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Viviane & Gilbert (2)

Publié le 05 juillet 2008 par Didier54 @Partages

[Le premier épisode est ici]

Fin de l'épisode précédent :

Viviane était dans ces période d'une vie où jusqu'au plus banal, tout devenait motif à larmes. C'était sa nature. Sa croix du moment. Pas tout à fait son chemin. Oui, elle avait envie de chiâler comme une madeleine, à défaut de trouver en elle l'énergie du sursaut.  Aujourd'hui ? C'est quand ils sont servi de la purée au self qu'elle s'est effondrée. Plongeant sous les regards interloqués des collègues dans une tourmente que personne ne devinait aussi brûlante. Elle eut un  léger malaise, à peine perceptible. Au-dedans, c'était une tornade, un ouragan, une tempête qui arrachait tout sur son passage. Ca tanguait de partout. Elle n'en souffla mot mais passa son après-midi à se dire qu'elle s'ennuyait de plus en plus au bureau et que de toutes façons, sa fille n'avait plus de raisons d'écrire une profession sur un fiche à la case mère. Alors elle prit la décision. Gilbert, deux jours plus tard, entrait dans un commissariat.

Avant cela, c'était monté en puissance tranquillement. Viviane n'avait jamais été du style à se hâter autrement que lentement. Il lui arrivait juste et bien plus souvent que de raison de repenser à ses parents, à ses rêves d'enfant, et surtout, à Emmanuel, copain de l'adolescence qui hantait ses souvenirs, amour parfait puisque jamais consommé, tout entier livré aux rêves les plus audacieux.

Ils avaient juste platonisé, à l'époque et pendant des années. Complices, compères, lui le  grand échalas, elle la petite pétillante élevée dans l'idée que c'est le garçon qui faisait le premier pas. L'attente. Elle avait attendu. Et puis les études avaient mis de la distance entre eux, de ces distances qu'à 20 ans, on néglige, portion congrue. De ces distances qui donnent sens aux week-ends mais à ce petit jeu, ce sont souvent les semaines qui gagnent. Manu était parti, loin, elle était revenue, diplômes en poche. Gilbert était arrivé dans sa vie un peu comme on tombe au bon moment au bon endroit. Ils eurent rapidement une liaison. Rapidement un enfant. Rapidement une maison. Rapidement un autre enfant. S'étaient mariés entre temps. Etaient passés sans coup férir de l'appartement loué à la maison achetée à crédit. Viviane s'était bien sûr occupé des enfants, longtemps. Elle n'avait pas le sentiment de renoncer à sa carrière puisque c'était ainsi que ça se passait. Ca avait toujours été ainsi. Gilbert prenait de toutes façons du grade et du gras. L'argent qui rentre c'est un frigo toujours plein.

Un jour, elle chercha puis trouva un emploi. Ce n'était pas pour l'argent. C'était pour sortir de chez elle, faire quelque chose, voir des gens, avoir un but pour se lever le matin, un prétexte pour s'occuper l'esprit, se maquiller, sourire. Elle s'engouffra dans ce métier qui n'avait pourtant rien d'excitant. Elle grimpa les échelons au sortir de la timidité gourde qui lui gâcha les premiers mois. Elle se sentait si ridicule. Elle quitta les rayons et les clients grognons ou gloutons. Gagna les bureaux et les représentants. Le luminaire fait vivre du monde. Par moments, il lui arrivait de se sentait à nouveau belle, elle avait perdu quelques kilos, gagné en vitalité, et comme par hasard, Manu avait débarqué dans sa tête.

Elle ne serait pas capable de dire comment mais le fait était. Ce fut au départ une simple pensée. Fugace. Express. Peut-être une ombre aperçue dans la rue. Ou quelqu'un rencontré sur son lieu de travail. Un bout de nez. Une nuque. Une chevelure. Enfin, un détail. La pensée s'était ensuite tapée l'incruste, de la pire des incrustes : celles qu'on a dans la peau, qui s'imisce par tous les pores, qui imprègne la moindre cellule. Au départ, elle avait pris cela comme une ride qui s'installe. Ou une mèche de cheveu rebelle, qu'on pense mater d'un coup de poignet vif. Mais elle ne pouvait nier l'oeil qui s'éclaire, le palpitant qui s'agite, le corps qui se réveille, les frissons qui émoustillent des pieds à la poitrine. Elle redécouvrait son corps, d'une certaine manière. Retrouvait des désirs que Gilbert ne savait plus éveiller depuis longtemps, d'ailleurs, il n'essayait même plus.

Au début, face au réveil de son volcan intime, Viviane avait agit comme on met de la crème sur la ridule en se disant que ça ne se verra pas. Que ça passera. Puis on met de plus en plus de crème, on va même jusqu'à reculer l'heure du réveil matin, on fréquente de plus en plus longtemps la salle de bain le matin, on raccourcit le petit-déjeuner, de toutes façons, les enfants ne sont plus là. On est dans le geste suivant bien avant le geste acquis.

En marchant dans les rues qui se désertaient à mesure que la nuit tombait, elle fit ce constat : On n'apprend rien des gens qu'on aime car on sait tout trés vite. Et ce que l'on ne sait pas on le devine. Alors on se le cache et l'on prend le risque que plus tard, bien plus tard, les ricochets de la vie fassent du dégât.C'est en tout cas ce qu'elle nota dans son petit carnet, celui des pensées profondes, comme elle l'appelait. Celui des secrets. Elle était pile à l'heure et comme bien souvent, ne savait pas quoi faire de ses dix doigts. Ils se tortillaient nerveusement en tenant le sac où depuis peu, des anxyolitiques avaient fait leur apparition au milieu du fatras qu'elle aimait entretenir avec science. Le carnet dans sa main, elle sut alors qu'elle avait pris sa décision. La quête pouvait commencer. Elle fredonna du Brel, l'inaccessible étoile. Elle rentra dans le magasin.Et acheta l'ordinateur.


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