Le vendredi 29 mars 1946, dans leur numéro 101, Les Lettres Françaises publiaient ce poème de Jean Cayrol, ancien Résistant et déporté (et futur éditeur au Seuil). L’auteur de Je vivrai l’amour des autres y rend hommage au poète Federico García Lorca, assassiné dix ans plus tôt par les fascistes espagnols.
A la mémoire de Federico García Lorca
Espagne, Espagne, ce n’est pas le temps des coquelicots
ce n’est plus le temps de la mort
bientôt le printemps va venir
plus nu que l’écho
Espagne, Espagne, ce n’est pas le temps de blés
et les prisons sont chargées de moissons
ce n’est plus le temps du sang sur la paix
la noire paix qui tremble à ta porte
la paix mangeant ses olives
la paix dans le bruissement de ses guitares accortes
la paix aux yeux comme des oignons crus
Espagne, Espagne, ce n’est pas le temps de l’amour
on voit des mères sur les routes
comme des flaques de nuit
on voit des mères comme des raisins brûlés
et des tyrans tout reprisés
Espagne, Espagne ce n’est pas le temps de la joie
ce n’est plus le temps de la nuit
entends le coq en feu lancer son cri
Espagne, Espagne dont on entend le bruit de soie
comme un drapeau qui se déploie
comme une enfant qui nous sourit
entre ses doigts.
Jean Cayrol