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Mac Macron affirme que le fameux «lien» entre l’Église et l’État a été abîmé et qu’il conviendrait de «réparer» quelque chose. Affaire sérieuse. Comment ne pas croire que, en l’espèce, la ligne rouge de la sécularisation de l’État est franchie? Comme disait Jaurès: «Démocratie et laïcité sont deux termes identiques.»
Initiés. Posons une question: Mac Macron veut-il rompre avec l’un des principes laïcs qui cantonnent les cultes dans la stricte intimité de la vie privée? En s’exprimant devant le «monde catholique», sous la nef gothique des Bernardins, le président a donc exposé sa conception de la place de la religion dans le débat public et, singulièrement, celle de l’Église, lui, l’ancien jésuite. Passons sur les aspects de la «pensée symbolique» de ce discours-fleuve, destinés en grande partie aux initiés, passons également sur sa stratégie politique (installer un pseudo-mouvement démocrate-chrétien en vue des européennes), concentrons-nous sur certaines arêtes restées coincées en travers de nos gorges de républicains. La pensée de l’hôte de l’Élysée peut se résumer de la sorte: l’État est laïc, mais la société ne l’est pas. Rien de scandaleux, d’autant que l’Église ne saurait être «injonctive», selon sa propre expression. Mais, contrairement à ce qu’il propose par ailleurs, dans une République laïque, il ne peut y avoir aucun «lien»entre les religions et l’État, sauf à contrevenir à l’article 2 de la loi de 1905: «La République ne reconnaît (…) aucun culte.» En évoquant ce «lien», que devient la neutralité de l’État, pierre angulaire de la laïcité française? Et accorde-t-il une fonction de «centralité» au catholicisme en octroyant ainsi à l’Église une sorte de «privilège de représentation»?
Démocratie. Ce n’est pas tout. Mac Macron affirme que le fameux «lien» entre l’Église et l’État a été abîmé et qu’il conviendrait de «réparer» quelque chose. Affaire sérieuse. Comment ne pas croire que, en l’espèce, la ligne rouge de la sécularisation de l’État est franchie? La faute, inexcusable, est double: politique et morale. Non seulement, il tord la réalité historique en ne tarissant pas d’éloges sur l’apport des catholiques à la saga républicaine, mais il gomme l’essentiel en passant sous silence les conflits que l’Église a eus avec la République. Impossible de taire le combat fanatique du catholicisme officiel contre ladite République jusqu’à la loi de séparation? Et comment oublier les résurgences et les complicités sous le régime de Vichy, alors que Mac Macron, dans son discours, n’évoque que les «résistants catholiques de 40», dédouanant l’épiscopat de son soutien à Pétain? L’amnésie a ses limites.
L’Église catholique est, depuis 1905, un organisme de droit privé, et non plus un «établissement public du culte». Elle doit le rester. Et puisqu’une précaution utile vaut mieux qu’un doute persistant, rappelons que la laïcité posée dans les termes de la loi de 1905 n’est pas antireligieuse: elle a d’ailleurs été portée par des croyants, par des déistes, par des agnostiques comme par des non-croyants de l’époque. Alors, à quoi joue le président, sinon à attiser des débats déjà clivés et hystérisés, voilà dix ans, par Nicoléon? Nous observons avec sidération la façon dont deux positions principales sur le sujet sont devenues antagonistes, se radicalisant au fil de leurs affrontements. D’un côté, la laïcité dite «ouverte»: attachée à la libre expression de la diversité des convictions dans une société multiculturelle et à la non-discrimination des croyants, quels qu’ils soient. De l’autre côté, la laïcité dite «stricte»: soucieuse que le principe soit affirmé sans lâcheté, ni renoncement, glissant progressivement vers une intransigeance totale, comme le montrent les positions sur ce sujet de Fifille-la-voilà en personne, fraîchement convertie à la laïcité afin de mieux stigmatiser les musulmans. Bref, les uns accusent la laïcité d’être antireligieuse, les autres l’utilisent comme une arme antireligieuse. Revenons un instant au sens originaire du terme : la laïcité est le principe selon lequel le pouvoir politique réside dans la souveraineté du peuple. En somme, ce principe s’applique à l’État, qui ne peut se soumettre à aucune puissance dite supérieure, à aucune tutelle extérieure, à aucune fraction du peuple. Comme disait Jaurès: «Démocratie et laïcité sont deux termes identiques.» Oui à la liberté absolue de conscience. Mais l’État chez lui, et l’Église chez elle!
[BLOC-NOTESpublié dans l’Humanité du 12 avril 2018.]