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Législatives italiennes 2018 : le tour du M5S ?

Publié le 05 mars 2018 par Sylvainrakotoarison

" Le peuple n'aime ni le vrai ni le simple. Il aime le roman et le charlatan. " (Edmond et Jules Goncourt, 2 mars 1861).
Législatives italiennes 2018 : le tour du M5S ?
À chaque nouveau scrutin européen, c'est l'incertitude et la confusion politiques. Les élections générales qui se sont déroulées en Italie ce dimanche 4 mars 2018, de 7 heures à 23 heures, pour élire les 630 députés et 315 sénateurs ont rendu ingouvernable l'un des grands pays européens, après l'Allemagne et l'Espagne.
Prenons tout de suite une comparaison avec la situation française. En France aussi, comme ailleurs en Europe, le paysage électoral est éclaté. Mais si la France peut être gouvernée, c'est grâce aux institutions de la Ve République. Prenons garde, donc, de ne pas bousculer cet ordre institutionnel à l'équilibre fragile qui permet à la France d'être dirigée malgré l'éclatement des opinions électorales. Et dans ces institutions, même si ce n'est pas de nature constitutionnelle, il y a évidemment le mode de scrutin ( j'y reviendrai). On peut voir les limites du scrutin proportionnel en ce sens qu'il n'engendre pas de majorité parlementaire claire et nécessite des gouvernements de coalition parfois contre-nature.
Ce 4 mars 2018, d'ailleurs, l'autre information capitale en Europe, ce fut le vote favorable (aux deux tiers) des 464 000 adhérents du SPD (parti social-démocrate allemand) pour approuver (enfin) la reconduction de la grande coalition SPD-CDU menée par Angela Merkel après près de six mois de négociations électorales. Six mois sur un mandat de quatre ans, c'est beaucoup : 13% de la durée totale, pas très efficaces, ces institutions allemandes !
Revenons à Rome. En Italie, cela promet d'être même pire ! Le 23 mars 2018, les nouveaux parlementaires vont se réunir et devront commencer à discuter formellement pour se mettre d'accord, sinon, le Président de la République Sergio Mattarella (76 ans) devra prononcer une dissolution et rebelote avec un gouvernement minoritaire et un nouveau cycle électoral.
La participation italienne a été de 72,9% des plus de 46 millions d'électeurs inscrits, soit inférieure aux élections du 25 février 2013 (75,0%). La situation politique reste confuse mais on connaît à peu près les rapports de force. Mes indications proviennent du Ministère italien de l'Intérieur pour les pourcentages sous réserve de confirmation et par estimation pour les nombres de siège. Elles peuvent donc varier par rapport aux résultats définitifs publiés dans les prochains jours.
Le M5S de Luigi Di Maio grand gagnant
Le grand gagnant électoral de la journée, c'est le Mouvement 5 étoiles (M5S) fondé le 4 octobre 2009 par Beppe Grillo (69 ans). Moins de neuf ans plus tard, le 4 mars 2018, il a obtenu la première place avec 32,7% des voix. Un tiers des électeurs ont voté pour ce mouvement. Il a dépassé les derniers sondages qui ne le faisaient pas dépasser la barre des 30%.
On comprend que son très jeune dirigeant, Luigi Di Maio (31 ans), leader depuis le 23 septembre 2017 et très jeune vice-président de la Chambre des députés depuis le 21 mars 2013, a annoncé qu'il voulait le pouvoir. Peut-être que l'Italie sera gouvernée par un aussi jeune Premier Ministre qu'en Autriche avec Sebastian Kurz (31 ans). Mais pas plus jeune, car Sebastian Kurz, Chancelier autrichien depuis le 18 novembre 2017, est né le 27 août 1986. Luigi Di Maio, lui, est né le 6 juillet 1986.
Le Parti démocrate de Matteo Renzi grand perdant
Réciproquement, le grand perdant du scrutin du 4 mars 2018 est le gagnant des précédentes élections d'il y a cinq ans. Le Parti démocrate de Matteo Renzi s'est effondré à 18,7% qui est un score encore plus décevant que ceux pronostiqués par les derniers sondages qui l'avaient situé entre 21 et 25%. C'est la moitié de son niveau aux élections européennes du 25 mai 2014. Avec ses quatre petits alliés, le Parti démocrate peut espérer représenter 22,9%, ce qui reste ultra-faible (moins du quart des électeurs).
Cet effondrement n'était pas imprévisible. Les aventures constitutionnelles de Matteo Renzi (43 ans), son discrédit politique après l'échec de son référendum du 4 décembre 2016 (65,5% de non) et la perpétuation pendant plus d'un an d'un gouvernement minoritaire dirigé par Paolo Gentiloni (63 ans), Président du Conseil des ministres depuis le 12 décembre 2016, n'ont pas favorisé un regain de popularité. Pour le Parti démocrate, il est clair que l'heure serait à une cure d'opposition.
Le "centre droit" très contrasté
Et puis, il y a la coalition dite de "centre droit" qui, normalement, était en lice contre le M5S pour diriger l'Italie. Cette coalition est en fait marquée par deux partis importants.
Le premier est Forza Italia, parti fondé le 18 janvier 1994 et refondé le 16 novembre 2013 par Silvio Berlusconi et qui, à la surprise générale, a mené ce parti pour ces élections. Surprise générale car, en raison de sa condamnation, il est inéligible jusqu'en 2019, et aussi car il a déjà un "certain" âge, 81 ans ! Le deuxième parti est la Ligue (anciennement Ligue du Nord), fondée le 4 décembre 1989 par Umberto Bossi (76 ans) et dirigée par Matteo Salvini (45 ans), son secrétaire général depuis le 15 décembre 2013. La Ligue est un parti allié au Front national au sein du Parlement Européen depuis 2015.
Ces deux partis, s'ils sont alliés, présentent de fortes divergences politiques. L'un reprend finalement les thèmes classiques de la démocratie chrétienne que Silvio Berlusconi a contribué à faire disparaître en Italie dans les années 1990, une tendance libérale et pro-européenne, et l'autre est profondément populiste, anti-immigration, anti-européen.
Deux autres petits partis sont également alliés à ce "centre droit", en particulier les Frères d'Italie (FdI), fondés le 21 décembre 2012 et présidés depuis le 8 mars 2014 par Giorgia Meloni (41 ans). Ce parti est une vieille émanation historique de l'Alliance nationale, elle-même parti successeur au MSI de Mussolini. FdI furent très proches du Front national en 2014.
Avec cette coalition de "centre droit", deux questions se posaient avant le scrutin : cette coalition devancera-t-elle le M5S ? et qui, de Forza Italia ou de la Ligue, sera le plus fort à l'intérieur de cette coalition ?
Ces deux questions ont trouvé une réponse claire mais cela n'aboutit pas forcément à une conséquence claire sur le plan politique. La coalition a obtenu 37,0% des voix et donc, est effectivement (largement) en tête du paysage politique. Mais cette coalition, comme je l'ai indiquée, est très hétérogène sur le plan politique.
Les sondages laissaient entrevoir une prééminence naturelle de Forza Italia sur son allié de la Ligue. Silvio Berlusconi, qui ne pouvait pas revenir au pouvoir personnellement, aurait délégué Antonio Tajani (64 ans), l'actuel Président du Parlement Européen, pour occuper la Présidence du Conseil des ministres (à cet égard, c'est le second Président du Parlement européen en moins d'un an à avoir été candidat à la tête du gouvernement de son pays, le premier fut Martin Schulz).
Échec de Silvio Berlusconi et avantage pour Matteo Salvini
Le scrutin a contredit les derniers sondages sur le rapport des forces à l'intérieur de la coalition. La Ligue, avec 17,4% des voix, est nettement devant Forza Italia avec seulement 14,0%. Le scrutin du 4 mars 2018 marque donc aussi un échec sévère de Silvio Berlusconi, qu'on pourrait comparer à l'échec du retour de Nicolas Sarkozy en novembre 2016. Quant aux Frères d'Italie, ils obtiennent 4,4% des voix.
En clair, les deux principaux partis gouvernementaux (centre gauche et centre droit) qui ont dominé la vie politique italienne depuis vingt-cinq ans ont pris une sérieuse "déculottée" électorale.
Esquisse de la future Chambre
Prenons maintenant les estimations en nombre de sièges. Je le répète, ces données peuvent être modifiées au fil des jours prochains selon la réalité des résultats définitifs, et je ne prends en compte par ailleurs que l'élection à la Chambre des députés. Les résultats des élections sénatoriales sont de mêmes tendances. Ces résultats concernent le dépouillement de 96% des bureaux de vote, communiqués le 5 mars 2018 à 12 heures.
Le M5S obtiendrait environ 231 sièges sur 630, la coalition de "centre droit" environ 259 sièges, dont 123 pour la Ligue, 99 pour Forza Italia et 32 pour FdI, et enfin, le Parti démocrate garderait 105 sièges. À ces sièges, il faut rajouter 13 sièges pour deux partis situés à la gauche de l'échiquier politique et les 12 sièges réservés aux Italiens de l'étranger dont les résultats n'étaient pas encore communiqués.
La majorité absolue nécessite de former une alliance avec au moins 316 députés. Ce qui est loin du compte pour chacune des trois grandes coalitions en jeu. Matteo Salvini a, comme Luigi Di Maio, déclaré qu'il devrait former le prochain gouvernement. S'il a gagné, en effet, la pseudo-primaire à l'intérieur de sa coalition, cette coalition est encore loin d'être en mesure de gouverner seule.
Qui gouvernera l'Italie ?
Donc, nécessairement, le prochain gouvernement sera le résultat d'une coalition entre plusieurs coalitions actuellement en lice. Ou ne sera pas (et les Italiens revoteront). La cohésion de la coalition de "centre droit" paraît d'ailleurs assez instable.
S'il est impossible d'imaginer une "grande coalition" à l'allemande, c'est-à-dire avec les deux partis gouvernementaux (ici Parti démocrate et Forza Italia), c'est simplement parce qu'une telle union serait insuffisante pour obtenir la majorité absolue : une telle alliance n'aurait que 204 voire peut-être 210-220 sièges, ce qui serait loin des 316 nécessaires.
À mon sens, et je l'expose ici sans doute bien imprudemment, la seule alliance possible serait une alliance entre le M5S et le Parti démocrate qui pourrait réunir 336 sièges, ce qui devrait être suffisant compte tenu des possibles erreurs des résultats. Une telle alliance représenterait ainsi 51,4% de l'électorat.
Elle ne serait pas inimaginable même si, comme l'expliquait le journal "Le Monde" ce lundi 5 mars 2018 à 13 heures 42, " cette hypothèse paraît pour le moins improbable ce lundi matin " car l'échec du Parti démocrate est tel qu'aucun de ses dirigeants ne voudraient retourner au gouvernement.
Car après tout, c'était exactement ce qu'avaient expliqué les dirigeants du SPD au lendemain de leur cuisante défaite du 24 septembre 2017, qu'il n'était pas question de siéger dans un gouvernement, et après l'échec d'une première hypothèse de coalition, le SPD a finalement accepté de revenir au pouvoir sur la base simple de la responsabilité et de l'intérêt national. Le même cheminement pourrait se reproduire en Italie.
À la grande différence près que le M5S n'est pas la CDU d'Angela Merkel. Mais le Mouvement 5 étoiles est-il aussi eurosceptique que les médias français l'expliquent tout en plaçant ce mouvement au centre de l'échiquier politique, entre le Parti démocrate et Forza Italia ? Car ses dirigeants l'ont assuré durant la campagne : pas question que l'Italie quitte l'Union Européenne et pas question qu'elle renonce à l'euro ! Ce serait sur cette base clairement pro-européenne qu'une telle alliance gouvernementale pourrait se constituer sous la direction, bien évidemment, de Luigi Di Maio.
Et finalement, il y a quelques similitudes entre le M5S et le mouvement En Marche ( LREM) du Président Emmanuel Macron. Ce dernier aussi était "populiste" dans le sens où il rejetait "l'ancien monde", les pratiques politiciennes de la classe politique sortante. Lui aussi a fait profession de foi ouvertement européenne. Lui aussi a promu parmi ses cadres et ses candidats des non professionnels de la politique, des personnalités issues de la "société civile" (terme que je déteste mais que j'utilise pour ce qu'il entend faire dire). S'il n'y a pas de comique troupier parmi les élus et ministres de LREM, il y a d'autres ovnis particulièrement étonnants dans la classe politique, comme un mathématicien exceptionnel ou une blogueuse féministe militante.
Le seul intérêt d'une situation politique aussi confuse, c'est l'obligation de la classe politique à s'entendre, dans l'intérêt, seul, de son pays et j'ajouterai aussi, dans l'intérêt de l'Union Européenne, car les Français, comme les autres Européens, ne doivent pas être indifférents à ce qui se passe en Italie. C'est aussi notre avenir européen qui se joue dans ces élections italiennes...
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Sylvain Rakotoarison (05 mars 2018)
http://www.rakotoarison.eu


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