Magazine Cinéma
Sorti deux ans après Signes, Le Village poursuit l’exploration de Shyamalan sur les conséquences morales et politiques du 11-Septembre. Tandis que Signes s’intéresse à la crise personnelle, Le Village étudie la paranoïa collective qui a gagné l’Amérique.
La forêt contre-attaque
Entouré de bois inquiétants, où rôdent « Ceux-dont-on-doit-pas-dire-le-nom », le village qui donne son titre au film sert d’allégorie à une Amérique traumatisée. Tout invite à la méfiance, à la peur de l’Autre, fantasmé au travers des créatures qui errent dans les bois. Leur couleur, laCouleur, est le rouge, dans une communauté où dominent les tons ternes. Réminiscence d’une époque pas si lointaine où l’on traquait du « rouge ». Communiste ou terroriste, l’Autre demeure une menace en soi. Privés de nom, « Ceux-dont-on-doit-pas-dire-le-nom » se retrouvent affublés d’un lexique fantasmagorique, qui traduit l’impuissance des villageois dans leur appréhension du sauvage.Se rejoue dans Le Village l’éternelle guerre entre la civilisation et la sauvagerie, la culture et la nature, la ferme et la forêt. Cette dernière représente, par excellence, le locus horribilus des Romains et de leurs descendants. La matrice d’un irréductible sauvage. Le repaire des forces qui échappent à l’emprise humaine.À la différence de l’histoire des forêts en Occident, celle du Villageétend son empire sur la petite communauté. Comme si le 11-Septembre avait renversé le cours de l’Histoire ; et que désormais, des siècles de conquête de la nature s’écroulaient face au retour du barbare refoulé. À trop se replier dans le passé, à l’instar des villageois vêtus à la mode du XIXesiècle, l’Amérique se coupe du monde – et d’elle-même.
Soi au miroir de l’Autre
Les habitants du lieu semblent ne pas avoir pris en compte les enseignements de Signes. Alors que Graham Hess, au cœur de l’invasion extraterrestre, renouait avec ses enfants, son frère et sa conscience, les personnages du Village se déchirent sous l’emprise de la terreur. Joaquin Phoenix, présent dans les deux films, opère la jonction. Alors que dans Signes, Merill Hess apprenait les bienfaits de la vie en société, Lucius Hunt, dans Le Village, se retrouve poignardé par l’excentrique Noah (Adrien Brody). La guerre civile couve lorsqu’on a perdu contact avec l’Autre.Dès lors s’ouvre une quête en direction de l’Autre. Ivy Walker (Bryce Dallas Howard) brave les bois pour chercher, vers une mythique ville, des médicaments. Aller vers l’Autre pour revenir à soi.Comme dans Signes, une poéthique de l’envers se met en place. La suspension des champs/contrechamps est la figure archétypale. En se concentrant sur le visage du personnage qui regarde, la caméra de Shyamalan observe le jeu des émotions humaines. Retardé, le contrechamp est magnifié, souvent par l’usage de ralentis et de contre-plongées. Entre champ et hors-champ, circulent des énergies, des sensations. Comme dans une broderie, l’endroit appelle son envers. Et dans les bois, Ivy Walker fait l’expérience de l’envers du village. Le sauvage n’existe qu’en tant que corollaire du civilisé.La trajectoire d’Ivy Walker vaut comme destinée de l’Amérique. Au lieu de se replier dans les affres de l’entre-soi, comme y poussait Bush, Shyamalan invite ses concitoyens à sortir de leur cocon. Son regard d’étranger en terre d’Amérique cherche l’échappatoire de l’impasse politique. Au lieu d’aller se perdre en Irak, mieux aurait valu s’ouvrir aux autres, et apprendre d’eux.
Le Village, de M. Night Shyamalan, 2004
Maxime
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