Le droit des enfant d'avoir peur

Publié le 04 juillet 2008 par Marieclaude

Dire à un enfant qu'il n'a pas raison d'avoir peur, c'est lui faire éprouver exactement la même chose que nous lorsque nous sommes malheureux et qu'on nous dit: Voyons! tu te fais du mal vraiment pour rien. Comme nous, il a alors l'impression de crier à l'aide…et que personne ne l'entend.»

La psychologue Isabelle Falardeau parle en pleine connaissance de cause. Elle et ses collègues Jocelyne Martin et Céline Poulin, enseignantes en Technique d'éducation en services de garde, ont en effet exploré le monde des tout-petits. Elles sont coauteures de l'ouvrage Le Bébé en garderie*, destiné aux éducatrices qui s'occupent d'enfants de 3 à 30 mois.

La préface du livre est explicite: Un bébé, c'est un Petit Poucet, «un être ingénieux qui a de grandes forces malgré sa délicatesse». Il faut apprendre à croire en son potentiel et à vivre en harmonie avec lui, en respectant son rythme et ses besoins. C'est cette approche qu'Isabelle Falardeau applique aux peurs. «Les enfants possèdent tout ce qu'il faut pour apprivoiser leurs peurs. Il faut seulement leur en laisser la chance et le temps. Et les y aider.»

Je te comprends…

Nous, les adultes, sommes tellement démunis devant la peur d'un enfant, commente Isabelle Falardeau. Et c'est normal. La peur est l'une des émotions les plus viscérales qu'un être humain puisse éprouver. Plus troublante encore que la colère. Un enfant qui a peur ressent une émotion très intense, physique même (battements de cœur accélérés, jambes flageolantes…) mais, contrairement à nous, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il ne peut pas «nommer» sa peur. Il est perdu, déconcerté. Face à ce désarroi, nous devenons mal à l'aise, nous nous sentons impuissants. Pour remédier à la situation, le premier réflexe qui nous vient, c'est de surprotéger.»

«Mais surprotéger l'enfant, c'est lui envoyer le message suivant: il ne faut pas avoir peur. Ce que tu ressens n'est pas correct. Il en déduira qu'il ne devrait pas réagir ainsi, bref, que ce n'est pas acceptable socialement d'exprimer sa peur. Mais au contraire! C'est normal d'avoir des émotions, de les vivre, et la peur fait partie de ces émotions.»

Isabelle Falardeau explique par ailleurs que les peurs ne forment pas un bloc homogène. Certaines sont là dès la naissance ou presque: la peur des bruits, du vide, des hauteurs, des mouvements brusques… Ces peurs sont innées, instinctives; elles nous gardent aux aguets, pour nous permettre de survivre.

D'autres peurs s'ajoutent en cours de route, au fur et à mesure que se fait la maturité socio-affective. Ainsi, vers un an, les bébés ont souvent peur des étrangers. Enfin, il y a les peurs apprises par conditionnement. Par exemple, si un enfant s'est pris le doigt dans l'ouverture d'une porte et s'est blessé, il hésitera à remettre la main au même endroit.

Tu vas tomber!
Non : Tu peux tomber

Que faire devant la peur d'un tout-petit qui s'affole à la vue du Père Noël, d'un chien ou d'une marionnette? «Devant de telles situations, il faut éviter de dire: ça n'est pas épeurant, conseille Isabelle Falardeau. Il faut plutôt prendre le temps de parler à l'enfant, de le réconforter. Par exemple, si un enfant fond en larmes à la vue d'une balle qui roule vers lui, on peut lui dire: tu as peur parce que la balle roule vite, et qu'elle est rouge, et grosse? Indiquer à l'enfant qu'on le comprend, tout est là. Ensuite, si l'enfant le veut, on l'aide à amadouer sa peur, lentement. Si un enfant ne se sent pas compris, ou bien il va pleurer encore plus, ou bien il va s'enfermer dans un mutisme total. Ni l'un ni l'autre ne sont souhaitables.»

La spécialiste rappelle aussi qu'un enfant apprend par imitation. S'il a peur d'un chien, on ne le force pas à le toucher mais on peut nous-mêmes caresser l'animal devant lui. Ainsi, il retiendra qu'on peut approcher un chien. «On devient pour lui un modèle de comportement. À lui de prendre ses décisions par la suite.»

Isabelle Falardeau insiste par ailleurs sur un point crucial: quand les circonstances s'y prêtent, il faut laisser les bébés se prouver qu'ils sont capables de se sortir eux-mêmes de situations difficiles. «Un enfant s'est aventuré dans un endroit étroit. Il se sent coincé. Apeuré, il se met à pleurer. On peut bien sûr aller le chercher et le tour est joué. On a d'ailleurs envie de se précipiter pour le faire! L'expérience sera cependant beaucoup plus profitable si on lui dit qu'on est prêt à l'aider, mais qu'il peut y arriver seul. En le guidant dans les gestes à poser, il réussira effectivement à se sortir du pétrin lui-même. C'est un apprentissage fondamental; l'enfant renforcera ainsi son sentiment de compétence.»

La vie comporte ses dangers bien réels, et il faut évidemment en prévenir l'enfant. Tout est dans la manière. Isabelle Falardeau souligne qu'il existe une nuance considérable entre avertir… et décréter un drame imminent. «Entre dire à un enfant qui s'approche d'un escalier tu vas tomber et tu peux tomber, il y a une nette différence. Annoncer une catastrophe, affirmer qu'elle va se produire quand ce n'est pas le cas équivaut à poser des limites à l'univers de l'enfant, à rétrécir son champ d'exploration. C'est lui dire: je pense, moi, que toi, tu n'es pas armé pour affronter ton environnement. Tout en étant attentif aux risques réels, on doit donc veiller à faire des mises en garde positives.»

La peur sait par ailleurs être amusante. Tous les petits le savent! Ils adorent frissonner devant l'image du «gros monsieur fâché», sauter sur les genoux des adultes puis «tomber dans le trou» ou «aller jusqu'au ciel» en se balançant…«La peur fait vibrer, c'est très excitant! explique Isabelle Falardeau. En récupérant par des jeux ou des livres d'histoire cette propension des enfants à aimer par moment ressentir la peur, nous leur permettons de se familiariser avec les sensations qui lui sont associées et surtout, d'apprendre que parfois, au bout d'un moment, la peur s'évanouit. Tiens, tiens! la peur se dompterait donc, conclura inconsciemment l'enfant.»

Prudence ici, souligne toutefois l'auteure. Il faut savoir doser. «Faire sauter l'enfant trop vite, le balancer trop haut, bref exagérer, peut faire surgir chez lui l'impression de perdre la maîtrise de son environnement, de ne plus avoir le contrôle. Et ça, c'est très désagréable à ressentir, à tout âge. Du même coup, l'enfant pourra par ailleurs éprouver une fêlure dans sa relation de sécurité avec l'adulte.»

Le droit d'avoir peur

Tous les adultes qui peuplent le monde du poupon doivent se concerter pour agir de façon cohérente quand un petit manifeste de la peur.

«Une bonne communication continue entre le parent et l'éducatrice est indispensable, dès le début. Au moment de l'inscription, l'éducatrice pourrait, et plusieurs le font déjà, s'informer des peurs du bébé. Tous les parents du monde peuvent nommer au moins une chose qui effraie leur petit! L'éducatrice devrait en même temps demander au parent comment l'enfant se calme: suce-t-il son pouce, prend-il une doudou? Il est bon aussi de savoir ce que les parents ont l'habitude de faire, eux. Ainsi, on peut mieux s'ajuster.»

Isabelle Falardeau donne l'exemple d'un enfant qui a peur du noir. À la maison, on a l'habitude de lui laisser une petite veilleuse.

«L'éducatrice doit examiner les solutions possibles avec le parent, suggère-t-elle. Le petit pourrait peut-être se coucher près d'une porte entrouverte d'où filtre de la lumière. Selon moi, il ne faut pas laisser l'enfant dans un état de panique quand on peut faire autrement. D'autant plus que la peur du noir ne dure qu'un temps, comme la majorité des peurs d'ailleurs.»

Les peurs passent, oui, mais elles ont de bonnes chances de s'éteindre plus vite si l'on prend le temps d'écouter l'enfant. Ainsi, un poupon qui arrive à la garderie est souvent craintif et désorienté, surtout s'il a autour de un an, un âge critique où apparaît la peur de l'abandon. Si l'éducatrice est sensible à ce problème, empathique à la peine du petit, prend l'enfant, lui parle doucement, la situation ne risque pas de s'éterniser.

L'intervention et le savoir-faire sont importants, mais ce qui compte avant tout, c'est que l'éducatrice accepte de reconnaître à l'enfant le droit d'avoir peur, sans essayer de minimiser cette émotion, ou de la ridiculiser, soutient Isabelle Falardeau. Ne pas accepter les peurs de quelqu'un équivaut à ne pas l'accepter, lui. Cette acceptation faite, le reste s'enchaîne un peu tout seul.

La commande n'est peut-être pas aussi facile à remplir qu'il n'y paraît. Nous ne sommes pas toujours disposés à nous confronter à certaines émotions dérangeantes: la tristesse, la colère… et la peur. «Certains adultes refusent carrément de voir ça, affirme la psychologue; ça les remue trop. J'ai entendu des parents recommander à des tout-petits de ne pas pleurer, alors qu'ils les laissaient pour la première fois à la garderie. Ça n'a pas de sens! Un enfant en proie à la peur ramène souvent les adultes à leurs propres insécurités.»

Non seulement les enfants nous renvoient-ils nos peurs mais ils peuvent endosser les nôtres. «Les bébés sont comme des éponges; ils absorbent nos émotions, observe-t-elle. Si un adulte réagit négativement à la vue d'un animal ou crie en entendant un coup de tonnerre, il y a de fortes chances pour que le tout-petit intègre cette peur. Les sensations sont transmissibles. Nous devons porter attention à cela et, dans la mesure du possible, tenter de contrôler nos réactions ou de les expliquer aux enfants.»

Certains sont plus égaux que d'autres

Apprendre à apprivoiser les peurs peut s'avérer plus difficile pour certains petits que pour d'autres si, au départ, la présence rassurante d'un adulte a manqué. Certains enfants n'ont pas la chance de développer un lien d'attachement sécurisant avec les adultes significatifs (parent absent, malade…).

Les adultes ne sont cependant pas toujours en cause. «L'enfant a son tempérament, sa façon de réagir aux événements; il exerce son libre arbitre et fait ses choix, affirme Isabelle Falardeau. Certains seront par nature plus créatifs pour se dépêtrer d'un mauvais pas. Mais de façon générale, il faut tout de même se rappeler que l'attitude d'un adulte contribue à amplifier ou à résorber la peur.»

Les conseils d'Isabelle Falardeau? Ne pas couver le bébé, ne pas «agir à sa place» et respecter ses émotions. «Un enfant est un humain de petite taille, mais ses peurs ne sont pas miniatures pour autant. Elles sont à son échelle, aussi bouleversantes intérieurement que les nôtres. À nous de l'aider en lui démontrant qu'on peut surmonter la peur, la traverser, la vaincre. Ainsi, il apprendra que, dans la vie, on possède en nous tout ce qu'il faut pour venir à bout des obstacles. C'est un beau message à lui laisser pour l'avenir, non?»

Bonne journée,

Marie-Claude

Référence:Petit monde.com