Magazine Cinéma
Le Village représente le dernier succès critique et commercial de M. Night Shyamalan avant une traversée du désert de près d’une décennie (2006-2015). Pourtant, les films de cette période sont loin de tous mériter la poubelle de l’Histoire. À commencer par le premier d’entre eux : La Jeune fille de l’eau. Souvent méprisé pour sa niaiserie (indéniable), le film vaut pourtant le détour, car il condense peut-être mieux que les autres Shyamalan le rapport que le cinéaste entretient aux histoires.
La mise en abyme des histoires
La Jeune fille de l’eau en navre plus d’un. La fable frôle les récits à l’eau de rose : Story (Bryce Dallas Howard), une « narf », créature aquatique semblable aux nymphes, trouve refuge auprès du gérant d’un complexe hôtelier (Paul Giamatti). Porteuse d’un message destiné l’un des occupants de la résidence (Shyamalan en personne), elle a pour vocation de réunir les narfs et les humains, autrefois vivant dans l’harmonie comme l’illustre naïvement le générique. Mais des créatures invisibles aux humains traquent la narf dans la résidence…L’innocence du récit fait sourire. Et encore plus la bonne foi évidente que les protagonistes placent en la bien nommée Story, à la limite du ridicule. Or, c’est précisément de bonne foi dont parle La Jeune fille de l’eau. Il faut renverser la proposition : ne plus voir le récit dans sa mièvrerie déconcertante, mais comme appel humaniste à l’union des espèces. Penchons-nous donc avec sérieux sur ce cas fuyant. La Jeune fille prolonge en même temps qu’il prend le contrepied du Village. Bryce Dallas Howard officie la liaison entre les deux. Dans le premier film, l’aveugle Ivy Walker ne voit pas le caractère truqué de l’histoire des créatures des bois ; dans le second, sa venue déclenche la construction collective d’une histoire par les habitants de la résidence. Autrement dit, la chronologie du récit s’inverse. Dans Le Village, l’histoire est déjà écrite, reste à n’en pas répéter les mêmes erreurs ; alors que La Jeune fille met en scène l’aube du récit, ce moment précis où les écrivains déroulent ensemble les fils narratifs.De mise en abyme de la fonction politique de la narration, il est bien entendu question. Mais la fonction change : tandis que dans Le Village, la fable locale sert de machination protectionniste, dans La Jeune fille, elle opère le rapprochement des individus et leur auto-constitution en communauté.
La foi dans le récit
Le film reprend le dilemme de Graham Hess dans Signes : le pasteur déchu opposait le « camp 2, celui du hasard », au « camp 1, celui des coïncidences ». À l’instar du prêtre, les résidents s’attachent à voir dans le monde des coïncidences ; c’est-à-dire à lire une succession d’événements incompréhensibles (l’arrivée de Story, la menace des créatures) comme faisant partie d’un vaste plan mythologique. Le fantastique opère ainsi un décryptage idéologique du monde : l’histoire de Story et des narfs sert de parabole aux exactions de l’homme avec le reste du vivant. Sa mièvrerie est douce-amère : La Jeune fille semble niais parce qu’il regarde avec nostalgie un âge d’or à tout jamais perdu, dont il s’agit désormais de réinventer la solidarité inter-espèces. Se rejoue alors la bonne vieille religion, dans ses deux sens étymologiques : religare, ce qui relie, ou religere, ce qui conserve. Un complexe hôtelier peuplé de marginaux semble peu propice à l’éclosion d’un culte ; pourtant, c’est bien là que Story, à la fois objet et liant du culte, parvient à susciter la foi oubliée des habitants.Comme dans Signes, Shyamalan fait de la foi une problématique de mise en scène dans La Jeune fille. À l’instar d’une alcôve dans un temple, Story vit dans le hors-champ. Invisible au regard du spectateur, elle structure pourtant autour d’elle les membres du groupe. Tels des fidèles en quête d’une parole sacrée, les résidents s’agenouillent face caméra, recueillant pieusement ses rares faits et gestes. Dissimulant l’objet du culte, Shyamalan construit une croyance. Celle-là même que tout spectateur de cinéma investit dans le hors-champ.
La Jeune fille de l’eau, M. Night Shyamalan, 2006, Blinding Edge Pictures et
Legendary Pictures, 1h49
Maxime
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