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Des langues régionales

Publié le 05 juillet 2008 par Feuilly
Les langues régionales ont toujours existé et personne n’y a jamais trouvé à redire. Bien sûr, elles étaient plus vivaces autrefois, sous l’Ancien Régime, quand la scolarité obligatoire et le brassage des populations n’avait pas répandu l’usage du français dans les campagnes les plus reculées.
Le paradoxe de l’état français, pourtant si centralisé de par la volonté de ses rois, c’est que les monarques successifs qui ont dirigé le pays ne se sont jamais beaucoup inquiétés du fait que le peuple, dans son coin, parlait un langage différent de celui de la capitale et que ce langage variait d’une région à l’autre. Peut-être, en fait, était-ce là une manière habile de diviser pour régner et puis de toute façon, qui se souciait du peuple, à l’époque ? Les classes dirigeantes, elles, s’exprimaient en bon français (voyez Madame de Sévigné) et c’était ce qui comptait.
Il fallut attendre la révolution de 1789 pour que le fait de s’exprimer en français apparaisse comme une nécessité. Tous les citoyens étant devenus égaux, il convenait qu’ils s’exprimassent dans une langue commune. Le bon peuple ne s’y est pas trompé, qui a vu là une manière se s’approprier la langue des riches (juste vengeance) et surtout un moyen de prouver son attachement aux idées révolutionnaires. Continuer à parler en patois eût signifié qu’on n’acceptait pas les nouvelles idées venues de Paris et qu’on se résignait à afficher son infériorité culturelle face à la noblesse locale, qui elle s’exprimait en français.
Au XIX°, pourtant, les patois sont encore bien vivants, comme l’atteste par exemple le compte-rendu des apparitions de Lourdes. C’est en bigourdan que Bernadette relate son expérience et la Vierge elle-même (le hasard fait bien les choses) maîtrisait encore suffisamment ce langage pour l’employer avec la petite bergère :
Que soy era immaculada councepciou
Ço queb' ay a disé, n'ey pas nécessari dé bonta per escrit. Boulét mé hé éro gracia dé bié penden quinzé dios ?
Depuis, les choses ont changé et au paradis comme sur terre le français a supplanté peu à peu les patois, d’abord dans les villes puis dans les campagnes elles-mêmes. Ces patois vont alors faire figure de symboles d’une identité régionale qu’on veut à tout pris préserver. Parfois, cette revendication se double d’un combat de nature politique (pays basque, surtout du côté espagnol, Bretagne, Roussillon, etc.). Les parlers d’oc, d’une manière générale, continuent à symboliser l’appartenance à un monde différent de celui de Paris.
Puis vint l’Union européenne, qui, sous des dehors démocratiques, voulut asservir les nations aux lois du marché unique. Les états, surtout s’ils étaient grands et puissants (France, Allemagne), représentaient un frein au libre échange à cause des mesures protectionnistes qu’ils avaient toujours prises. Il fallait donc les affaiblir au maximum (comment les entreprises pourraient-elles encore tolérer des règles différentes d’un état à l’autre et surtout des règles sociales, entrave suprême à l’enrichissement légal maintenant admis par tous ?).
Sous couvert de défendre les minorités (attitude louable par ailleurs), l’Union européenne invita donc les états à reconnaître leurs langues régionales. C’était évidemment introduire le ver dans le fruit. En Espagne, les indépendantistes catalans et basques s’en sont retrouvés renforcés et ils ont vu dans cette action de l’Union un cautionnement de leurs revendications politiques. En Flandre, cette reconnaissance du droit des minorités n’a pas été acceptée, car cela revenait à donner des droits aux francophones de la périphérie de Bruxelles, lesquels vivent sur le territoire flamand. En France même, on s’est d’abord montré très prudent, puis, l’autre jour, le Parlement a décidé d’ajouter à l’article 1 de la Constitution qui commence par « « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».
Le risque, évidemment, c’est que cette légitimité ainsi donnée aux langues régionales ne vienne torpiller la langue française elle-même, déjà bien menacée par ailleurs sur le plan international. Les députés qui ont défendu le projet faisaient remarquer que si on ne défend pas les langues régionales aujourd’hui menacées d’extinction, demain, il ne se trouvera personne non plus pour défendre le français en perte de vitesse devant l’anglais. Le texte fut donc adopté.
A mon avis c’est une erreur, car si c’est une chose de parler en patois local avec son voisin, cela en est une autre de revendiquer des écoles en catalan ou en breton ou bien de réclamer une feuille d’impôts en langue d’oc ou encore de vouloir être jugé en langue corse. On perçoit d’emblée tout ce que ce texte adopté par les députés peut avoir comme conséquences. Dès lors, le français qui bat déjà de l’aile sur le plan international pourrait bien devoir aussi mener un combat intérieur (sans parler des conséquences politiques à moyen et à long terme : Bretagne autonome, Pays basque indépendant, etc.).
L’Académie française, qui pour une fois est sortie de sa réserve et de son rôle protocolaire, ne s’y est pas trompée. Elle a pris sa plus belle plume et dans sa séance du 12 juin 2008 elle a publié le communiqué suivant :
Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ».
Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l’article 1er, dont la première phrase commence par les mots : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».
Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation. Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?
Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu’il s’agit du droit des droits, la Constitution.
Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l’objet d'une politique.
Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l’accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution.
Les sénateurs, fort heureusement, n’ont pas cautionné le texte des parlementaires. Il faut s’en réjouir car cela aurait eu pour conséquence que l’accès de tous à l'Administration et à la Justice s’en serait trouvé perturbé. Affaire à suivre, donc, car on peut supposer que ce problème va revenir à la surface. De son côté Nicolas Sarkozy, qui a eu des beaux-parents corses, a regretté qu’on n’ait pas réservé un meilleur sort aux langues régionales. Il est étrange que lui qui a réclamé que l’ordre républicain soit respecté en Corse aille ainsi donner de l’eau au moulin des séparatistes.
Car rien n’est simple et le débat a déjà eu lieu en Espagne. Une chose est d’avoir un pays avec des langues régionales (ce qui était déjà le cas de l’Espagne), une autre d’avoir plusieurs communautés tout à fait autonomes qui vivent vaguement ensemble. Cela débouche à moyen terme sur une sorte de xénophobie. De plus, cela suppose un bilinguisme constant. Ainsi, dans un train qui irait de Madrid à Barcelone, le personnel devrait maîtriser le catalan et le castillan pour pouvoir répondre aux passagers dans la langue de leur choix. Cette situation est d’ailleurs celle de la Belgique mais on a vu où cela a mené ce pays : au bord de l’éclatement. De plus, on pourrait imaginer qu’il serait impossible d’étudier ou même de parler en castillan lorsqu’on se trouve en Galice ou au Pays basque. Ce serait tout de même un comble. Après une période transitoire de bilinguisme, ces régions finiront par imposer leur langue comme la seule valable. Ce n’est pas pour rien qu’un comité de soutien au castillan s’était créé alors que la situation internationale de l’espagnol est certainement meilleure que celle du français, vu le nombre de locuteurs qui s’expriment dans cette langue.
Ce qui est amusant aussi (façon de parler), c’est que l’Union européenne essaie d’imposer une seule langue véhiculaire, l’anglais (pour réduire les frais de traduction !) alors qu’elle encourage les états à faire exactement le contraire. Ce paradoxe, dans son chef, n’en est pas un. D’un côté l’Europe s’exprimera en anglais sur le plan international et de l’autre le citoyen ordinaire, un peu perdu par le gigantisme de cette Europe (à 25, 30, 35 ?), se consolera en employant son patois local (saintongeais, périgourdin, gascon, etc.). Les grands perdants seront évidemment la France et son français, mais aussi les citoyens, qui se trouveront relégués sur le plan local et éloignés des centres de décision.
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