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Même pas mort. Le réalisme en fantasy

Par Balndorn
Même pas mort. Le réalisme en fantasy
La fantasy, une littérature de l’imaginaire comme les autres ? Pas si sûr. À lire Même pas mort, le premier volet de la trilogie « Rois du monde », de Jean-Philippe Jaworski, on se rend compte que ce que nous, lecteurs, considérons comme fantastique, apparaît pour le personnage principal comme parfaitement réaliste.
Une narration enchevêtrée
Même pas mortprend place dans le monde gaulois, bien avant les invasions romaines. Mais le cadre spatio-temporel se complexifie. Parmi les peuples celtes, errent des créatures angoissantes : les Gallicènes qui migrent de corps en corps, les habitants monstrueux d’un bois… en toute liberté.C’est ce qui déroute dans Même pas mort, et fait tout le charme du roman : sa capacité à nous immerger dans un univers qui, à nous, semble magique, alors que les acteurs le considèrent tout à fait normal.Jean-Philippe Jaworski se joue de cette ambiguïté au travers d’une structure narrative en tiroirs. Sur le déclin, le personnage principal, Bellovèse, propose à un voyageur grec de raconter sa vie ; il commence son récit à son aventure dans l’Île des Vieilles ; remonte à la blessure qui aurait dû le tuer quelques mois plus tôt ; avant de revenir à son enfance en exil. Les tiroirs s’entremêlent. Passé, présent et futur se confondent. Une scène que l’on pensait postérieure surgit sous le regard de Bellovèse. Comme si l’Histoire n’était qu’un bloc uni, dont la temporalité ne surgissait que de notre regard.Même pas mortest comme un grand bouillon mystique dans lequel plonge le lecteur. À lui de restituer les distances, les temporalités, les points de vue ; ou bien d’accepter la confusion inhérente au monde polythéiste, où chaque arbre, chaque rocher, a une personnalité propre.
Le réalisme fantasy
On aboutit alors à une esth-éthique paradoxale. Du réalisme fantasy. Ce dernier se distingue du réalisme fantastique que j’évoquais à propos de Christine : celui-ci cherche à mettre à nu les structures sociales réelles en travaillant l’imaginaire d’un objet (comme la voiture tueuse dans le film de Carpenter). Le réalisme fantasy vise au contraire la mise à nu des structures sociales mentales, de manière à voir comment elles façonnent le réel. Pour Bellovèse et les siens, qui suivent l’enseignement du pieux vagabond Suobnos, il n’y a rien d‘étonnant à surprendre des monstres dans le bois derrière la maison, car cela appartient à leur imaginaire collectif. Aussi, le bois du Senoceton se voit réellementchargé de négativité, et l’on déconseille à chaque visiteur de s’y aventurer.Aussi ce premier tome de Rois du monde prolonge le questionnement métalittéraire de Jaworski dans Gagner la guerre. La fantasy résulte d’un quiproquo entre personnage et lecteur. Pour le premier, son monde apparaît en tous points ordinaire ; pour le second, c’est tout l’inverse. La fantasy est malentendu. Et de ce malentendu découle la mise à nu des structures mentales qui conditionnent notre perception du réel. Nous, lecteurs, voyons des personnages voir le monde ; et comme nous n’adhérons pas à leur régime de représentation de la nature, dans laquelle rôdent divinités et êtres non-humains, nous l’étiquetons « fantastique ».Toute histoire de fantasy est donc affaire de manipulation : Benvenuto Gesufal et Bellovèse deviennent les narrateurs de leur existence, les ponts entre leur monde et le nôtre. Rien de plus signifiant que les premiers mots que Bellovèse adresse à son visiteur grec : « Tu raconteras ma vie ».
Même pas mort, Jean-Philippe Jaworski, Les Moutons électriques, 2013, 304 p.
Maxime

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