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« des araignees et des forets ». (6)l’animisme revisite.

Publié le 21 mars 2018 par Regardeloigne

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« Peut-être faut-il se détourner du préjugé concernant l'animisme qui le cantonne à une religion archaïque, ou encore à l'idolâtrie. Il faut accepter de le penser comme une façon de philosopher autrement, comme un retour aux sources, à la condition de toutes les conditions, en même temps que l'horizon de toutes les aspirations : vivre…nous invitant à repenser notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes.

« Pour les pygmées, le jour de la mort on chante, on danse, on rit. On pousse à l'extrême les plaisirs les plus ordinaires. Celui qui part prend vacances de ce monde-ci et l'on sait qu'il y a un autre monde caché dans celui-ci. C'est pourquoi, au plus haut de l'amour, chacun pousse un mot, jailli, vif, de joie clamée, un mot unique et définitif qui accompagne le défunt qui accède à la plénitude de la vie elle-même…. Cela signifie que nous tendons une corde entre ce monde et l'autre. Dans le bruit de la fête et de la démence, comme dans la stridulation continue d'un village hanté par le deuil, on entend les chiens du défunt, les hyènes, les criquets, les chouettes, tandis qu'à l'intérieur de chaque être règne jusque dans les monodies les plus effrénées, jusque dans les cris arrachés de l'amour, un grand silence adorateur et conciliateur.

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Peux-tu imaginer un seul instant que la nature se trompe à ce point? Regarde autour de toi. Observe les saisons. Que se passe-t-il lorsqu'une feuille tombe? Au bout d'un certain temps, une autre feuille renaît au même endroit, comme s'il s'agissait d'une même feuille, mais autrement. Il en est de même pour les hommes. Si tu as appris à penser autrement, sans la raison, c'est-à-dire à flairer, à renifler la chose neuve qui surgit dans l'air alentour, alors tu seras capable de voir, d'entendre, au-delà des visages barbouillés d'argile et de larmes. Tu verras ce que les autres ne voient pas, tu saisiras, à travers la pluie épaisse encore chargée du chant des passereaux, la présence de tous ceux qui t'ont précédé et qui t'entourent. Gaston Paul Effa.LE DIEU PERDU DANS L'HERBE 87.

Dans » « le Dieu Perdu Dans L'herbe » le philosophe camerounais Gaston-Paul Effa recherche une voie pacifiée entre deux visions du monde qui ont régi sa vie : d'une part la pensée occidentale, rationnelle, apprise de ses études de théologie puis de philosophie ; d'autre part la sagesse animiste reçue lors de son initiation par Tala une « prêtresse »ou « chamane » pygmée. Cette rencontre fut à la fois pour lui un retour sur ces origines(sa famille était animiste) , une épreuve physique (vivre avec les pygmées au fond de la forêt) , des exercices de diététique, et une confrontation avec les concepts de sa formation universitaire.« Je me rends compte que Tala a pris possession de moi, c'est elle qui parle désormais, en déconstruisant des schémas et catégories établis en moi » (p.54) : Comme on l'a vu précédemment l'animisme n'est plus cette forme de pensée archaïque méprisée, comme idolâtre, par les monothéismes puis comme « primitive » par la rationalité occidentale…lorsque l'auteur parle de Dieu c'est au sens spinoziste : dieu c'est-à-dire la Nature »..Le retour au premier plan de la pensée de Spinoza pourrait d'ailleurs être interprétée comme une profonde révolution intellectuelle qui met en cause les dualismes et les ruptures, dans la pensé anthropologiques (David Abram, Eduardo kohn) mais surtout la pensée écologique, nous invitant à comprendre l'animisme comme « un rapport amoureux au monde et aux choses »

 

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L'humanisme évolutionniste et la « modernité », issues du rationalisme et des Lumières, avaient renvoyé l'animisme aux poubelles de l'histoire, à la fois comme stade archaïque des religions (Tylor)et stade infantile du développement de la personne humaine (Freud ,Piaget), comme si humanisme et animisme étaient mutuellement incompatibles. Une opération de purification avait ainsi établie deux zones ontologiques entièrement distinctes, celle des humains d'une part, celle des non - humains de l'autre(animaux ,choses, machines), là où comme l'a montré B.Latour existent en fait des collectifs, des réseaux et des hybrides de nature et de culture . «Lorsque les mots « moderne », « modernisation », « modernité » apparaissent, nous définissons par contraste un passé archaïque … . Moderne » est donc asymétrique par deux fois : il désigne une brisure dans le passage régulier du temps ; il désigne un combat dans lequel il y a des vainqueurs et des vaincus « 

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La conception humaniste d'un être humain à distance du non humain, d'un être maitre et possesseur de son extériorité, une nature neutre qu'il pourrait à volonté comprendre et exploiter par des techniques qu'il dominerait entièrement, est pourtant battue en brèche par la pensée contemporaine : il a fallu que les thématiques écologiques, qu'elles soient politiques et scientifiques s'invitent dans les sciences sociales pour que le vieux concept d'animisme ressurgisse mais dans un sens bien différent de celui que lui donnait Taylor

Apparait ainsi une autre conception que l'histoire évolutionniste , qui avait inventé la « primitivité. Déjà Walter Benjamin concevait une histoire à « rebrousse temps »  , où l'on remontait le « rebuts », les traces, les scories, la survivance .Il renouait  avec l'enfance, le monde de la magie, de l'animisme et  du démonique  à l'inverse d'une histoire trop  originaire  et immémoriale ou d'une histoire trop nouvelle (paradoxalement sans mémoire).De la même façon C. Einstein faisait ,dans  l'art moderne  un sort à l'idée nostalgique  de primitivité( « romantisme infécond de l'artiste à courts d'idées ».) tout montrant que le cubisme  se  servait de  l'art africain comme art de combat , l'utilisant   comme écart et étrangeté  en le transformant et en le déplaçant. L'autrefois se trouvait ainsi  interprété et lu par l'advenue d'un maintenant résolument nouveau et employé  comme « force insurrectionnelle ».

En ce sens les systèmes de pensée animistes et chamaniques seraient peut-être plus féconds pour appréhender et redynamiser notre relation au monde et au réel. Un monde, dans lequel une certaine forme d'animisme repensée , revisitée ,mieux comprise dans ses fondements, aurait un sens et qui suppose un rationalisme d'une autre nature, (un surrationalisme selon le mot de Bachelard ) que celui, purement instrumental, que nous avons fini par privilégier. L'animisme postule en fait, en attribuant à l'Autre une puissance d'être , que loin d'être le seul agent intelligent dans le monde, l'humain doit au contraire constamment négocier avec beaucoup d'autres intelligences, non seulement avec d'autres personnes, mais surtout avec des personnes « autres. » ainsi selon Graham Harvey  (Animism), un des auteurs de la refondation, l'animisme nous apprend comment être une « bonne personne » en relation respectueuse avec d'autres personnes, ce qu' ont mis en pratique les sociétés traditionnelles s'ouvrant sur le non humain dans une sorte « d'épistémologie relationnelle » . Bruno Latour oppose ainsi à l'épistémologie objectiviste les écrits de l'anthropologue, étudiant les sociétés traditionnelles :

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« Envoyez - le chez les Arapesh ou chez les Achuar , chez les Coréens ou chez les Chinois , et vous obtiendrez un même récit pour lier le ciel , les ancêtres , la forme des maisons , les cultures d'ignames , de manioc ou de riz , les rites d'initiation , les formes de gouvernement et les cosmologies . Pas un élément qui n'y soit à la fois réel , social et narré …

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. Pour les collectifs étrangers , c'est la tâche de l'anthropologie que de parler à la fois de tous les quadrants . En effet , je l'ai dit , chaque ethnologue est capable d'écrire dans une même monographie la définition des forces en présence , la répartition des pouvoirs entre les humains , les dieux et les non - humains , les procédures d'entente , les liens entre la religion et les pouvoirs , les ancêtres , la cosmologie , le droit de propriété et les taxonomies de plantes ou d'animaux . Il se gardera bien de faire trois livres , l'un pour les connaissances et l'autre pour les pouvoirs , un autre enfin pour les pratiques . Il n'en écrira qu'un seul comme celui , magnifique , où Descola tente de résumer la constitution des Achuar d'Amazonie… « L'indigène est un thésauriseur logique » , écrit Lévi - Strauss , « sans trêve , il renoue les fils , replie inlassablement sur eux - mêmes tous les aspects du réel , que ceux - ci soient physiques , sociaux , ou mentaux. ». Bruno Latour .Nous N'avons Jamais Eté Modernes..

 

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Pour prendre un simple exemple : selon, les Inuit du Nunavut les animaux possèdent un tarniq (singulier de tarniit) qui fait d'eux des personnes conscientes et douées de volition et qui leur donne la capacité de revêtir une forme humaine. Afin de maintenir leur relation avec eux, les Inuit mettent en pratique un ensemble de règles de respect, notamment lors de la chasse et de la consommation. La chasse, lorsqu'elle se fait en accord avec ces règles, permet d'assurer le cycle de la vie et de la mort. Sans elle, les animaux risqueraient en fait de disparaitre ou de se venger. Le respect envers la terre est tout aussi important; une offense à son égard risquerait de causer diverses catastrophes, telles que la maladie et la famine . Il existerait de ce fait une connexion étroite entre les animaux, le comportement humain, la terre (nuna) et l'univers (sila); un ordre moral commun à l'intérieur duquel les actions sont mutuellement rendues .

D'autre part, le territoire inuit n'est pas ici un simple espace physique mais un système de lieux connectés à un réseau d'itinéraires. Au plan culturel et symbolique, il constitue la transposition spatiale de l'identité du groupe, puisqu'il porte les traces visibles — telles que les campements et les pistes — et invisibles — telles que les toponymes et les mythes — de son histoire Ainsi, comme le souligne Béatrice Collignon (1999), le territoire est une «  réalité subjective », puisque l'appréciation et la connaissance de ce dernier dépendent de l'expérience et de la mémoire collective.

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« Dans cette représentation du territoire un lieu n'existe pas en soi mais seulement dans la relation qu'il entretient avec d'autres (lieux, hommes ou gibier). C'est cette relation qui donne sens au lieu, qui est lui-même un des éléments constructeurs de ce sens dans la mesure où les relations qu'il tisse avec d'autres lieux font qu'il participe activement à l'élaboration du système spatial. Les lieux sont ainsi les points d'ancrage d'un espace humanisé organisé en réseau de relations, tandis que les aires (surfaces) occupent une place très discrète dans cette représentation du territoire. Peu intégrées au "milieu humanisé" - en dépit de leur importance dans les activités cynégétiques - elles occupent une position marginale.

 

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En plus d'être un rapport du groupe avec son espace, le territoire est ainsi indissociable de sa relation avec tous les êtres habitant cet espace: les membres du groupe comme les étrangers, les vivants et les morts, et les animaux autant que les « esprits ». Pour cette raison, la cosmologie animiste prend un autre sens que celui donné par l'anthropologie à son origine  :non pas comme système de croyances archaïque et révolu mais en tant qu'ontologie et épistémologie. L'animisme se définit alors comme une façon d'être au monde fondée sur une mise en relation avec tout ce qui le compose. Nurit Bird-David parle ainsi « d'épistémologie relationnelle » pour souligner le savoir qui découle de ce mode d'être. Il est pourtant pour nous difficile dans notre tradition culturelle, scientifique et philosophique de concevoir l'humain comme une intelligence ouverte sur d'autres intelligences, voire sur des choses perçues comme « vivantes », plutôt que comme une monade cognitive fermée. Ce domaine, était tout au plus, chez nous, celui de l'imaginaire de la rêverie propre à Bachelard, du surréalisme, des fulgurances d'Artaud ou de la géopoétique d'un Kenneth White et son « nomadisme intellectuel » : « Une pensée qui tienne compte de tous les rapports subtils entre l'être humain et l'univers (pensée qui ne peut être, à mon sens, et je le dis tout de suite, qu'une pensée poétique, au sens fort, et pour le moment, dans la plupart des esprits, à peine concevable du mot). »

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Alors que le positivisme logique de la science moderne exigeait une mise à distance du sujet par rapport à son objet — l'objectivisme — le savoir animique, lui, est construit à partir de l'action et de la relation avec les choses. Les chasseurs-cueilleurs ne socialisent donc pas avec les choses parce qu'ils leur attribuent une personnalité, mais leur attribuent une personnalité parce qu'ils socialisent avec elles .

« Les animistes contemporains […] centrent la discussion autour de façons particulières d'être lié au monde », une attitude qui est « un défi aux discours qui divisent l'esprit et la chair, l'âme et le corps, le sujet et l'objet, la vie et la matière, le surnaturel et le naturel, la culture et la nature, les gens et l'environnement, la communauté et les ressources, etc…« le nouvel animisme conteste les préjugés modernistes et invite à l'élargissement des engagements relationnels ainsi engendrés et augmentés à travers des échanges de dons et d'autres formes de mutualité. À la fois dans ses formes autochtones et dans ses formes occidentales, l'animisme encourage les humains à voir le monde comme une communauté variée de personnes vivantes avec lesquelles on trouve différentes espèces de respect.. »

.. Graham harvey.(Animism)

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Revisiter l'animisme ne signifie évidemment pas revenir au passé par une sorte de nostalgie des origines (ce fut la tentative du New Age.). Pas non plus, ce qui n'aurait guère de sens, revenir à l'animisme africain, inuit ou Amérindiens ,lequel n'existe d'ailleurs plus vraiment , sinon comme système de pensée à étudier, mutilé qu'il a été par les diverses conquêtes colonisatrices , l'expansion des monothéisme et maintenant de la mondialisation .Il reste à comprendre, pour s'en inspirer, que ces systèmes de pensée ont exploités des potentialités autres que celle de notre histoire et que ces potentialités peuvent désormais nous servir à penser notre présent, fournir par exemple ses schèmes de compréhension à une pensée écologique « profonde » à l'ère de l'anthropocène. Un des symptomes de cette visitation (qui peut paraitre sans rapport à première vue) est paradoxalement, comme déjà dit, l'importance accordée actuellement ( ce qui se vérifie en librairie ) à l'œuvre d'un Spinoza, que personne n'oserait taxé évidemment d'animiste. Mais pour le philosophe, qui contemplait fasciné le travail des araignées, l'être humain, à l'encontre de tout dualisme, n'était pourtant qu'une modalité parmi d'autres d'une réalité unique et immanente la Nature. Celle-ci, « nature naturante » , substance et cause de tout ce qui existe , se déclinait en une infinité de modalités (nature naturée). Chacune était pourvue d'un degré de puissance propre à se maintenir en vie (conatus), chaque entité naturelle possédant un tel conatus à des degrés divers. L'éthologie de l'être humain, comme des autres réalités non humaines (ce que Spinoza nomme Ethique) consisterait à augmenter ce degré de puissance en associant les conatus dans des ensembles plus vastes, (par exemple en formant des ensembles sociaux). L'éthologie scientifique de nos jours à la même vision : ainsi « l'Umwelt »  le monde propre à la tique, selon Von Uexküll, est-il simplement capacité d'attente et de percevoir la chaleur d'un être vivant pour se laisser tomber à son passage et constituer ainsi une forme inédite d'association. Celui de la bactérie selon Lynn Margulis et sa vision iconoclaste de l'évolution, une tendance à former des êtres plus complexes, pas seulement par sélection mais aussi par symbiose..

Gille Deleuze trace ainsi le portrait de Spinoza :

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« Cette vie frugale et sans propriétés, minée par la maladie, ce corps mince, chétif, ce visage ovale et brun avec des yeux noirs éclatants, comment expliquer l'impression qu'ils nous donnent d'être parcourus par la Vie même, d'avoir une puissance identique à la Vie ? Dans toute sa manière de vivre comme de penser, Spinoza dresse une image de la vie positive, affirmative, contre les simulacres dont les hommes se contentent. Non seulement ils s'en contentent, mais l'homme haineux de la vie, honteux de la vie, un homme de l'autodestruction qui multiplie les cultes de la mort, qui fait l'union sacrée du tyran et de l'esclave, du prêtre, du juge et du guerrier, toujours à traquer la vie, la mutiler, la faire mourir à petit ou long feu, la recouvrir ou l'étouffer avec des lois, des propriétés, des devoirs, des empires : voilà ce que Spinoza diagnostique dans le monde, cette trahison de l'univers et de l'homme. Son biographe Colerus rapporte qu'il aimait les combats d'araignée : « II cherchait des araignées qu'il faisait battre ensemble, ou des mouches qu'il jetait dans la toile d'araignée, et regardait ensuite cette bataille avec tant de plaisir qu'il éclatait quelquefois de rire» .dans une note, Deleuze précise d'ailleurs le sens de cette distraction du philosophe hollandais : Cette anecdote nous semble authentique, parce qu'elle a beaucoup de résonances « spinozistes ». Le combat d'araignées, ou araignée-mouche, pouvait fasciner Spinoza pour plusieurs raisons : 1° du point de vue de l'extériorité de la mort nécessaire ; 2° du point de vue de la composition des rapports dans la nature (comment la toile exprime un rapport de l'araignée avec le monde, qui s'approprie comme tel des rapports propres à la mouche). »

G.DELEUZE. SPINOZA.PHILOSOPHIE PRATIQUE.MINUIT

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Philosophe inspiré de Spinoza,(l'écologie « joyeuse » est un écho de la joie spinoziste d'un être au maximum de l'exercice de ses facultés physiques et intellectuelles par association avec d'autres)), le norvégien Arne Næss a fondé ce qu'il nomme « l'écologie profonde », (par différence avec les simples politiques d'aménagement et de défense de l'environnement), ou encore écosophie ; une réflexion englobante , qui s'attache à revoir le lien fondamental qui nous unirait à la nature – une entité dont nous faisons partie , au même titre que les autres espèces , et non une ressource inépuisable extérieure à nous . il s'agit de convoquer notre société pour repenser les fondements de ses formes culturelles et de ses objectifs éducatifs

son livre principal(Écologie, Communauté et Style de vie) se veut un parcours intellectuel et une recherche d'une autre morale philosophique , repensant le statut biologique de l'homme, le sens du développement technologique autant que le rôle de l'économie dans notre rapport au monde, Næss y revisite les représentations sédimentées, issues de la Bible ou des catégories philosophiques courantes, qui nous ont, des siècles durant, convaincus d'être à ce point séparés du monde que nous pourrions le défigurer sans atteindre à notre propre être.

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'écosophie (l'« Écosophie T », du nom de Tvergastein, une cabine de montagne en Norvège où il rédigea une partie de ses écrits) se fonde sur l'intuition de « la valeur intrinsèque de l'épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre ».Celui-ci prend la forme d'une importance reconnue à toutes les « formes de vie » – parmi lesquelles Næss compte les roches et les montagnes. Alpiniste jusqu'à un ange très avancé, le philosophe norvégien ne conçoit pas le rapport à la montagne en terme d'exploit ou de dépassement de soi mais comme une sagesse qui apprend à écouter ce que celle-ci à dire, à décrypter ainsi son environnement. L'alpiniste ainsi que tout homme est un nœud de relations avec le paysage. « les humains n'ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité, sauf pour satisfaire des besoins vitaux . Dans la lignée de Spinoza, et de l'importance donnée à l'affect à côté de la raison, Næss conçoit une « réalisation du Soi » qui comprend l'homme dans le monde, non pas isolément mais comme développement d'une identification profonde des individus avec toutes les formes de vie, de telle sorte que chacun prenne activement conscience qu'il fasse partie d'un tout , en l'occurrence d'un ensemble d'interactions essentielles . « Les organismes et leur milieu ne sont pas deux choses – si on plongeait une souris dans le vide absolu , elle ne serait plus une souris « . le Soi est ainsi une forme d'être qui dépasse les limites de l'individu et indique par là même un processus d'identification accompli avec un " grand tout " – la nature , la biosphère ou , plutôt , l'écosphère , puisque cette dernière inclut également les éléments non vivants , tels que le paysage , les rivières , les forêts , etc ... " À l'inverse , se tenir à l'écart de l'environnement naturel reviendrait à se tenir à l'écart de soi - même . « Une personnalité s'éveille et se développe en proportion de la richesse des liens qu'elle noue avec le milieu qui l'environne ». 

 

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« En fait , je crois que la plupart des gens ici en Norvège verraient peu à peu la végétation , les minéraux et les ustensiles de cuisine d'un œil différent s'ils prenaient seulement le temps de séjourner dans un lieu comme Tvergastein . Ils deviendraient alors eux - mêmes des êtres qui ressentent , traversés par toutes sortes d'humeurs au cours de la journée . Certains diront peut - être que je projette des affects sur l'environnement . Autrement dit , ils diront que je projette des sentiments éprouvés en mon for intérieur en les attachant d'une manière ou d'une autre à un arbre ou à tout autre élément de l'environnement . Je crois cependant plus juste de dire que le contraste entre moi et ce qui n'est pas moi se transforme . Je deviens davantage une partie de l'environnement et l'environnement une partie de moi . Seul demeure un réseau de relations plus ou moins intimes – c'est ce que j'appelle le " relationnisme " (c'est moi qui souligne).

LE MOUVEMENT DE L'ÉCOLOGIE PROFONDE

« a. Rejet de la vision de l'homme-dans-l'environnement au profit d'une vision relationnelle, une vision de champ total (relational, total field image). Les organismes sont des nœuds au sein du réseau ou du champ de la biosphère, où chaque être soutient avec l'autre des relations intrinsèques. Une relation intrinsèque entre deux choses A et B est telle que la relation appartient aux définitions ou aux constitutions fondamentales de A et de B, si bien qu'en l'absence de cette relation, A et B cessent d'être ce qu'ils sont. Le modèle du champ total ne dissout pas seulement le concept de l'homme-dans-l'environnement, mais tout concept d'une chose comprise comme chose compacte-dans-le milieu – sauf lorsque l'on parle en se situant à un niveau d'échange verbal superficiel ou préliminaire.

b. … La pratique de l'écologiste de terrain le conduit à éprouver un respect profond voire une vénération, pour les différentes formes et modes de vie. Il acquiert une connaissance de l'intérieur, une sorte de connaissance que les autres hommes réservent d'ordinaire à leurs semblables, et qui est au reste fort limité puisqu'elle n'embrasse généralement qu'un nombre restreint de formes et de modes de vie. L'écologiste de terrain tient que le droit égal pour tous de vivre et de s'épanouir est un axiome de valeur évident et intuitivement clair.

La restriction de cet axiome aux hommes est le fait d'un anthropocentrisme dont les effets préjudiciables s'exercent sur la qualité de vie des hommes eux-mêmes. Cette qualité de vie dépend en partie de la satisfaction et du plaisir profonds, et de la satisfaction que nous éprouvons à vivre en association étroite avec les autres formes de vie. La tentative visant à ignorer notre dépendance et à établir une distribution des rôles entre, d'un part, un maître et, d'autre part, un esclave, a contribué à l'aliénation de l'homme lui-même. [...] (c'est moi qui souligne) Extrait de Arne Næss, Trad. française de Hicham-Stéphane Afeissa, dans Éthique de l'environnement,

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A suivre


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