Magazine Cinéma
La créature de The Thing reprend le rôle de Michael Myers dans La Nuit des Masques. Comme ce dernier, « la chose » n’étant rien, on l’investit de tous les fantasmes. Et sa seule présence suffit à disloquer un groupe.
L’Amérique reaganienne au miroir de la chose
The Thing se situe à la croisée de La Nuit des Masqueset New York 1997. Au premier, elle emprunte le caractère fantasmatique du monstre, invisible mais si angoissant. Au second, la brutalité individualiste de Kurt Russel, star des deux films. Tourné au début de l’ère Reagan (1982), le film de Carpenter explore la nouvelle psyché américaine des années 80. L’individualisme le fascine autant qu’il le rebute ; il produit certes des héros badass comme Snake Plissken ou John Nada (plus tard, dans Invasion Los Angeles), mais conduit également à la destruction de toute solidarité. Le massacre un à un des scientifiques de la base antarctique où se tapit « la chose » du film homonyme sert d’allégorie à ce changement de mentalité, où la survie de l’individu prime sur celle du collectif.Après tout, la créature ne tue pas tant que ça. En revanche, les peurs qu’elle génère suscitent des pulsions de meurtre. Celui que l’on croyait son camarade, voire son ami, devient, dans le climat d’angoisse généralisé, un hôte potentiel du monstre.
L’homme est un loup pour l’homme
Ce qui se joue, dans The Thing, c’est la mise à mal de la confiance sociale qui tend les rapports interpersonnels. À sa manière, Carpenter se fait lecteur de Hobbes. Revenus à l’état naturel, au milieu d’une banquise hostile, harcelés par une créature qui migre de corps en corps, les hommes, de tranquilles moutons qu’ils étaient en société, redeviennent des loups pour les autres.Aussi la créature ne vaut pas tant pour elle-même que pour ce qu’elle démystifie de la nature humaine, profondément négative pour le cinéaste américain. C’est pourquoi elle n’a pas de forme. Ou plutôt, elle emprunte toutes les formes, au gré de ce que les scientifiques croient voir en elle. Par définition, elle est l’image-limite. L’image impossible à saisir, réfugiée dans le hors-champ, le hors-pensée ; celle qui se déforme et se détend selon une plastique invraisemblable. Ses rares manifestations suscitent des visions d’horreur, tant elles repoussent les frontières de la raison : tels une tête chevauchant un corps arachnéen, ou un cou hurlant démesurément long…Dans une ambiance de suspicion totale, l’Autre devient la figure du Mal. Puisqu’on ne peut rien lui confier, il faut tout lui refuser. Et, peut-être, l’exterminer. Parabole politique des États-Unis sous Reagan, disait-on…
The Thing, John Carpenter, 1982, 1h48.
Maxime
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