Mon père est mort. Jeudi, juste quelques instants après que je sois rentré de Bordeaux, de l'hôpital. Il repose, silencieux, comme il l'a toujours été. Je ne peux rien pour lui. Mercredi il sera cendre.
Je comprends soudain ce matin pourquoi. Pourquoi une vie de silence avec ses enfants. Il était endigué. Il eût fallu en lui un vent du nord qui fasse craquer ces digues, comme à Scheveningen. Il eût fallu une tempête.
Il n'y en eût pas, elles furent autour de lui les tempêtes. De six à seize ans il fut interne au séminaire d'Aire-sur-Adour, puis tout de suite après il y eût la guerre, puis il y eût de la vie dont il ne décida pas des couleurs de la palette.
Mais la guerre. Ô les guerres. Son chant, mêlé à ceux de ses frères et compagnons d'arme tabors de la la 4ème Division Marocaine de Montagne qui partaient à la mort sur les flancs lugubres de Monte Cassino, campagnes de Tunisie, Corse, Italie, France, Allemagne. Vivre ça à vingt ans. Miracle de rester en vie, miracle de la vie.
La seule chose qu'il m'ait dite de la guerre fut sa vision stupéfaite et terrifiée d'immenses escadrilles de bombardiers américains, si haut dans le ciel d'Italie, traînées de condensation à dix mille mètres, bruit sourd de ces points infimes qu'il voyait passer par milliers allant déverser leurs tonnes de bombes sur l'Allemagne qui agonisait.
Le séminaire et la guerre portèrent-ils digues en lui ? Pour retenir les eaux de la colère ? Une vie durant. Je ne le saurai jamais...
Libéré des digues, vide du temps, en paix, j'espère, il repose. Mon père est mort.