Le 05 février 2018, le Président Nigérian Muhammadu Buhari a signé un décret qui « interdit au Ministère de l'Intérieur d’accorder des visas aux travailleurs étrangers dont les compétences sont déjà disponibles au Nigeria ». Par le même document, il ordonne de « favoriser les entreprises nigérianes dans l'attribution des contrats ». Ces décisions populistes, visant à lutter contre le chômage, sont-elles vraiment idoines?
Une décision insidieuse
D’entrée, la décision de protéger les demandeurs d’emplois nigérians ne peut être appliquée qu’au détriment du principe de libre circulation prôné par l’Union Africaine et la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Or, ce principe est fondamental à la tendance aux regroupements régional et continental censés accélérer l’ouverture des frontières et l’intégration économique du continent. D’évidence, l’application des mesures contenues dans le décret touchera plusieurs communautés étrangères sur le sol nigérian et les expatriés liés aux partenaires techniques et financiers présents au Nigéria. Ces derniers pourraient ne pas voir renouvelés leurs visas de travail. Les risques de représailles pourraient donc se concrétiser par des mesures protectionnistes réciproques dans les pays voisins du Nigéria ; ce qui entrainera une mise à l’écart des talents nigérians exerçant hors de leur pays. La situation pourrait s’envenimer en hypothéquant même l’avenir de la CEDEAO et avec elle l’espoir d’un renforcement du rapprochement économique entre les pays africains.
Par ailleurs, en imposant aux partenaires et investisseurs de recruter des locaux, le Nigéria prend le risque de vicier son environnement des affaires, ce qui aura inévitablement pour conséquence de décourager l’investissement direct étranger qui joue un rôle important dans le financement de l’économie nigériane, et qui connait des fluctuations depuis les précédentes crises qui ont secoué le pays. Etant donné qu’il faudra, désormais faire une prospection locale avant tout recrutement, l’alourdissement des processus de recrutement peut produire des surcoûts pour les entreprises. A cela s’ajouteront entre autres, les charges patronales et sociales. Déconnectés des pratiques optimales de travail, les travailleurs nigérians se retrouvent souvent peu productifs et par conséquent chers sur le marché, ce qui risque de pousser les investisseurs à regarder ailleurs.
Au vu de ces nombreux effets pervers que pourrait entrainer l’application d’un tel décret, et au-delà de l’instrumentalisation politique, il est évident que la racine du mal du chômage se trouve ailleurs.
Une économie peu diversifiée
Avec le PIB le plus élevé en Afrique (403,653 milliards USD selon la Banque Mondiale 2016), le Nigéria tire la majeure partie des ressources financières de l’exploitation des hydrocarbures et leur écosystème. Or, l’industrie extractive est intense en capitaux, ce qui prive les autres secteurs d’un apport suffisant en capitaux pour amorcer une amélioration de leurs performances. Il en résulte une faible diversification de l’économie au profit du secteur extractif qui emploie très peu de main d’œuvre. L’autre conséquence majeure du caractère rentier et capitalistique de l'économie des hydrocarbures est la faible productivité des autres secteurs comme l'agriculture et les services même si leurs contributions au PIB ont évolué depuis quelques années. La croissance économique nigériane n’est pas très féconde car ne créant pas encore suffisamment d’emplois et cohabitant avec un taux de chômage de 18,8% selon les statistiques officielles. Les faibles diversification et productivité des secteurs de l’économie nigériane hors le secteur pétrolier, n’expliquent pas à elles seules la source du chômage endémique au Nigéria.
Un marché du travail peu adapté
On ne peut pas dire que les entreprises locales ou étrangères préfèrent embaucher des étrangers lorsque des Nigérians ont les qualifications nécessaires, ils sont facilement embauchés. Malheureusement, au Nigeria, l’inadéquation des formations avec les offres d’emplois constitue un obstacle majeur. Cela consiste, pour le système éducatif, à former des diplômés soit pour des formations soit inadaptées au marché de l’emploi ; soit incomplètes pour intégrer un emploi. Une étude menée en 2012 par Pitan Oluyomi S. et Adedeji SO, deux chercheurs à l’Université d’Ibadan au Nigéria, montre que le phénomène atteint 60,6% des compétences attendues des diplômés surtout dans la communication, l'informatique, la prise de décision, la pensée critique et les compétences entrepreneuriales. Par exemple, l’Etat ne pouvant pas absorber tous les demandeurs d’emplois, les compétences entrepreneuriales sont indispensables pour sortir les jeunes du chômage. Mais cette compétence vient en 2ème position dans celles qui manquent chez les jeunes diplômés selon l’étude ci-dessus citée. D’autres secteurs souffrent également du déficit de compétences. L’indice de compétitivité Gobale 2017-2018 classe le Nigéria 116ème sur 134 pays, avec une moyenne de 3 sur 7 pour son enseignement supérieur et la formation de faible qualité.
Par ailleurs, le salaire minimum en vigueur au Nigeria est de 18 000 Naira soit 81,1$, un montant dérisoire que les jeunes nigérians peuvent tripler dans le secteur informel pour la même période de travail. Cela les pousse à refuser, quand il en existe, certains emplois vers lesquels se ruent les étrangers. Mais le paradoxe est que ce même salaire minimum, présenté come une aubaine, est également une barrière à l’entrée sur le marché du travail pour les demandeurs d’emplois moins expérimentés comme c’est le cas des 600.000 diplômés annuels dont la productivité reste néanmoins en dessous de ce salaire. En effet, de nombreux demandeurs d’emploi sont sous-qualifiés et les jeunes manquent d’expérience donc leur productivité est faible au début. Ainsi, leur embauche n’est pas rentable pour les entreprises, surtout les petites et les moyennes qui sont découragées par le coût du travail relativement élevés, d’où leur réticence à embaucher, surtout sur un marché du travail où les procédures de licenciement et d’embauche sont rigides et couteuses. D’où la nécessité de réformer le code de travail afin d’offrir plus de facilités aux entreprises de recruter.
Ainsi, le décret pris par le gouvernement nigérian passe complètement à côté des vraies sources du chômage. Il a préféré choisir la facilité à travers un décret populiste et démagogique. Le salut viendra plutôt de réformes structurelles pour améliorer l’employabilité des Nigérians et la compétitivité des entreprises locales, et surtout par assouplir les restrictions de visa pour les étrangers afin de profiter de toutes les opportunités susceptibles de juguler le chômage endémique que connait le pays.
Mauriac Ahouangansi, doctorant-chercheur béninois. Le 16 mars 2018.