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Malick Sidibé, « l’œil de Bamako »

Publié le 11 février 2018 par Les Lettres Françaises

Malick Sidibé, « l’œil de Bamako »Toujours je défendrais le bonheur et je l’ai vu, magnifié, dans l’œuvre de Malick Sidibé dont la Fondation Cartier offre une rétrospective intitulée « Mali Twist ». Malick Sidibé a célébré la beauté, la joie, la danse, la jeunesse, l’élégance et a donné à voir des regards bouleversants, exultants, fascinants. Le photographe, surnommé « l’œil de Bamako » est né en 1935 dans un village peul du Mali. Durant ses études dans l’« École des blancs », il s’exerce avec brio à l’art du dessin. En 1955, un diplôme d’artisan bijoutier en poche, il rencontre Gérard Guillat-Guignard, dit « Gégé la pellicule » qui l’embauche pour organiser les décors de son studio de photographie. Malick Sidibé réalise alors ses premiers clichés. En 1956, il achète son premier appareil. Dans les années qui suivirent, il réalise des reportages dans son village de Soloba et portraiture sa famille. Ce qu’il considère comme un manque d’expérience lui fait refuser de reprendre la gérance du studio de Gérard Guillat-Guignard qui le lui avait proposé. En 1960 le Mali devient enfin indépendant. Sidibé achète un laboratoire et ouvre, deux ans plus tard, son propre studio à Bamako. En 1963, au Happy Boys Club, il prend un cliché qu’il intitulera Nuit de Noël et qui deviendra iconique au point d’être qualifiée par le Time d’une des « 100 photographies les plus influentes de l’histoire ».

Malick Sidibé devient rapidement célèbre, attirant au Studio Malick toute une jeunesse avide de se voir représentée dans ces photographies qui les mettent en valeur. Sidibé parcourt aussi les clubs, représentant sans relâche les corps qui dansent, rient, flirtent. Son ami André Magnin le décrit dans ces fêtes : « Malick était la garantie d’une soirée réussie. On se le disputait, tout comme Garrincha, qui dansait le twist si bien et si vite qu’on lui avait donné le nom du meilleur dribbleur de tous les temps. Un vrai spectacle ! Malick, attendu aux soirées, avait sa table et un « sucré ». Il inspirait confiance, trop sincère pour « voler » des images. Il signalait son arrivée par un coup de flash. « Malick est là ! » La fête pouvait commencer. Immédiatement c’était l’ambiance, il donnait de la joie. Son plaisir, c’était leur plaisir. Malick portait un regard objectif et généreux, sans écart entre les élégants, les séducteurs, les amoureux qui s’exhibaient, et lui qui cherchait les belles poses. Il se transportait en eux pour donner les images les plus vraies. »

En 1976, à la disparition des clubs, Sidibé se consacre entièrement à la photographie en studio. Les clichés, tous en noir et blanc, s’accumulent par milliers, fixant avec art des visages, des poses, des attitudes, des looks. Les décennies suivantes marqueront un recul dans son activité : le public préfère la couleur. Mais, à partir du milieu des années 1990, Sidibé commence à participer à des expositions internationales. En 1992, une exposition à New York montre trois œuvres dites anonymes. André Magnin les emporte avec lui au Mali et fait la connaissance de Malick Sidibé qui lui explique que les clichés sont de Seydou Keïta. Ce sera le début d’une riche collaboration. En 1994 s’ouvrent les premières Rencontres de la photographie africaine où Seydou Keïta et Malick Sidibé exposent. Une première rétrospective de l’œuvre de Sidibé se tient à la Fondation Cartier en 1995. Son œuvre entre aussi dans les galeries et dans les musées. Une première monographie est publiée en 1998. Il reçoit de nombreux prix dont un Lion d’or d’honneur à la 52e Biennale de Venise en 2007. En 2016, les Rencontres d’Arles lui consacrent une grande exposition. Malick Sidibé meurt la même année.

Malick Sidibé, « l’œil de Bamako »
Regardons quelques œuvres. Nuit de Noël d’abord, de 1963. Sur le fond, on distingue un palmier, des fauteuils dépareillés, une femme assise sur l’un d’eux, et, derrière des arbres, la nuit. Au premier plan, un couple danse. La jeune fille, pieds nus, est vêtue d’une belle robe blanche. Elle incline la tête avec grâce. Son front touche celui du garçon, très élégant dans son costume clair, cravaté et chaussé de mocassins. L’image déborde de joie, de bonheur et d’amour. Dans un texte enregistré par André Magnin en 1994 et 1998, reproduit dans le catalogue de la rétrospective de la Fondation Cartier, Malick Sidibé raconte sa méthode de travail : « Dans la rue, les camarades de mes enfants m’appelaient et m’appellent encore « Malick ! Malick ! » J’étais l’artiste. Ils se sentaient en confiance, décontractés. Les poses n’en étaient que meilleures. J’assistais à leur fête comme à une séance de cinéma ou à un spectacle. Je me déplaçais pour capter la meilleure position, je cherchais toujours les occasions, un moment frivole, une attitude originale ou un gars vraiment rigolo. Les jeunes, quand ils dansent, sont captivés par la musique. Dans cette ambiance, on ne faisait plus attention à moi. C’est comme ça que j’en profitais pour prendre les positions qui me plaisaient. (…) Certains me demandaient de les photographier pour avoir un souvenir, d’autres allaient s’isoler dehors dans les feuillages et m’appelaient pour que je les prenne avec mon flash pendant qu’ils s’embrassaient dans l’obscurité. Je pouvais utiliser jusqu’à 6 pellicules de 36 poses pour une surprise-partie. » De même que La Danse de Matisse est une peinture qui danse, cette photographie de Sidibé est une photographie qui danse.

Regardez-moi ! de 1962 montre une groupe de danseurs dont un jeune homme, complètement déhanché, qui rit et semble en transe : ses yeux sont bouleversants comme dans toute l’œuvre de Sidibé que l’on peut parcourir de regards en regards comme on irait d’un bonheur à un autre. C’est également vrai des clichés en studio. Avec toujours, encore, cette attention portée aux vêtements, à l’élégance. « En studio, raconte encore l’artiste, j’aimais le travail de composition. Le rapport du photographe avec le sujet s’établit avec le toucher. Il fallait arranger la personne, trouver le bon profil, donner une lumière sur le visage pour le modeler, trouver la lumière qui embellit le corps. J’employais aussi du maquillage, je donnais des positions et des attitudes qui convenaient bien à la personne. » Mais rien de figé pour autant, évidemment serais-je tenté de dire, car sinon nous ne serions pas face à une œuvre de beauté. L’humour, en outre, n’est pas absent de ce travail. En 1974, il photographie au flash, à l’extérieur, un homme assis dans un fauteuil, les jambes croisées, vêtu d’un costume à carreaux et d’une chemise à fleurs mais le visage est resté dans la pénombre : Sidibé l’a intitulé Ce n’est pas ma faute !

J’aimerais décrire encore d’autres œuvres, tant elles sont riches, fortes, poignantes et enthousiasmantes. En effet, il faudrait encore parler des photographies prises sur les rives du fleuve Niger, comme ce Sur les rochers du fleuve Niger de 1971 qui montre un jeune homme torse nu, pris en contre-plongée d’où se dégage une sensualité sculpturale. Je terminerai par une dernière citation de Sidibé qui résume joliment sa philosophie : « Pendant les soirées, les jeunes influencés par la musique sont excités, déchaînés, comme en transe, ils se sentent bien dans leur peau. Quand je les regardais gesticuler avec tant de ferveur, je me disais : « Danser, c’est bon, dans la vie, il faut s’amuser, après la mort c’est fini ! »

Franck Delorieux

Exposition Malick Sidibé, Mali Twist
Fondation Cartier, du 20 octobre 2017 au 25 février 2018


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