Le Ghana pays d’Afrique de l’Ouest, au nord du golfe de Guinée a un développement assez particulier. En effet, la moitié sud côtière de l'État se débrouille plutôt bien alors que le nord est souvent négligé et oublié. La ville de Wa, par exemple, dans la région Nord-Ouest du pays, a un taux de pauvreté oscillant entre 81% et 92%. Pourquoi le nord du Ghana est-il si pauvre?
Le problème de la pauvreté peut être directement lié à l'Etat. Pour mieux comprendre, nous devons d'abord comprendre le système de gouvernance traditionnel des Ghanéens.
Une gestion traditionnelle réactive
Bien qu'il ne puisse pas être considéré comme «anarcho-capitaliste», le système traditionnel ghanéen est tout à fait distinct de l'État moderne. Dans la société ghanéenne traditionnelle, toutes les terres appartiennent au chef d'une zone, qui est désigné par divers mécanismes fondés sur la tradition de la communauté dans laquelle il réside. Le chef ne perçoit aucun impôt et n'est pas considéré comme un «gouvernement», mais il remplit certaines fonctions de l’État, telles que la résolution des conflits et la gestion des titres de propriété. Par exemple, si un éleveur permet à son bétail de brouter sur la terre de son voisin, le voisin peut alors saisir le chef, qui sera en mesure de déterminer si l'éleveur a commis un crime ou pas. Puisque le chef est l'ultime propriétaire et vendeur de la terre, il est encouragé à défendre les droits de propriété et à statuer aussi équitablement que possible, de peur d'être abandonné par sa communauté. Ce système est extrêmement efficace et complexe. Si, par exemple, il y a un différend entre deux chefs ou des personnes sous la juridiction de deux chefs différents, il y a même une Chambre des chefs qui peut régler de tels différends. Mais si ce système fonctionne si bien, pourquoi les habitants du nord du Ghana sont-ils si pauvres?
La centralisation de la gestion des terres
La raison se situe autour de la création de l’État ghanéen moderne en 1957. A ce moment, le gouvernement fédéral a usurpé le pouvoir de gérer les titres fonciers. Pis, la corruption et la lourdeur administrative ont rendu extrêmement difficile la réception et la validation des titres fonciers, laissant ainsi les citoyens du Nord moins connectés sans aucun moyen de sécuriser leurs terres. Cela a causé beaucoup de problèmes parce que, sans titres fonciers, il y a une incertitude chronique. Un jour, il est possible de découvrir que l'on n'est pas le vrai propriétaire de sa terre. Mais plus important encore, ce contexte incertain freine les investissements étrangers dans la zone. En effet, un investisseur ne va pas accepter un contrat de location sans être certain que son interlocuteur est réellement propriétaire. Une entreprise ne va pas construire une usine dans une zone où elle ne peut pas protéger ses actifs. Ainsi, la croissance ne sera pas au rendez-vous. Le Ghana pourrez cependant changer la donne. Comment ?
La blockchain, outil de sécurité
C'est grâce au travail acharné de personnes engagées s’activant au Centre pour la liberté et l'entrepreneuriat. Dans une récente interview, Abdul Salam Mahamadu, le fondateur de l'organisation, a expliqué comment son think tank à but non lucratif utilise la blockchain [1] pour délivrer des titres fonciers. Bien que le gouvernement fédéral exerce un contrôle sur le registre des titres fonciers, il n'a aucun contrôle sur le territoire lui-même. La terre elle-même est sous la juridiction du chef de chaque zone. Si une entreprise privée décide de gérer un registre des titres fonciers le gouvernement ghanéen d’évidence l’en empêcherait. Cependant, si les titres fonciers existent dans un cyberespace immuable, il n'y a absolument rien que le gouvernement ghanéen puisse faire. Mais qu'est-ce qui donne à la blockchain cette légitimité?
C'est à ce niveau qu'interviennent les chefs. Abdul Salam et ses collègues ne font pas pression sur le gouvernement pour qu'il adopte cette technologie. Au lieu de cela, ils font appel aux chefs, qui résolvent déjà les conflits de propriété foncière. Ainsi, la blockchain servira de registre global indestructible de tous les titres fonciers. Les chefs, qui veulent être en mesure de statuer équitablement sur les litiges fonciers - mais ne peuvent pas le faire en raison du manque d'archivage adéquat - pourront désormais se référer simplement à leur propre système cryptographique de pair-à-pair (peer-to-peer) afin de prendre des décisions éclairées. Cela remettra le pouvoir entre les mains des chefs au lieu du gouvernement fédéral. Celui-ci peut confisquer et détruire les documents papier et numériques, mais ne peut empêcher les gens d'utiliser cette technologie.
L'idée sous-jacente est d'attirer des investissements dans la région en offrant des taxes basses et des réglementations minimes. La région du sud du pays est actuellement victime du vaste programme de redistribution des richesses envoyant des dizaines de millions de cedi (monnaie ghanéenne) vers la région du Nord chaque année. Le dynamisme économique du Nord permettrait non seulement d’alléger le fardeau fiscal des habitants du Sud mais créerait améliorerait les conditions de vie des habitants et des chefs traditionnels du Nord. Abdul Salam estime que les effets bénéfiques de ces changements de politique et de ces innovations technologiques, si elles sont mises en œuvre dans le nord du Ghana, se répercuteront sur le reste du pays et aussi sur le continent africain qui pourrait s’inspirer du modèle.
Liam Cardenas, ingénieur et entrepreneur. Article initialement publié par le Foundation for Economic Education - Traduction réalisée par Libre Afrique - Le 14 mars 2018.
[1]La Blockchain : technologie à l’origine utilisée dans les crypto-monnaies comme le Bitcoin, est une base de données décentralisée retraçant l’historique des transactions et protégée contre la manipulation ou la falsification. C’est une infrastructure des échanges sur une base décentralisée, c’est le futur internet des transactions. Grâce à des programmes autonomes, codés sur la blockchain (contrats intelligents), deux partenaires pourront nouer une relation commerciale sans qu’ils aient besoin de se faire confiance au préalable, sans autorité ou intervention centrale : c’est le système lui-même, et non ses agents, qui garantit l’honnêteté de la transaction.