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Same player, shoot again : encore du foot arabe !

Publié le 21 mars 2018 par Gonzo

Désolé pour les fidèles de ces chroniques que le foot laisse de marbre, mais il y a pléthore de nouvelles qui méritent d’être commentées cette semaine encore, au moins brièvement, car elles sont révélatrices des tendances en cours dans la région. On y voit en effet une confirmation de la volonté saoudienne d’affirmer son hégémonie sur la région, écrasant tous ceux qui voudraient y faire obstacle, du Golfe à l’Océan, et donc du Qatar au Maroc. Il s’y confirme que le plus populaire des sports est un levier en principe efficace pour obtenir le soutien des populations où la passion pour les joies terrestres du foot l’emporte souvent sur les promesses plus lointaines de l’au-delà. Une faiblesse qu’Israël pourrait bien exploiter en offrant à ses meilleurs amis du moment, les Saoudiens et leurs alliés, des images du Mondial en Russie, compétition dont les Qataris ont pourtant acheté les droits en exclusivité !

Same player, shoot again : encore du foot arabe !Aboutrika : « Je suis content quand Salah ou Slimani se prosterne après chaque but, c’est ça le bon comportement d’un Arabo-Musulman » (source @DaliaDzz)

En Égypte, le président Sissi se dirige vers une réélection encore plus assurée que celle de Poutine. À la différence de ce dernier, il peine toutefois à demeurer populaire auprès d’une population qui souffre toujours plus de la situation économique et dont la fierté nationale est mise à mal par l’attribution ou encore la mise à disposition de morceaux du territoire (les îles Tiran et Sanafir et une partie de la côte sur la mer Rouge dans le cadre du mirifique projet Neum). C’est ainsi qu’il faut interpréter, sans aucun doute, les rumeurs de plus en plus insistantes d’un retour en grâce d’une ancienne gloire de l’équipe nationale, Mohamed Abou Trika (Aboutrika محمد أبو تريكة ). Trop proche des Frères musulmans, la star qui a dû quitter le pays sous l’accusation de « terrorisme » et qui s’est fait confisquer une partie de ses biens, n’a même pas pu assister il y a quelques mois aux funérailles de son père.

Un autre joueur égyptien, Mohammed Salah (محمد صلاح) fait actuellement des prouesses dans le championnat anglais, pour la grande fierté des amateurs de foots égyptiens, et en définitive de la oumma tout entière. Reprenant un rite qu’affectionnent les footballeurs de son pays (voir ce billet), la star du Liverpool FC a pour habitude de remercier le ciel quand il marque des buts, ce qui lui arrive assez souvent (5 lors de son dernier match, ce n’est pas courant !) Là où d’autres font un signe de croix, lui se prosterne (il fait un sujûd dit-on en arabe). Opportun ou non, cet acte de foi est en passe de devenir une question politique. En Égypte, un religieux en mal de célébrité a intimé à la vedette de cesser ces démonstrations contraires aux bonnes pratiques. En Arabie saoudite au contraire, là où le régent MBS grignote de plus en plus les prérogatives de l’institution religieuse, un prédicateur très célèbre, A’id al-Qarni (عائض القرني : voir notamment ce billet) n’a pas manqué de saluer bruyamment ce bel acte de foi. Star de l’islam électronique, al-Qarni n’est pas vraiment dans les petits papiers de la nouvelle équipe (il est plus ou moins en résidence surveillée, selon des modalités aussi peu claires que celles de la campagne contre la corruption). Raison sans doute pour proclamer à qui veut l’entendre que cette prosternation sur les stades occidentaux est un « sublime message » de piété bien comprise. Preuve que le sujet est sensible, un plumitif du quotidien saoudien al-Sharq al-Awsat s’est donné la peine de mettre en garde, sans aller au-delà de l’allusion, contre « cette politisation de la religion et cette soumission à des demandes populistes » (التسييس أو الانسياق للطلبات الشعبوية).

Dans la droite ligne du billet précédent, le soft power saoudien s’est à nouveau exercé dans le domaine du foot par l’intermédiaire de l’incontournable Turki Al al-Shaykh (تركي آل الشيخ) qui nous a beaucoup occupé la semaine dernière. Au contraire des Irakiens, caressés dans le sens du poil, le responsable des sports dans le Royaume a fait savoir aux Marocains, par le biais de tweets aussi cinglants que ceux de Trump, qu’il était hors de question que l’Arabie saoudite soutienne la candidature du Maroc pour l’organisation du Mondial en 2026. Sur ce dossier les Marocains ont en effet déjà reçu le soutien du Qatar, et Turki Al al-Shaykh leur a donc souhaité « bonne chance avec le micro-État » (الدويلة : diminutif péjoratif du mot État en arabe pour désigner le Qatar). La voix des Saoudiens et celles de leurs alliés iront donc sans doute à l’Égypte, parfaitement en mesure de tenir un défi sportif de l’envergure d’un Mondial selon le responsable saoudien qui a des faiblesses pour le pays des pharaons (et ses starlettes, mais c’est une autre histoire…)

Sans attendre ce Mondial-là, ni même le prochain au Qatar en 2022 qui s’annonce brûlant, dans tous les sens du terme, la compétition qu’organise très prochainement la Russie fait déjà des vagues sur les ondes du Moyen-Orient. Le Qatar, via BeIN, ayant acheté, assez cher, l’exclusivité des droits de retransmission dans la région, les habituels problèmes de piratage vont se poser à nouveau (voir ce billet à l’occasion du précédent Mondial). Mais un nouveau fait est venu compliquer le tableau car Israël, pays « européen » pour la FIFA, a également obtenu des droits pour la retransmission de la compétition. Je suis prêt à parier que, comme par enchantement, les Saoudiens et leurs alliés ne vont pas avoir à supplier le « micro-Émirat » honni du Qatar pour que leurs publics voient les matchs : ouvertement ou par piratage, les Israéliens pourraient bien leur faire ce cadeau en attendant le deal du siècle sur Jérusalem et la Palestine. Réponse à venir dans quelques semaines avec le début de la compétition…

Same player, shoot again : encore du foot arabe !
Signature de l’accord entre les responsables qatari et syrien lors du dernier congrès de la West Asian Football Federation à Amman.

Le Qatar, justement, s’essaie lui aussi à la diplomatie d’influence par le foot. Tandis que les Saoudiens cajolaient leurs voisins irakiens, le responsable de la fédération qatarie signait de son côté un accord de coopération avec la… Syrie ! Comme en témoigne la photo publiée dans cet article du site Al-Manar, il n’a même pas bronché devant la présence, sous son nez, du drapeau officiel de la Syrie alors que le Qatar a été un des premiers pays à reconnaître la bannière (à trois étoiles) de l’opposition…

En dépit de tous leurs efforts, les Qataris ne pourront empêcher les Saoudiens de vouloir faire la loi sur les terrains de foot arabes, et de le faire savoir sans guère de nuances. Pour confirmer cette forme d’arrogance que je commentais dans le billet précédent, je mentionne cette anecdote, trouvée dans cet article publié dans le quotidien libanais Al-Akhbar : même le richissime homme d’affaires Naguib Sawiris (نجيب ساويرس ; la société de téléphonie Orascom notamment) a dû battre en retraite devant les menaces, même pas voilées, du très puissant ami personnel de MBS, Turki Al al-shaykh : il a ainsi effacé piteusement un tweet un peu moqueur à propos des financements saoudiens dans le championnat égyptien…


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