu de moyens de pression face à l’Union européenne ou même la France, quoi qu’en pense l’UDC. Sa force, c’est son économie, mais aussi sa faiblesse car son 1er partenaire commercial, c’est l’Union européenne, et les entreprises suisses, pour se développer, on absolument besoin de la main d’oeuvre européenne, et seraient durement impactées par le retour de droits de douane et autres taxes. Aussi, dans la perspective d’une mise à mort des accords bilatéraux, on peut s’attendre à une sortie très dure et des négociations difficiles, un peu comme ce qui est en train de se jouer entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne, avec le Brexit.

Mais quoi qu’il en soit, la seule chose qu’il faut vraiment retenir, est selon moi la suivante : le point commun de tous ces dossiers, ce sont les hommes, ceux qui vivent et travaillent au quotidien dans la région. Toutes ces négociations politiques, et notamment lorsqu’un dossier est « activé », impactent presque systématiquement les particuliers, qui se trouvent au centre de négociations et discussions qui les dépassent, mais dont ils font les frais. Et compte tenu du niveau de relation entre la Suisse et la France, ce n’est pas prêt de s’arrêter en 2018…

crédit photo : Fotolia – fotogestoeber


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