Magazine Cinéma
Action ou vérité ? Question cruciale pour tout art, particulièrement pour le cinéma, et encore plus spécifiquement pour le blockbuster de super-héros, genre où semble triompher l'action pure. Mais peut-on agir sans révéler une intériorité ?
C'est la question que soulève Birdman, question à laquelle il apporte une réponse très étincelante : oui, le super-héros dévoile une vérité !
Mais alors, quelle vérité ?
Le film, à l'image de ce théâtre de Broadway, est un labyrinthe en huis-clos où personnages et spectateurs ne cessent de se croiser, de se tourmenter- de se révéler. Les vérités fusent et s'entrechoquent : Mike le comédien n'est vrai que sur scène et fait semblant dans la « vraie » vie, Riggan l'acteur en quête de légitimation de son talent semble n'exister que dans son rôle passé d'homme-oiseau que lui rappelle sans cesse la petite mais grave voix dans sa tête, et sa fille Sam lui crie la dure vérité de la nullité de son adaptation de Carver.
Dans la ronde des coulisses tombent et se dressent les masques, mais dans ces costumes réalistes ou héroïques, chacun y met du sien, chacun se projette dans le tissu. La personnalité apparaît dans la doublure du film.
L'intérêt du film psychologique, c'est qu'il construit, au moyen de la fiction, une vérité humaine. Non pas une vérité absolue et éternelle, non, mais des éclats personnels- des vérités intérieures, des authenticités, des dignités. Birdmandonne toute sa dignité au film de super-héros et transfigure celui qui se croyait minable en excellent acteur, Christ de lui-même. La critique finale de Tatiana Dickinson dit le projet du film : transférer le sang d'un corps véritablement humain, et qui puise par exemple dans le film de super-héros, sur les planches théâtrales, c'est-à-dire sur les plates-bandes de l'art.
Un Graal fait du sang d'un homme héroïque que l'on partage pour attiser la vie de l'art et l'art de la vie.
La dignité s'écoule dans le sang du film. Le flux vital est continu, et non pas haché par un montage cut qui trancherait en plein cœur de la libération éthique. Le seul montage cut du film n'est jamais que l'explosion simultanée des fantasmes de Riggan, et respecte toujours ce personnage à qui il donne vie. Beauté et vérité du plan-séquence, dans lequel se meuvent les femmes et les hommes, dans lequel s'engueulent les femmes et les hommes, dans lequel s'aiment les femmes et les hommes. Sam engueule son père et l'aime le temps d'une inspiration, et jamais le montage ne lui coupe sa parole sacrée parce qu'humaine.
Les veines vibrent des forces du jeu de l'Actor's Studio, qui prouve là toute sa force en donnant littéralement corps à une psychologie. Le comédien devient le personnage, et il n'y a pas là aliénation, mais transformation. Riggan, comme le Phénix, ressuscite en Birdman et donne un sens à son existence.
A la question que Sam pose à Mike, la réponse est donc double : il n'y a pas lieu d'opposer action et vérité, super-héros et drame réaliste, puisque toute action révèle une authenticité individuelle. Les pouvoirs fantastiques que déploient Riggan dans sa fureur ne contredisent pas le réalisme, bien au contraire : ils sont vrais, parce qu'ils sont sa colère, parce qu'ils déforment la réalité selon la conscience d'un personnage comme nous tous faisons lors d'une crise. D'action en action se tisse une vérité psychologique et morale qui parle à chacun d'entre nous. Épopée du moi qui s'ouvre à toi.
Truth or dare ? Dare the truth
Birdman, d'Alexandro Innaritu, 2014
Maxime
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