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Besoin d'amour

Publié le 18 juin 2008 par Chatperlipopette

Un couple mixte, elle est prof de lettres et pédagogue, il est militaire et Libanais. Un enfant naît...c'est une fille et la fêlure apparaît au grand jour: la déception paternelle est muette mais cruellement parlante. Certes, l'enfant aura un nom puisque l'Etat Civil l'exige mais elle ne sera jamais nommée ni appelée. Ses parents ne la voient pas, l'oublient, engoncés dans leur déception, elle d'avoir failli, lui de n'avoir pas eu de garçon. Très vite, le père est l'absence et la violence cruelle et incompréhensible: le monde est meilleur quand il n'est pas là, la lumière même faible éclaire le quotidien; tout s'assombrit et devient amer à chaque retour, plus difficiles les uns après les autres. L'amour maternel est loin d'être au rendez-vous: elle n'aime pas son enfant, sa honte, sa douleur, elle regarde sa petite fille de ses yeux extérieurs de pédagogue, dotés d'une froideur douloureuse tant pour l'enfant que pour le lecteur, en pleine empathie et révolte devant ce manque d'amour manifeste et la volonté de la faire briller en société, exhibée comme un petit singe savant. Le grain de sable survient lorsque, prête à quitter son mari, la mère est tuée par ce dernier qui ensuite se tue, devant la fillette épouvantée par tant de violence et de sang. Elle n'a pas été tuée: pourquoi? par oubli? Parce qu'elle a été mise à part, irrémédiablement, de la vie parentale? Elle est emmenée chez des inconnus, pourtant de la famille, où elle habitera plus que ne vivra. Une totale incompréhension s'instaure entre une fillette, puis une jeune fille et enfin une jeune femme en quête incessante d'amour et de normalité, et une famille sectaire loin de toute capacité à s'ouvrir aux autres et à leur personnalité aussi diverses que leurs horizons d'origine. Ils ne peuvent comprendre son manque d'amour et sa demande d'amour.Besoin d'amour
Les questions affluent à l'esprit de la fillette: pourquoi ne regrette-t-elle pas ses parents? Pourquoi avoir ressenti comme une délivrance lorsque le sang et la cervelle éclatée de son père l'ont éclaboussée? Pourquoi aime-t-elle tant provoquer ces étrangers de la famille tellement soucieux de leur univers étriqué?
Elle va voir un psy qui s'évertue à lui faire expliquer comment coule le sable dans le sablier de sa vie. Or, elle ne peut vivre ni dans le présent ni dans le futur, prisonnière de son passé, ce passé qui ne la laisse pas vivre sa vie. Elle a épousé un homme qui la fait souffrir, non pas physiquement comme son père, mais affectivement: elle le partage avec d'autres femmes sans pouvoir le quitter car l'amour de la langue et de l'esthétique les unit malgré leur relation chaotique. Le sablier s'est fluidifié mais sans casser le moule parental.
L'écriture de Chloé Delaume est celle des chaos de l'existence: elle est hachée, âpre, douloureuse, inscrite dans l'attente d'une délivrance qui en vient pas. C'est l'attente d'une tendresse, d'une affection qui ne viennent pas, c'est l'attente du passage du temps, l'attente de redevenir une poussière de sable et de réintégrer le sablier du Temps. Mais le sable continue de râper la peau sensible, par les mots du désespoir du à cette attente éternelle, la plume grinçante de Chloé Delaume égratine les hommes, la figure du père, du compagnon, de l'oncle mais aussi les femmes qui auraient du protéger l'enfance de la fillette, son adolescence: la mère et la tante ont failli non seulement à leur rôle de protectrice et de figure aimante mais aussi à leur rôle de passeuse vers l'acceptation et l'épanouissement de la féminité.
Parfois le style de Chloé Delaume est hermétique, profond, entraînant le lecteur dans les abysses du psychisme où la poésie des phrases le désoriente tout en le charmant avec intensité. Le lecteur subit un choc esthétique, littéraire en lisant les phrases inachevées, souvent absconses au départ puis lumineuses quand il tient fermement le fil conducteur de la poésie de l'auteur, parvenant ainsi à la suivre dans le labyrinthe de son écriture et de ses sentiments et de ses souvenirs sombres et étouffants. Le style lapidaire, violent, accèlère la vitesse de la lecture, sans ménager beaucoup d'espaces de respiration pour soulager le lecteur qui a alors envie de détourner son regard, de se voiler la face derrière ses mains, comme s'il redevenait un petit enfant apeuré par un spectacle difficile à regarder.
Il faut passer le choc premier du style de l'auteur pour se sentir pris par le texte et tout ce qu'il véhicule comme interrogations, peurs, angoisses et révoltes. Une lecture que l'on garde longtemps à l'esprit, une atmosphère prenante que l'on ne quitte pas de si tôt.


"Maman se meurt première personne. Elle disait malaxer malaxer la farine avec trois œufs dedans et un yaourt nature. Papa l'a tuée deuxième personne. Infinitif et radical. Chloé se tait troisième personne. Elle ne parlera plus qu'au futur antérieur. Car quand s'exécuta enfin le parricide il fut trop imparfait pour ne pas la marquer." (p.20)


Besoin d'amour
Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés.

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