Lili est jeune, Lili sort de prison et vit avec Samuel, l'homme qui l'a sortie de l'enfermement. Lili a eu une enfance très étrange, loin de toute société entre un père appartenant à un parti fasciste et une mère qui de désespoir laissera son corps exprimer sa souffrance en devenant difforme. Son petit frère, lutin survolant cette folie peu ordinaire sur son tricycle, est un élément incongru dans ce décor glauque et sombre. Lili aura un vieil amant qui lui fera découvrir les paradis artificiels, ceux-là même qui la conduiront derrière des barreaux.
Autant Lili est dans les souvenirs, le passé, autant Samuel est ancré dans la réalité, serein et attentif et se projetant dans l'avenir en parlant de la venue d'un bébé dans leur couple. Un soir, alors qu'elle ne dort pas, Lili par la fenêtre voit les animaux du zoo partir: rêve ou réalité? A partir de là, Lili pense de plus en plus à son amant, Yoïm, à sa dépendance envers les pilules qu'il lui fournissait et ce corps énorme qui la fascine.
Peu à peu son univers se fissure, laissant s'échapper les souffrances passées, les trahisons (celles de Yoïm et de son père) et les abandons: son enfance loin d'être rose s'est déroulée dans l'enfermement de la peur de l'extérieur et des autres, devant le spectacle de sa mère qui lentement se détruit à grandes doses de nourritures trop riches. La raison vacille, la folie pointe le bout de son nez à mesure que le passé ressurgit. Lili se bat pour ne pas sombrer dans la dépendance des relations étranges et malsaines qu'elle entretenait avec Yoïm, Yoïm qui réapparaît sans crier gare dans sa vie tranquille, presque équilibrée, avec Samuel. Dès lors, son corps mène les rênes de son esprit: la moiteur sensuelle perle en elle, l'appel du corps de Yoïm l'emmène dans une chambre d'hôtel et lui fait porter à la bouche les dangereuses pilules, celles de la dépendance du corps et de l'esprit. L'anéantissement de Lili semble proche: résistera-t-elle à la tentation de tout gâcher? Elle se souvient de la prison, de son viol à la bouteille de Coca, de l'odeur infernale de l'enfermement et de la folie naissante, du goût amer de la solitude et de la trahison....souvenirs qui peuvent devenir planche de salut, tel le coup de pied salvateur de celui qui se retrouve au fond de l'eau pour recouvrer l'air de la surface.
Véronique Ovaldé entraîne son lecteur dans l'univers toujours très fragile de la folie du désir, de l'amour et de la dépendance, ces hiatus qui font parfois basculer l'esprit et la raison. Lili se souvient parfois à coups de longues phrases, longues comme des paragraphes, de phrases enchaînant le flux de la réalité, des pensées, des rêves, du passé, des espoirs et des tentations de gâchis. On perçoit le monde à travers les yeux de Lili, ses fêlures, ses blessures, ses luttes contre les fantômes d'un passé sombre et glauque, diables harceleurs dès que la volonté flanche. On s'inquiète à l'idée que Lili ne fasse les mauvais choix et on soupire d'angoisse d'un bout à l'autre du récit. La limite entre la réalité et la vérité intérieure de Lili est difficile à cerner et cela jusqu'au dénouement final. Véronique Ovaldé sait orchestrer les atmosphères dérangeantes et angoissantes, poussant son lecteur dans ses derniers retranchements, grâce à son écriture où pointe une poésie persistante. Certes l'omission d'articles et des phrases inachevées peuvent agacer certains lecteurs, mais il n'empêche que cette construction peint avec justesse le monde de la folie qu'aime explorer Ovaldé. Peu à peu, au gré des phrases inachevées, des mots crus étonnants voire incongrus, les personnages prennent corps et le lecteur pénètre dans le monde intérieur de Lili et la comprend parce qu'une telle folie peut être en chacun de nous.
Un roman déconcertant mais percutant où l'émotion et l'angoisse se mêlent à chaque instant.