« Peut-être faut-il se détourner du préjugé concernant l'animisme qui le cantonne à une religion archaïque, ou encore à l'idolâtrie. Il faut accepter de le penser comme une façon de philosopher autrement, comme un retour aux sources, à la condition de toutes les conditions, en même temps que l'horizon de toutes les aspirations : vivre…nous invitant à repenser notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes.
« Pour les pygmées, le jour de la mort on chante, on danse, on rit. On pousse à l'extrême les plaisirs les plus ordinaires. Celui qui part prend vacances de ce monde-ci et l'on sait qu'il y a un autre monde caché dans celui-ci. C'est pourquoi, au plus haut de l'amour, chacun pousse un mot, jailli, vif, de joie clamée, un mot unique et définitif qui accompagne le défunt qui accède à la plénitude de la vie elle-même…. Cela signifie que nous tendons une corde entre ce monde et l'autre. Dans le bruit de la fête et de la démence, comme dans la stridulation continue d'un village hanté par le deuil, on entend les chiens du défunt, les hyènes, les criquets, les chouettes, tandis qu'à l'intérieur de chaque être règne jusque dans les monodies les plus effrénées, jusque dans les cris arrachés de l'amour, un grand silence adorateur et conciliateur.
Peux-tu imaginer un seul instant que la nature se trompe à ce point? Regarde autour de toi. Observe les saisons. Que se passe-t-il lorsqu'une feuille tombe? Au bout d'un certain temps, une autre feuille renaît au même endroit, comme s'il s'agissait d'une même feuille, mais autrement. Il en est de même pour les hommes. Si tu as appris à penser autrement, sans la raison, c'est-à-dire à flairer, à renifler la chose neuve qui surgit dans l'air alentour, alors tu seras capable de voir, d'entendre, au-delà des visages barbouillés d'argile et de larmes. Tu verras ce que les autres ne voient pas, tu saisiras, à travers la pluie épaisse encore chargée du chant des passereaux, la présence de tous ceux qui t'ont précédé et qui t'entourent. Gaston Paul Effa.LE DIEU PERDU DANS L'HERBE 87.
Dans » « le Dieu Perdu Dans L'herbe » le philosophe camerounais Gaston-Paul Effa recherche une voie pacifiée entre deux visions du monde qui ont régi sa vie : d'une part la pensée occidentale, rationnelle, apprise de ses études de théologie puis de philosophie ; d'autre part la sagesse animiste reçue lors de son initiation par Tala une « prêtresse »ou « chamane » pygmée. Cette rencontre fut à la fois pour lui un retour sur ces origines(sa famille était animiste) , une épreuve physique (vivre avec les pygmées au fond de la forêt) , des exercices de diététique, et une confrontation avec les concepts de sa formation universitaire.« Je me rends compte que Tala a pris possession de moi, c'est elle qui parle désormais, en déconstruisant des schémas et catégories établis en moi » (p.54) : Comme on l'a vu précédemment l'animisme n'est plus cette forme de pensée archaïque méprisée, comme idolâtre, par les monothéismes puis comme « primitive » par la rationalité occidentale…lorsque l'auteur parle de Dieu c'est au sens spinoziste : dieu c'est-à-dire la Nature »..Le retour au premier plan de la pensée de Spinoza pourrait d'ailleurs être interprétée comme une profonde révolution intellectuelle qui met en cause les dualismes et les ruptures, dans la pensé anthropologiques (David Abram, Eduardo kohn) mais surtout la pensée écologique, nous invitant à comprendre l'animisme comme « un rapport amoureux au monde et aux choses »

L'humanisme évolutionniste et la « modernité », issues du rationalisme et des Lumières, avaient renvoyé l'animisme aux poubelles de l'histoire, à la fois comme stade archaïque des religions (Tylor)et stade infantile du développement de la personne humaine (Freud ,Piaget), comme si humanisme et animisme étaient mutuellement incompatibles. Une opération de purification avait ainsi établie deux zones ontologiques entièrement distinctes, celle des humains d'une part, celle des non - humains de l'autre(animaux ,choses, machines), là où comme l'a montré B.Latour existent en fait des collectifs, des réseaux et des hybrides de nature et de culture . «Lorsque les mots « moderne », « modernisation », « modernité » apparaissent, nous définissons par contraste un passé archaïque … . Moderne » est donc asymétrique par deux fois : il désigne une brisure dans le passage régulier du temps ; il désigne un combat dans lequel il y a des vainqueurs et des vaincus « …
Apparait ainsi une autre conception que l'histoire évolutionniste , qui avait inventé la « primitivité. Déjà Walter Benjamin concevait une histoire à « rebrousse temps » , où l'on remontait le « rebuts », les traces, les scories, la survivance .Il renouait avec l'enfance, le monde de la magie, de l'animisme et du démonique à l'inverse d'une histoire trop originaire et immémoriale ou d'une histoire trop nouvelle (paradoxalement sans mémoire).De la même façon C. Einstein faisait ,dans l'art moderne un sort à l'idée nostalgique de primitivité( « romantisme infécond de l'artiste à courts d'idées ».) tout montrant que le cubisme se servait de l'art africain comme art de combat , l'utilisant comme écart et étrangeté en le transformant et en le déplaçant. L'autrefois se trouvait ainsi interprété et lu par l'advenue d'un maintenant résolument nouveau et employé comme « force insurrectionnelle ».
En ce sens les systèmes de pensée animistes et chamaniques seraient peut-être plus féconds pour appréhender et redynamiser notre relation au monde et au réel. Un monde, dans lequel une certaine forme d'animisme repensée , revisitée ,mieux comprise dans ses fondements, aurait un sens et qui suppose un rationalisme d'une autre nature, (un surrationalisme selon le mot de Bachelard ) que celui, purement instrumental, que nous avons fini par privilégier. L'animisme postule en fait, en attribuant à l'Autre une puissance d'être , que loin d'être le seul agent intelligent dans le monde, l'humain doit au contraire constamment négocier avec beaucoup d'autres intelligences, non seulement avec d'autres personnes, mais surtout avec des personnes « autres. » ainsi selon Graham Harvey (Animism), un des auteurs de la refondation, l'animisme nous apprend comment être une « bonne personne » en relation respectueuse avec d'autres personnes, ce qu' ont mis en pratique les sociétés traditionnelles s'ouvrant sur le non humain dans une sorte « d'épistémologie relationnelle » . Bruno Latour oppose ainsi à l'épistémologie objectiviste les écrits de l'anthropologue, étudiant les sociétés traditionnelles :
« Envoyez - le chez les Arapesh ou chez les Achuar , chez les Coréens ou chez les Chinois , et vous obtiendrez un même récit pour lier le ciel , les ancêtres , la forme des maisons , les cultures d'ignames , de manioc ou de riz , les rites d'initiation , les formes de gouvernement et les cosmologies . Pas un élément qui n'y soit à la fois réel , social et narré …

D'autre part, le territoire inuit n'est pas ici un simple espace physique mais un système de lieux connectés à un réseau d'itinéraires. Au plan culturel et symbolique, il constitue la transposition spatiale de l'identité du groupe, puisqu'il porte les traces visibles — telles que les campements et les pistes — et invisibles — telles que les toponymes et les mythes — de son histoire Ainsi, comme le souligne Béatrice Collignon (1999), le territoire est une « réalité subjective », puisque l'appréciation et la connaissance de ce dernier dépendent de l'expérience et de la mémoire collective.
« Dans cette représentation du territoire un lieu n'existe pas en soi mais seulement dans la relation qu'il entretient avec d'autres (lieux, hommes ou gibier). C'est cette relation qui donne sens au lieu, qui est lui-même un des éléments constructeurs de ce sens dans la mesure où les relations qu'il tisse avec d'autres lieux font qu'il participe activement à l'élaboration du système spatial. Les lieux sont ainsi les points d'ancrage d'un espace humanisé organisé en réseau de relations, tandis que les aires (surfaces) occupent une place très discrète dans cette représentation du territoire. Peu intégrées au "milieu humanisé" - en dépit de leur importance dans les activités cynégétiques - elles occupent une position marginale.


Alors que le positivisme logique de la science moderne exigeait une mise à distance du sujet par rapport à son objet — l'objectivisme — le savoir animique, lui, est construit à partir de l'action et de la relation avec les choses. Les chasseurs-cueilleurs ne socialisent donc pas avec les choses parce qu'ils leur attribuent une personnalité, mais leur attribuent une personnalité parce qu'ils socialisent avec elles .
« Les animistes contemporains […] centrent la discussion autour de façons particulières d'être lié au monde », une attitude qui est « un défi aux discours qui divisent l'esprit et la chair, l'âme et le corps, le sujet et l'objet, la vie et la matière, le surnaturel et le naturel, la culture et la nature, les gens et l'environnement, la communauté et les ressources, etc…« le nouvel animisme conteste les préjugés modernistes et invite à l'élargissement des engagements relationnels ainsi engendrés et augmentés à travers des échanges de dons et d'autres formes de mutualité. À la fois dans ses formes autochtones et dans ses formes occidentales, l'animisme encourage les humains à voir le monde comme une communauté variée de personnes vivantes avec lesquelles on trouve différentes espèces de respect.. »
.. Graham harvey.(Animism)
Gille Deleuze trace ainsi le portrait de Spinoza :
« Cette vie frugale et sans propriétés, minée par la maladie, ce corps mince, chétif, ce visage ovale et brun avec des yeux noirs éclatants, comment expliquer l'impression qu'ils nous donnent d'être parcourus par la Vie même, d'avoir une puissance identique à la Vie ? Dans toute sa manière de vivre comme de penser, Spinoza dresse une image de la vie positive, affirmative, contre les simulacres dont les hommes se contentent. Non seulement ils s'en contentent, mais l'homme haineux de la vie, honteux de la vie, un homme de l'autodestruction qui multiplie les cultes de la mort, qui fait l'union sacrée du tyran et de l'esclave, du prêtre, du juge et du guerrier, toujours à traquer la vie, la mutiler, la faire mourir à petit ou long feu, la recouvrir ou l'étouffer avec des lois, des propriétés, des devoirs, des empires : voilà ce que Spinoza diagnostique dans le monde, cette trahison de l'univers et de l'homme. Son biographe Colerus rapporte qu'il aimait les combats d'araignée : « II cherchait des araignées qu'il faisait battre ensemble, ou des mouches qu'il jetait dans la toile d'araignée, et regardait ensuite cette bataille avec tant de plaisir qu'il éclatait quelquefois de rire» .dans une note, Deleuze précise d'ailleurs le sens de cette distraction du philosophe hollandais : Cette anecdote nous semble authentique, parce qu'elle a beaucoup de résonances « spinozistes ». Le combat d'araignées, ou araignée-mouche, pouvait fasciner Spinoza pour plusieurs raisons : 1° du point de vue de l'extériorité de la mort nécessaire ; 2° du point de vue de la composition des rapports dans la nature (comment la toile exprime un rapport de l'araignée avec le monde, qui s'approprie comme tel des rapports propres à la mouche). »
G.DELEUZE. SPINOZA.PHILOSOPHIE PRATIQUE.MINUIT

son livre principal(Écologie, Communauté et Style de vie) se veut un parcours intellectuel et une recherche d'une autre morale philosophique , repensant le statut biologique de l'homme, le sens du développement technologique autant que le rôle de l'économie dans notre rapport au monde, Næss y revisite les représentations sédimentées, issues de la Bible ou des catégories philosophiques courantes, qui nous ont, des siècles durant, convaincus d'être à ce point séparés du monde que nous pourrions le défigurer sans atteindre à notre propre être.
L
LE MOUVEMENT DE L'ÉCOLOGIE PROFONDE
« a. Rejet de la vision de l'homme-dans-l'environnement au profit d'une vision relationnelle, une vision de champ total (relational, total field image). Les organismes sont des nœuds au sein du réseau ou du champ de la biosphère, où chaque être soutient avec l'autre des relations intrinsèques. Une relation intrinsèque entre deux choses A et B est telle que la relation appartient aux définitions ou aux constitutions fondamentales de A et de B, si bien qu'en l'absence de cette relation, A et B cessent d'être ce qu'ils sont. Le modèle du champ total ne dissout pas seulement le concept de l'homme-dans-l'environnement, mais tout concept d'une chose comprise comme chose compacte-dans-le milieu – sauf lorsque l'on parle en se situant à un niveau d'échange verbal superficiel ou préliminaire.
b. … La pratique de l'écologiste de terrain le conduit à éprouver un respect profond voire une vénération, pour les différentes formes et modes de vie. Il acquiert une connaissance de l'intérieur, une sorte de connaissance que les autres hommes réservent d'ordinaire à leurs semblables, et qui est au reste fort limité puisqu'elle n'embrasse généralement qu'un nombre restreint de formes et de modes de vie. L'écologiste de terrain tient que le droit égal pour tous de vivre et de s'épanouir est un axiome de valeur évident et intuitivement clair.
La restriction de cet axiome aux hommes est le fait d'un anthropocentrisme dont les effets préjudiciables s'exercent sur la qualité de vie des hommes eux-mêmes. Cette qualité de vie dépend en partie de la satisfaction et du plaisir profonds, et de la satisfaction que nous éprouvons à vivre en association étroite avec les autres formes de vie. La tentative visant à ignorer notre dépendance et à établir une distribution des rôles entre, d'un part, un maître et, d'autre part, un esclave, a contribué à l'aliénation de l'homme lui-même. [...] (c'est moi qui souligne) Extrait de Arne Næss, Trad. française de Hicham-Stéphane Afeissa, dans Éthique de l'environnement,
A suivre