Le premier conseiller de l’ambassade de Russie à Paris a rang de ministre. Il s’appelle Artem Studennikov et a participé le mardi 30 janvier 2018 à un séminaire à l’Ecole de guerre économique de Paris. Le sujet en était la perception russe de la situation intérieure russe et des relations internationales.
En préambule et pour éclairer les analyses proposées, il convient de prendre en compte la différence fondamentale entre l’approche russe et l’approche « occidentale » (au sens de « transatlantique ») en matière de relations interétatiques, qu’elles soient économiques ou géopolitiques. Opposés à l’hégémonisme imposant une soumission pleine et entière aux « valeurs » d’un système réputé indépassable, les Russes, par leur culture eurasiatique, préfèrent le pragmatisme du cas par cas et sont soucieux du respect des règles établies, seule attitude efficace selon eux pour la préservation pérenne de leurs intérêts nationaux qui passent avant tout autre considération. Les Russes ne veulent pas « sauver le monde » mais faire prospérer la « Mère patrie »
Le séminaire a débuté par un exposé sans note du 1er conseiller auquel a succédé une série de questions réponses.
La première partie a retracé la chute de l’union soviétique, les situations intérieures et extérieures ainsi que les relations entre Paris et Moscou. L’appréciation générale donnée par l’ambassade de Russie fut conforme aux prises de positions usuelles, on peut remarquer un « ton » spécifiquement russe qui annonçait le décalage noté dans les échanges qui ont suivi entre l’auditoire et l’orateur.
Le jeu des questions – réponses fût marqué d’une part par la pertinence et la maturité des questions posées par l’auditoire, mais aussi par la dichotomie réelle des approches « occidentales » et russes des problématiques.
Artem Studennikov a rappelé sans fard l’effondrement de l’URSS, le marasme économique dû à la libéralisation forcée puis le redressement de la Russie. Au plan international, Moscou s’est rendu compte que toutes les concessions faites aux Occidentaux l’étaient toujours à sens unique, et que le mépris initial à son égard devenait hostilité quand la Russie refusait sa vassalisation. Quelques phrases clefs :
– Si la chute de l’URSS a illustré la crise du modèle étatique, le marasme important du moment marque celle du modèle libéral.
– La Russie est toujours dans une phase de transition économique depuis 1991
– La Russie s’accommode assez bien des sanctions imposées par l’Ouest. Cela l’a forcée à diversifier ses productions. Le secteur agro-alimentaire en a même profité, le point noir reste les financements et les échanges bancaires.
– Nous assistons à l’avènement d’un monde multipolaire que les Occidentaux ont du mal à accepter car pour eux, le polycentrisme est synonyme de désordre et l’autonomie vis-à-vis de Washington, de facteur d’instabilité.
– La situation actuelle est la plus crisogène depuis la crise « des Caraïbes » (de Cuba)
– La Russie n’a pas d’autre choix que de travailler avec les Américains, même quand ils sont saisis par une hystérie anti russe
– La crise ukrainienne n’est pas la cause des tensions entre l’Ouest et la Russie mais la conséquence de ces tensions qui augmentent depuis dix ans.
– L’architecture de sécurité en Europe repose sur les accords d’Helsinki (1975). Le modèle est complètement dépassé et doit être refondé mais les Occidentaux font preuve d’un manque de volonté.
La dernière phrase est une bonne illustration du « ton » particulier du premier conseiller de l’ambassade de Russie. En accord avec les faits observables par tout un chacun, il aurait pu parler de la « mauvaise volonté » des Occidentaux et de leur « mauvaise foi ».
Mais pour tous les sujets abordés, il a utilisé un ton « diplomatique » qui n’est pas une langue de bois ni l’occultation des vérités, seulement leur présentation factuelle et non polémique.
Pour Artem Studennikov, les faits se suffisent à eux même et il n’est pas besoin d’y adjoindre une dimension morale ou sentimentale. En cela, le discours russe est très différent du verbe « diplomatique » occidental peu avare d’auto justification ou de saillies accusatoires.
Cette différence d’approche a marqué les échanges qui ont suivi l’exposé. Une dizaine de questions ont été posées. Elles étaient pertinentes et parfaitement dans le cadre initial du séminaire et Artem Studennikov y a répondu spontanément et sans faux semblant. Mais les auditeurs et lui n’ont pas la même approche des relations bilatérales.
Ont été abordées, entre autre, les relations avec la Turquie, avec la Chine (dans le cadre du projet des nouvelles routes de la Soie), vis-à-vis de l’Inde et avec la République centrafricaine. Il a été demandé le point de vue russe sur le projet polonais « des trois mers » (Mer Baltique, mer Adriatique et mer Noire), sur l’extraterritorialité de compétence de la justice américaine. Et la Russie a été questionnée sur son absence de réponse aux critiques occidentales même les plus infondées et sur les raisons des approches différentes du post communisme en Chine et en Russie.
À toutes ces interrogations le conférencier donnait la même réponse avec des modalités différenciées en fonction du sujet. Cette réponse peut être synthétisée ainsi :
Chacun fait bien ce qu’il veut tant qu’il n’empiète pas sur la souveraineté de l’autre. La Russie est ouverte à toute collaboration tant que celle-ci est respectueuse des intérêts respectifs des parties prenantes. La Russie est un acteur d’importance mondiale et entend agir de façon correspondante en respectant les mois internationales pour sauvegarder ses intérêts.
Ce qui est notable dans la différence d’approche entre la salle et le conférencier est que la vision russe est uniquement pragmatique et circonstancielle alors que les attentes des auditeurs étaient plus globales.
La vision unipolaire sous influence américaine de l’Occident se heurte à l’approche multipolaire russe. De la même façon à l’instar de la relation « transatlantique » les occidentaux n’envisagent la « coopération » que dans un rapport « dominant – dominé » en plus d’être exclusive de toute autre collaboration.
Pour le reste du monde, il n’en va pas de même. Une relation est construite pour un sujet donné, dans une durée particulière et pour un but précis. De plus, par l’expérience communiste, la Russie a été vaccinée contre les discours messianiques et l’auto persuasion de la « destinée manifeste » de la « nation nécessaire ».
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