L’évolution des rapports de force entre les puissances a battu en brèche la croyance en un monde régulé par une mondialisation des échanges bénéfique à tous. La fragilité du monde actuel et les multiples menaces qui résultent de la confrontation entre différentes forces (puissances, monde financier, firmes multinationales, sociétés civiles) rend l’économie indissociable de la notion de résilience d’un peuple sur un territoire. Le progrès et le marché ont dicté la ligne de conduite des sociétés humaines depuis l’ère des révolutions industrielles. Tout au long du XIXe et du XXe siècle, le problème principal a été le développement. Les pays industrialisés étaient le modèle à suivre.
Au début du XXIe siècle, des limites de cette dynamique ont commencé à apparaître. La vulnérabilité d’un État n’est plus seulement mesurée par ses difficultés à se développer comme c’était le cas lors des débats sur les rapports Nord/Sud. Un État peut être menacé par les rapports de force qui existent autour de l’énergie, sur l’accès aux ressources, aux matières premières et à l’eau. Ce sont des sujets quasi permanents de confrontation dans certaines parties du monde. Le résultat de cette guerre économique larvée oblige les Etats à s’interroger sur la manière de préserver leurs acquis socio-économiques. Ils doivent capables dans le même temps de répondre à des nouveaux besoins générés par les contraintes géoéconomiques, les évolutions du marché, les crises financières et les revendications des catégories socioprofessionnelles.
La solidité d’un État se mesurera à terme sur sa manière d’anticiper et de résoudre ces nouvelles formes de rapport de force. Il faudra trouver d’autres méthodes de réflexion que la terminologie militaire et la qualification juridique pour formuler les réponses adéquates en particulier dans la définition de ce qui doit être considéré comme stratégique. L’intégrité du territoire et la protection des populations ne peuvent plus être considérés comme les deux seules priorités primordiales d’un État de Droit[1]. Il serait peut-être utile de réfléchir sur une nouvelle forme de priorité qui renforce la notion d’intérêt général[2] par la solidarité stratégique qui s’imposerait dans certains cas de figure. J’entends par solidarité stratégique, des décisions de moyen/long terme pour la préservation du bien commun[3]. Cette notion de la solidarité stratégique renvoie à la capacité de résilience d’un État confronté non seulement aux crises mais aux limites du progrès (cf. par exemple les effets de la pollution industrielle) et du marché (cf. les risques générés par une situation de dépendance alimentaire ou énergétique).
La solidarité stratégique implique également un dépassement possible des intérêts individuels et une évaluation critique de la recherche de profit à court terme. Dans le passé, l’État s’est construit à partir de ses intérêts vitaux. Dans l’avenir, la survie d’une population sur un territoire donné pourra devenir un intérêt vital. Une telle approche dépasse la vision militaire restrictive de la défense économique et souligne les imperfections de la définition des intérêts stratégiques validée par la Commission Européenne. Elle sort aussi des limites du courant de pensée souverainiste qui se focalise sur la notion d’indépendance.
Christian Harbulot
[1] État qui protège les libertés fondamentales.
[2] Situation qui procure un bien-être à tous les individus d’une société.
[3] Dans le cadre de ce raisonnement, le bien commun désigne l’idée d’un bien partagé par les membres d’une même communauté au sens matériel et pratique (les biens).
L’article L’émergence d’un besoin de solidarité stratégique est apparu en premier sur Infoguerre.