En présence de Mohammad Fneich (un des membres du parti siégeant au gouvernement libanais), sans doute doublement concerné puisqu’il est ministre à la fois de la Jeunesse et des Sports, le Hezbollah a présenté il y a quelques jours Al-difâ’ al-muqaddas (Défense sacrée), sa dernière réalisation dans le domaine des jeux vidéos. Comme en 2003 et 2007 avec les deux versions de Force spéciale (القوة الخاصة : voir ce billet publié il y a plus d’une décennie !), le jeu exploite, de façon aussi réaliste que possible, une situation politique récente, en l’occurrence les affrontements en Syrie auxquels le Hezbollah participe, du moins officiellement, depuis la fin du mois d’avril 2013.
Qousseir (القصير ), une petite ville non loin de la frontière syro-libanaise où les forces du Hezbollah mèneront peu de temps après leur entrée dans le conflit l’essentiel de la bataille pour soutenir le régime syrien constitue ainsi le décor du troisième épisode du jeu, lequel se termine par la bataille de Ras-Baalbeck durant l’été 2017. Quant aux deux premiers épisodes, ils sont situés dans la banlieue de Damas, autour du sanctuaire (chiite) de Sayyida Zaynab : les éléments du Hezbollah y avaient pris la relève des gardes irakiens précédemment déployés, peu avant l’officialisation de la participation du parti libanais aux combats en Syrie. Conformément aux règles de ce type de jeu, le héros, Ahmad, un prénom qui était déjà celui du principal protagoniste des précédentes réalisations qui le mettaient aux prises avec les soldats israéliens, s’engage pour combattre l’invasion « takfîri » (mot à mot « excommunicatrice ») selon la rhétorique utilisée par la communication du Hezbollah pour désigner les combattants de l’État islamique.
Symboliquement, alors que les premiers jeux vidéos produits par le Hezbollah faisaient de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem le symbole de la lutte contre l’ennemi sioniste, « Défense sacrée » place au centre de son parcours militant le sanctuaire de Sayyida Zaynab qui parle surtout à l’imaginaire religieux chiite. En arabe, les deux références dialoguent bien davantage qu’en français puisque Jérusalem se dit Al-Quds, mot que l’on retrouve, sous une forme légèrement modifiée dans le titre du second jeu : Difâ’ muqaddas, « défense sacrée ». À l’image d’une région en proie à des replis identitaires de plus en plus accusés, la communication politique du Hezbollah s’éloigne de ses thématiques les plus fédératrices pour se recentrer sur les plus hautes valeurs propres à sa seule « communauté ».
Sans être exceptionnel de l’avis des connaisseurs, le jeu – à l’image de ce que produit le Hezbollah dans le domaine de la propagande – est plutôt bien fait. Il « répond », du moins dans l’esprit de ses créateurs, à d’innombrables productions vidéos vantant les prouesses des armes made in USA contre les terroristes arabes ou musulmans comme on le signalait dans le billet mentionné plus haut. Avec cette différence toutefois qu’il fait écho à d’autres adversaires qui utilisent, eux aussi, les ressources du jeu numérique pour s’efforcer de faire passer leurs messages. À côté des réalisations, souvent commentées, des partisans de l’État islamique qui ne se montrent pas malhabiles non plus dans l’exploitation des images choc (voir cet article du regretté Safir sur le détournement du célèbre Grand Theft Auto par les propagandistes de Daech), on a ainsi vu récemment une production saoudienne, d’un niveau nettement plus amateur, racontant la victoire écrasante des troupes saoudiennes sur les forces iraniennes (la vidéo est là). Elle répondait à une autre, encore plus médiocre techniquement, produite du côté iranien (vidéo ici).
Même si la guerre est une chose trop grave pour la laisser à des militaires, comme l’a dit Clemenceau, on ne se réjouira pas de la voir se multiplier sous forme de jeux vidéos.